Les limites des capacités de l’assurance
Pour les assurances, les risques majeurs sont ceux qui résultent des dommages issus des catastrophes les plus considérables. Ce sont principalement celles qui résultent des phénomènes naturels et du climat, des grandes pollutions marines, des mécanismes financiers et plus récemment de la montée en puissance du terrorisme. Malgré quelques catastrophes industrielles ou de l’aviation civile, aux conséquences financières importantes, comme en France celle de l’usine AZF de Toulouse et l’accident d’Airbus du Mont Saint Odile ou celui du Concorde à Roissy, le risque n’a pas été vu comme majeur par les milieux de l’assurance. Si l’on ajoute que le principe de l’assurance est fondé sur l’expérience des dommages, et que le sujet des nouvelles technologies en manque, on peut comprendre que ces dernières n’ont pas encore été l’objet de leur attention soutenue. Comme la médecine progresse grâce aux maladies et aux connaissances qu’on en a progressivement grâce à la recherche, l’assurance enrichit ses capacités après toute « belle » catastrophe.
Mais, comme nous l’avons vu précédemment (II), face à l’inconnu des innovations technologiques, les outils traditionnels d’analyse qui focalisent principalement sur le connu de l’observation et parfois de la mémoire, n’ont dès lors que peu d’efficacité. L’assurance doit en concevoir de nouveaux. C’est la méthode elle-même qui doit être renouvelée pour prendre en compte la dimension systémique d’un fonctionnement en réseaux avec une part importante d’automatismes, de robotique et d’interconnexions. Elle doit dégager des intentions plus larges et globales permettant de prévoir et d’anticiper des effets jusqu’ici inconnus. Sachant que dans la perspective de risques majeurs, ces effets peuvent eux-mêmes être systémiques au plan mondial, les enjeux financiers sont considérables.
Cependant les décisions sont délicates, notamment en cas de potentialités dommageables élevées et de probabilité acceptée parce que jugée mineure. Nous pensons en effet que lorsqu’on pose un regard confiant sur le risque, celui-ci en est d’autant plus accru. L’assureur est en outre confronté à une autre difficulté. Les meilleurs experts sont généralement ceux qui ont conçu, développé et mis en œuvre le nouveau système, de sorte qu’à l’instar de l’Etat et de ses organismes, il ne dispose pas nécessairement de toutes les informations nécessaires à l’évaluation du risque.
Ce qui explique que face à des informations et à des groupes de pression pessimistes, les pouvoirs publics ont aujourd’hui tendance à réglementer des démarches de prévention et à leur adjoindre des obligations d’assurance combinées à des dispositifs de solidarité alimentées par des fonds financiers. Cette approche tripartite est désormais bien rodée en France (amiante, médiator, catastrophes naturelles, pollutions marines etc.) et dans quelques pays européens. Cependant, lorsque la question est très sensible pour des raisons éthiques, écologiques, sanitaires ou encore de sécurité publique en relation avec le terrorisme, la solution de l’assurance est évidemment subalterne. La formule pollueur payeur est, en effet diversement appréciée. Qu’en serait-il si, par analogie, on osait prononcer celle de tueur payeur ? Le très fameux principe de précaution est alors invoqué et parfois utilisé en termes de moratoire, comme pour les OGM céréaliers.
Mais l’assurance ne se détermine pas par des décrets parce qu’elle fonctionne sur le modèle du contrat. Or, le contrat suppose la liberté de l’assureur d’en refuser la conclusion si les conditions ne lui paraissent pas satisfaisantes. De sorte qu’un exploitant de nouvelle technologie, qui serait privé de la garantie assurantielle, peut ne pas avoir l’autorisation de mise sur le marché, du moins dans les pays disposant de systèmes juridiques adéquats. Dans les pays moins administrés, l’exploitation dépouillée des garanties assurantielles est alors effectuée aux risques des seules victimes.
Il reste que si l'aventure du futur à toujours été construite autour d'innovations, on bute sur la question de la garantie de l’indemnisation légitime due aux victimes. L'Etat peut-il, doit-il alors interdire une telle innovation ? Doit-il l'encadrer par des règles de prévention ? Doit-il relayer l'assureur en créant une autre source de financement, comme un fonds de solidarité ?
Ces trois perspectives montrent qu’aujourd’hui l’assurance est devenue un mécanisme incontestable des politiques publiques en même temps qu’un régulateur économique. Elles rappellent aussi que le risque n’a pas la même signification pour ceux qui le prennent et pour ceux qui le subissent.
Face à ces évolutions, les assureurs sont placés devant des responsabilités nouvelles. Ils ne maîtrisent pas toutes les données nécessaires à leurs décisions, du fait d’une part trop grande d’inconnues, mais leur métier est celui de l’assurance ! Et ils savent que face à l’inconnu il n’y a pas de risque, car il n’y a que des hypothèses. Les mécanismes de l'assurance sont alors grippés.
A propos de l'auteur
Hubert Seillan
Docteur d’Etat en Droit, universitaire, il a créé un enseignement transversal et pluridisciplinaire : Le droit du danger aux Universités de Bordeaux et de Paris Descartes,
Fondateur de la revue Préventique, il en a dirigé la rédaction jusqu’en février 2015
Derniers ouvrages parus : La préventique en tête (2014) éd. Préventique
Piloter par le management global des risques (2013) éd. Préventique