Les risques de l’innovation
S’il est admis que les nouvelles technologies sont caractérisées par le changement de nature ou de taille ou encore de vitesse, on peut en déduire que les connaissances et les pratiques antérieures ne sont plus suffisantes pour en apprécier le fonctionnement et les effets. Ainsi en a-t-il été d’Ariane VI par rapport à Ariane IV et V. Les nombreux échecs qui ont suivi ses premiers lancements, s’expliquent en effet principalement par un effet de taille insuffisamment pris en compte dans les calculs. Cette règle de l’effet de taille guide aujourd’hui la construction de l’EPR, le réacteur pressurisé européen, dont quatre exemplaires sont en cours de construction. Elle suppose une remise à plat de bien des études antérieures. En sens inverse, c’est aussi le cas des nanotechnologies qui envahissent tous les procédés à dimension technique élevée et contribuent au développement considérable et très rapide de la robotique et des interconnexions. Les changements sont particulièrement importants dans ce qu’il est convenu d’appeler les nouvelles techniques de l'information et de la communication (NTIC) avec Internet, Smartphone, protocole Bluetooth etc. Des phénomènes nouveaux apparaissent avec des effets associés, criminels, malveillants connus notamment sous le préfixe « cyber », criminalité, menaces etc. Il n’est toutefois pas dans l’objet de cette approche d’approfondir trop longuement la description des évolutions innovantes parce que ce n’est pas la finalité de cette étude.
Cependant, on ne saurait écarter du sujet la place qu’occupent les nouvelles technologies en médecine et en chirurgie avec la télémédecine et la télé chirurgie, la robotisation et la microchirurgie et encore les innovations ultra rapides que l’on observe dans le champ des biotechnologies depuis une cinquantaine d’années. Aujourd’hui la combinaison du nano, du bio et du technique ouvrent des perspectives tout à fait inconnues. Les travaux sur le génome ont permis d’élaborer des technologies basées sur la transgénèse qui sont utilisées dans la création de nouveaux produits d'intérêt commerciaux nouveaux comme des céréales et des animaux. Aujourd’hui les biotechnologies interviennent dans des domaines aussi divers que la santé, l’alimentation, l’industrie, l’agriculture etc.
Le sujet est très important dans les démarches de prévention en santé et sécurité au travail, en environnement et en santé publique. Il ne saurait être négligé pour ce qui est du risque dit majeur, celui-ci n’étant qu’un risque de dommage si élevé qu’il échappe aux prévisions les plus pessimistes des organes assureurs. Ce qui explique que ce risque n’ait pas été retenu en santé sécurité au travail dont le champ est réduit mais lors de catastrophes écologiques et sanitaires. Cependant, la catastrophe de l’amiante qui est née dans les usines a bien été un risque majeur. Ce risque majeur est en embuscade derrière nombre de ces innovations, car aujourd’hui, les capacités scientifiques et médicales permettent d’identifier des causes lointaines jusqu’ici insoupçonnées. D’autres sources directes de dommage permettent de tracer des liaisons très en aval en établissant des effets cumulés et différés. Le cas de l’amiante en est un bon exemple. D’autres viendront.
Cependant, les potentialités ne doivent pas être seulement envisagées au plan de leurs effets directs. Nous voulons dire, lorsque la nouvelle technologie est seule en cause, comme les antennes de téléphonie mobile par leurs rayonnements. Des effets indirects doivent être également envisagés, car nombre d’innovations modifient les « us et coutumes », comme nous l’annoncions en introduction. Certains usages d’une nouvelle technologie conduisent en effet à des comportements dangereux, comme téléphoner en conduisant. Ces modèles valent pour la conduite des systèmes industriels, d’un avion, d’un train, d’un équipement domestique. L’accidentologie et l’analyse des catastrophes récentes apportent des informations nombreuses sur ce sujet.
Le risque n’étant pas autre chose qu’un raisonnement sur le futur, la question est alors posée de savoir comment raisonner sur des potentialités nouvelles qui par manque de retour d’expérience ne sont pas toutes connues. Le recours à la méthode du risque présentée au point II permet généralement d’avancer assez sûrement sur les sujets dont on est assuré de connaître des données nombreuses et significatives grâce à l’expérience du temps. Mais il est très insuffisant face à des domaines inconnus. D’où la nécessité de prolonger l’analyse traditionnelle par une analyse spéculative fondée sur des hypothèses, des scenarii et des croisements analogiques. Si la mémoire du passé et l’observation du présent sont utiles et nécessaires elles ne suffisent plus en présence d’innovations très « nouvelles » et l’imagination doit venir en complément.
Mémoire, observation et imagination sont les fonctions clés de l’intelligence pour la maîtrise des risques. Cette trilogie commande tout le processus d’analyse. Face à des technologies éprouvées pour lesquelles la mémoire est source de nombreux enseignements, l’observation est facilitée. L’imagination est alors souvent méprisée. Mais lorsque la nouveauté n’a pas d’autre support mémoriel qu’analogique, le présent est souvent inconnu. La part de l’imagination est alors fondamentale. C’est elle qui va permettre de proposer des modèles que l’on appelle aussi des scenarii pour le futur.
On en déduira des informations utiles, bien que non déterminantes, au double point de vue de la probabilité de survenance d’un événement causal et de la quantification de ses effets dans les temps courts et les temps longs. Malgré la faiblesse de leur information, les pouvoirs publics et les responsables économiques, parmi eux les assureurs, ont cependant des décisions à prendre. Il est certain que le risque majeur le plus élevé sera alors celui qui présente une grande probabilité et une potentialité dommageable très élevée. Mais que dire du risque à très faible probabilité et à très forte potentialité dommageable ? Ou à l’inverse d’un risque à très forte probabilité et à très faible potentialité ? Le piège du risque est dans ces secondes alternatives. C’est d’elles que peut naître le risque majeur.