Entretien avec Gaëlle Pasquier de Solan, avocate publiciste et lobbyiste, associée fondatrice du cabinet Embase Avocats, qui évoque cette double casquette. Elle décrit comment allier rigueur déontologique et stratégie d’influence auprès des décideurs publics pour défendre au mieux les intérêts de ses clients dans le domaine de l’urbanisme.
Pour commencer, pouvez-vous nous expliquer ce qu’est un avocat lobbyiste ?
Un avocat lobbyiste est avant tout un avocat à part entière, inscrit au barreau et tenu au respect de la déontologie professionnelle. En plus de ses missions juridiques, il exerce une activité de représentation d’intérêts auprès des pouvoirs publics, reconnue comme accessoire par le Conseil National des Barreaux (CNB). Cette fonction spécifique est rigoureusement encadrée, notamment par l’obligation de s’inscrire au registre de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP). L’avocat lobbyiste doit ainsi faire preuve d’une transparence totale quant aux actions entreprises et aux rencontres effectuées dans le cadre de cette activité, veiller au strict respect de sa déontologie, et distinguer clairement ses interventions de lobbying de ses missions purement juridiques.
En pratique, c’est un avocat qui "plaide" les dossiers de ses clients non seulement devant les juridictions, mais aussi auprès des décideurs publics – élus, administrations, institutions. Cela suppose de maîtriser à la fois le droit et les rouages des institutions.
Quel est votre parcours et comment en êtes-vous venue à cette double casquette ?
Je suis publiciste, spécialisée en droit public et droit de l’urbanisme. J’ai débuté comme juriste en 2011, en collectivité territoriale. Ce parcours m’a naturellement familiarisée avec le fonctionnement institutionnel et les politiques publiques locales. Je suis devenue avocate en 2016, mais j’ai aussi exercé un temps comme lobbyiste à plein temps au sein d’une agence parisienne, ce qui m’a permis de me plonger pleinement dans les relations institutionnelles.
Aujourd’hui, je combine ces deux expertises dans un cabinet où je propose à mes clients, majoritairement des personnes morales de droit privé, un accompagnement global mêlant conseil juridique, contentieux, et représentation d’intérêts.
En quoi cette double compétence est-elle utile ?
Elle est très précieuse : elle permet de conseiller juridiquement nos clients, tout en construisant une stratégie de plaidoyer auprès des décideurs publics. Grâce à la connaissance fine du fonctionnement des institutions, de leurs interlocuteurs, et de la logique politique, nous organisons des rendez-vous stratégiques, construisons des arguments solides, et accompagnons les projets dans la durée.
Par exemple, en urbanisme, où j’interviens beaucoup, il est essentiel de fédérer les parties prenantes autour d’un projet dès la phase amont : pouvoirs publics, riverains, acteurs locaux… Cela permet de limiter les conflits ou les recours, tout en assurant une pédagogie autour du projet.
Le lobbying souffre parfois d’une image négative. Est-ce compatible avec la déontologie d’un avocat ?
L’un des atouts majeurs de la représentation d’intérêts par un avocat réside précisément dans l’encadrement rigoureux qu’impose la déontologie de la profession : respect strict du secret professionnel, indépendance à l’égard des parties prenantes et prévention de tout conflit d’intérêts. De plus, tous les échanges avec les pouvoirs publics doivent obligatoirement faire l’objet d’une déclaration auprès de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP).
Par ailleurs, la transparence, matérialisée par ces déclarations à la HATVP, s’applique dès lors que l’avocat agit sur mandat de son client pour représenter ses intérêts auprès des décideurs publics.
Cette rigueur procure une sécurité juridique et éthique pour les clients, mais aussi pour les décideurs publics. Le message est clair : on ne travaille pas en souterrain, on ne négocie rien dans l’ombre. Tout est assumé, transparent, et traçable.
Concilier les casquettes d’avocat et de lobbyiste, est-ce difficile ?
Pas vraiment, surtout quand on est publiciste. Il existe une porosité naturelle entre le droit et la politique dans notre exercice. De nombreux confrères, sans être officiellement lobbyistes, abordent déjà des dimensions politiques dans leur travail quotidien – notamment en droit public, des affaires ou de l’environnement.
L’avocat lobbyiste a simplement une reconnaissance supplémentaire, une légitimité renforcée auprès des décideurs. Il peut assumer ce rôle en toute transparence, en sécurisant le client comme l’interlocuteur institutionnel. Il peut proposer à ses clients une lecture complète, du juridique au politique, avec des leviers d'actions davantage variés.
Quels types de clients accompagnez-vous ?
Tous les clients peuvent y trouver un intérêt, mais en pratique, nous sommes principalement sollicités par des personnes morales de droit privé (entreprises, porteurs de projets, associations…)
Ce sont eux qui sollicitent des rencontres avec les pouvoirs publics, au niveau local ou national, selon les enjeux. Le travail de lobbying commence souvent là où celui du conseil s’arrête : il faut accompagner le client pour obtenir une adhésion politique autour de son projet, identifier les leviers d’action, anticiper les obstacles juridiques ou d’acceptabilité sociale.
Dans quels domaines peut s’exercer cette activité ?
Partout où il existe des enjeux réglementaires et politiques : urbanisme, droit de l’environnement, droit de la consommation, droit social... L’environnement, en particulier, est un champ en pleine mutation réglementaire, avec une forte demande de représentation d’intérêts pour faire entendre des voix multiples.
Y a-t-il des limites à votre activité en tant qu’avocate lobbyiste ?
Comme tout avocat, je suis tenue à une stricte gestion des conflits d’intérêts. Je peux aussi refuser de porter un dossier si je ne souhaite pas le défendre pour des raisons personnelles ou éthiques.
Par ailleurs, dans mon cabinet, je travaille en partenariat avec une consultante en affaires publiques. Elle n’est pas soumise à la même déontologie, mais elle a ses propres contraintes et son expertise. Ce partenariat est complémentaire : elle peut intervenir à plein temps sur de longs dossiers, tandis que moi, je garde ma posture d’avocate.
Quels sont, selon vous, les avantages de cette double profession ?
Beaucoup ! Déjà, une connaissance juridique approfondie permet d’aller plus loin dans les dossiers, de suivre un cas depuis le conseil initial jusqu’au contentieux éventuel.
Ensuite, notre capacité à dialoguer sur un pied d’égalité avec les décideurs, à vulgariser les enjeux techniques, à traduire les intentions politiques dans un cadre juridique clair, représente une vraie plus-value. Les pouvoirs publics attendent aujourd’hui ce niveau de technicité, surtout dans des domaines comme les marchés publics ou l’environnement.
Enfin, dans un contexte de transformation du métier d’avocat avec l’arrivée du numérique et des legaltech, le lobbying représente une opportunité de diversification intelligente et à forte valeur ajoutée.
Un dernier mot pour conclure ?
Oui : je pense que c’est une vraie opportunité pour nos confrères avocats. Le métier est en pleine mutation, et il faut l’embrasser avec agilité. Le lobbying, pratiqué avec rigueur, transparence et dans le respect de notre déontologie, nous donne les moyens d’accompagner nos clients de manière globale, cohérente et crédible face aux pouvoirs publics.
Propos recueillis par Arnaud Dumourier