Louis Degos, bâtonnier élu du barreau de Paris, dévoile ses priorités. Communication, formation, égalité professionnelle, influence institutionnelle, rayonnement international, intelligence artificielle… il dessine les contours d’une mandature ambitieuse.
Quelles seront vos premières actions une fois en fonction ?
Ma priorité immédiate, c’est de retisser le lien entre l’Ordre et les avocats. Il existe actuellement une défiance silencieuse : beaucoup de confrères ignorent ce que fait concrètement le barreau pour eux. Ce n’est pas un manque d’actions — il y a beaucoup d’initiatives — mais l’information circule mal, le travail de fond reste trop invisible.
Je veux instaurer des canaux clairs, sincères et continus, afin que chacun sache ce qui est engagé, pour quelles raisons, et avec quels résultats.
Dès notre entrée en fonction, nous proposerons une assemblée générale de début de mandature : c’est un format inédit, qui permettra de poser les bases de notre mandat dès le départ.
Vous avez beaucoup évoqué l’égalité pendant votre campagne. Quelle sera votre approche sur ce sujet ?
L’égalité, c’est un sujet central et vaste, mêlant égalité professionnelle, égalité des chances ou même égalité face aux accidents de la vie. Dans un premier temps, nous allons continuer — et même renforcer — la lutte contre toutes les inégalités : notamment avec la COMHADIS, la commission harcèlement et discrimination du barreau de Paris. Cette commission existe déjà et fonctionne bien, mais peut et doit gagner en visibilité et en efficacité, par exemple en articulant mieux son action avec la déontologie et en assurant que les suites disciplinaires des cas les plus graves.
« Nous proposerons une assemblée générale de début de mandature »
Au-delà, je veux davantage anticiper et prévenir. Il s’agit d’aller sur des terrains nouveaux : accidents de la vie, santé, santé mentale, autant de problématiques qui pénalisent certains de nos confrères et créent des inégalités insidieuses. Nos projets autour de la prévention, de la santé au travail, de la santé psychique seront présentés dès janvier : il y a une urgence, car notre profession est l’une des plus exposées à la souffrance. Sur ces sujets, nous voulons accompagner ces nouveaux problèmes de la profession sur lesquels le bâtonnier actuel a déjà travaillé.
Vous souhaitez renforcer l’influence du barreau de Paris. Comment comptez-vous y parvenir ?
L’influence du barreau de Paris est essentielle, surtout dans le contexte de grandes échéances politiques à venir. Mais il ne s’agit pas de faire croire à des victoires superficielles ni de rentrer dans questions de politiques partisanes : l’avocat, garant des libertés fondamentales et de l’État de droit, doit être entendu parce qu’il apporte une contribution citoyenne. Si les avocats cessent de porter cette voix, qui le fera ? C’est une partie essentielle de notre mission !
Il faut aussi dépasser le lobbying auprès des pouvoir public et s’intéresser à l’influence au-delà, auprès des corps intermédiaires, retrouver toute notre place dans les fédérations professionnelles et être actifs dans nos institutions (MEDEF, CNB, CNBF…).
Je ne crois pas à la politique de la chaise vide : je suis pour que le barreau de Paris prenne toute sa place au CNB et pour que nous trouvions ensemble des solutions qui conviennent au plus grand nombre.
Faut-il revoir la gouvernance de la profession comme d’aucuns le proposent ?
Le CNB a plus de trente ans : il est légitime de débattre de sa gouvernance, de l’articuler avec son rôle réel dans la profession. Mais revoir uniquement les règles du jeu sans repenser le rôle même de l’institution serait insuffisant. Il faut revoir également ses fonctions et sa place dans la profession.
« Je ne crois pas à la politique de la chaise vide : je suis pour que le barreau de Paris prenne toute sa place au CNB »
Alors, ne nous méprenons pas, je ne suis pas en train de dire que la gouvernance du CNB sera obligatoirement revue en faisant du CNB un ordre national.
Peut-être faudrait-il renforcer le recours au scrutin universel direct, alors qu’actuellement nous sommes sur un scrutin de listes et une élection de la présidence au suffrage indirect : il faut s’interroger sur notre mode de représentation, sur la répartition des missions, et sur l’articulation entre office de régulation et fournisseur de services. Ce débat est ouvert et je souhaite que Paris y prenne toute sa part, sans tabou.
L’intelligence artificielle et la transformation numérique font partie de vos engagements. Quelles actions concrètes porterez-vous en la matière ?
Ce domaine est stratégique et je le connais bien pour avoir été le premier à étudier et porter le sujet de la « jurimétrie » en tant que Président de la prospective et de l’innovation au CNB. C’est de l’intelligence artificielle en matière de recherche juridique.
Cependant, l’intelligence artificielle va au-delà de la recherche juridique. La gestion électronique, l’automatisation, l’IA : tout cela vient bouleverser nos pratiques. Or, à Paris, seuls 40% des cabinets utilisent un logiciel de gestion ! C’est trop peu. notre objectif (qui était dans notre programme de candidatures) est d’offrir gratuitement, à tous les avocats parisiens, des outils numériques essentiels de gestion de cabinets : gestion de dossiers, traitement des problématiques de conflits d’intérêts, comptabiliser le temps ou les diligences, facturation électronique, suivi de l’encaissement bancaire…
Mais donner un logiciel ne suffit pas : ce qui compte, c’est l’accompagnement pour pouvoir et savoir s’en servir. Il faudra une grande campagne de formation, des modules pratiques, une vraie stratégie d’acculturation au numérique, dès l’école d’avocats puis en formation continue.
Notre ambition est aussi de doter progressivement la profession d’outils d’IA avancés : continuer à travailler avec des solutions d’IA de recherche juridique bien sûr, mais aussi logiciels de l’IA de bureautique (ERP), bref tout ce qui doit rendre la profession plus performante, sans jamais sacrifier la confidentialité.
Je veux que l’on puisse passer véritablement au « cabinet augmenté », où chaque avocat, quel que soit son exercice, ait accès à des outils de qualité pour toute sa carrière.
Vous évoquez la formation, que faut-il revoir ?
La formation est aussi l’un des grands chantiers de la mandature dont la vice-Bâtonnière Carine Denoit-Benteux se chargera spécialement, un projet majeur de notre mandat qui va concerner l’intégralité des avocats parisiens, à commencer par l’EFB, l’école de formation des barreaux. Notre objectif est de repositionner l’école à côté de la cour d’appel de Paris, afin qu’elle soit en prise directe avec les barreaux du ressort, sans déconnecter pour autant la dynamique nationale, et de rapprocher les élèves-avocats des avocats qui plaident à la cour.
Cette ambition s’accompagne d’une refonte de l’approche pédagogique et du contenu. Bien sûr, nous sommes tenus par des cadres nationaux et les directives du CNB pour les programmes, mais il subsiste une marge de manœuvre importante dans la mise en œuvre : le choix des méthodes d’apprentissage, la sélection des intervenants, leur manière d’enseigner. Je veux insister sur un point : la formation d’un élève-avocat ne doit plus ressembler à la première année de droit, elle ne doit pas non plus reprendre l’enseignement des matières dans lesquelles les élèves sont déjà hyper spécialisés. Notre école doit être pleinement professionnelle et professionnalisante. Les élèves doivent non seulement acquérir des compétences techniques, mais aussi apprendre à créer des réseaux, à travailler en équipe, à gagner en autonomie, à savoir ce qu’est un cabinet.
« Je veux que l'on puisse passer véritablement au cabinet augmenté »
Concrètement, nous souhaitons privilégier un présentiel de qualité, en petits groupes, pour favoriser l’échange, tout en enrichissant l’offre de formation numérique. En ce qui concerne le distanciel, nous souhaitons investir dans un véritable e-learning, interactif, actif, qui soit aussi efficace que le présentiel.
Nous voulons aussi replacer l’école au « cœur du village » : cela vaut pour la formation initiale comme pour la formation continue, qui demeurent obligatoires et que notre barreau ne respecte pas toujours assez. Remplir ces obligations, ce n’est pas seulement une question de conformité légale : c’est aussi une garantie de qualité pour la profession, et un argument concret à faire valoir auprès de nos assureurs sur la gestion du risque professionnel. Un barreau bien formé, c’est un barreau mieux assuré avec des primes mieux négociées, mais aussi un barreau mieux considéré, toujours prêt à répondre aux évolutions des besoin de la société donc des justiciables.
C’est tout l’esprit du projet : faire de la formation un atout stratégique pour l’avenir, à la fois outil d’émancipation collective et levier de performance économique pour tous les avocats de Paris.
Des mesures spécifiques sont-elles prévues pour les avocats d’affaires ?
En tant qu’avocat d’affaires issu d’un cabinet international, je comprends bien cette question. Même si le barreau est un tout et que nos réformes visent tous les avocats sans distinction, il est évident que certains sujets, comme l’international, concernent plus particulièrement les avocats d’affaires.
Le département international du barreau de Paris va être réformé et réinvesti. Il s’agit de défendre activement le droit français et le droit civil dans la compétition mondiale, surtout face à la montée des droits anglo-saxons. Cette action passera par un soutien à l’internationalisation des cabinets, une meilleure intégration des juristes et avocats étrangers, et un travail renforcé sur la confidentialité des échanges au sein des entreprises et la gestion des risques internes — enjeu majeur pour la compétitivité des entreprises.
Plus globalement, nous devons faire rayonner l’influence de Paris non seulement comme place juridique, mais aussi vers les secteurs économiques clés ou les relations internationales dans lesquels la France et donc le Barreau est particulièrement bien placé (mode, luxe, partenariats avec les pays d’OHADA, etc.).
Quelle est votre vision de l’avocat de demain ?
L’avenir de notre profession est un enjeu qui concerne tous les avocats, et même toutes les professions du droit, quels que soient nos domaines ou nos générations. Les évolutions technologiques, le rapport au business model, la place des jeunes, tout nous concerne ensemble… mais, hélas, chacun réfléchit dans son coin.
Il faut d’urgence retrouver un vrai dialogue entre avocats, juristes d’entreprise, magistrats… Nous faisons partie d’une même famille juridique et les mêmes mutations nous traversent. Réunir ces forces pour réfléchir à notre avenir commun serait un progrès majeur. Notre profession peut relever ce défi si elle sait s’unir autour d’une réflexion ouverte et collective. Un peu de vision prospective et stratégique à cet égard ne ferait pas de mal.
Propos recueillis par Arnaud Dumourier