La méthode du risque
Les assureurs ont mission d’envisager les évolutions des pratiques sociales, économiques et culturelles, puisqu’elles sont autant de données qu’ils acceptent d’assurer (d’assumer) contractuellement. Lorsque les évolutions sont lentes et que les changements ne modifient pas profondément leur nature, les risques qui en résultent sont assez aisément identifiables, quantifiables ou mesurables. En revanche, lorsqu’elles sont rapides, que les changements sont significatifs, que c’est aussi parfois la nature même des données qui se renouvelle, l’évaluation des risques se complique ou plus exactement, devient plus complexe. Ce qui est le cas en présence de nouvelles technologies.
L’assureur qui est bien conscient de cette alternative doit avoir la capacité d’anticiper l’apparition de ces innovations car le contrat qu’il conclue, leur est toujours antérieur. La capacité de pré-vision est en effet pour l’assureur, la qualité première. Elle est l’exigence première du contrat d’assurance. Elle suppose une solide approche méthodologique et une ingénierie opérationnelle des risques structurée autour d’objectifs précis. La méthode est celle du risque. Cette approche peut surprendre tous ceux qui voient le risque, soit par le prisme du danger soit par celui du dommage. Mais elle n’étonnera pas celui qui le considère comme un raisonnement sur l’aventure du futur. La méthode est alors ici la condition de la recherche nécessaire à des spéculations modélisatrices les plus raisonnables possibles.
La méthode du risque doit dès lors viser la meilleure prévision pour la meilleure décision. Elle suppose une capacité d’analyse et d’organisation orientée vers une intention, ou une idée directrice. Il est fondamental et ceci doit être souligné à gros traits, tant on en oublie l’exigence de se mettre d’accord clairement et préalablement à toute démarche, sur une intention de recherche. C’est en effet celle-ci qui donne du sens pratique à la démarche, qui la finalise et en est le but. Puis elle demande de cerner le champ de l’étude, d’en identifier toutes les données connues, de les classer, de les étudier au singulier puis dans leur système et d’en faire enfin la synthèse. Mais, comme il s’agit ici de l’appliquer aux nouvelles technologies, il est préalablement indispensable de savoir de quoi il s’agit.
Dérivé du mot « technique », le substantif évoque une dynamique d’ensemble, plus exactement un système à trois dimensions, techniques en premier lieu, mais aussi humaines et organisationnelles. De sorte qu’une technologie ne peut être réduite à une ou même à plusieurs techniques. Les paramètres du raisonnement sur un système aussi large ne sont alors plus de même nature. Leur analyse appelle d’autres compétences, d’autres modèles, d’autres évaluations que seulement techniques.
Mais comme il s’agit de nouvelles technologies et non pas de technologies nouvelles, nous sommes devant un grand nombre d’inconnues. Les pommes de terre nouvelles reviennent régulièrement dans nos assiettes, à l’identique peut-on dire. Mais les nouvelles pommes de terre que les chercheurs nous proposent vont être différentes dans leurs modes de culture, dans leur croissance et dans leur goût. De même les nouvelles technologies présentent des différences substantielles avec les anciennes, par exemple, par un effet de taille, de vitesse, de leur composition, des conditions de leur utilisation et de leur destination sociale qui modifient nécessairement tous les calculs antérieurs. On comprend que la nouveauté doit être vue en termes de potentialités. Or celles-ci sont délicates à percevoir par défaut d’expérimentation et d’expérience.
L’intention, c’est ici le risque. On observera que si ce concept est le mot clé et historique de l’assurance, il fait l’objet de tant d’approches de pensées différentes qu’il n’est pas aisé d’en cerner la signification exacte. Accroché à l’idée de calcul probabiliste, il s’efforce d’apporter une prévision quantifiée, raisonnée sinon rationnelle, sur les développements des faits et les idées. La méthode du risque a mission d’éclairer le futur en mettant en perspective les chances et les malchances ou les gains et les pertes. Ainsi pour l’assureur, le bon risque sera celui où les gains sont très supérieurs aux pertes.
Cependant, cette méthode a perdu progressivement de sa force car ce dualisme du terme s’est estompé pour n’évoquer que le dommage, c'est-à-dire le mauvais risque. Le risque c’est l’incendie, c’est la catastrophe. Il évoque plutôt une matérialité quantifiée qu’il ne renvoie à l’idée abstraite de calcul et de raisonnement prévisionnel. La question finale est donc de savoir si les nouvelles technologies comportent de nouvelles potentialités et si celles-ci modifient la probabilité et le quantum du risque.