Anne Maréchal, Avocate Associée, Julie Bader, Avocate sénior – De Gaulle Fleurance et Nicolas Rochoy, juriste chez De Gaulle Fleurance reviennent sur l'appel des autorités françaises, autrichiennes et italiennes au renforcement du cadre réglementaire applicable aux crypto-actifs.
Le lundi 15 septembre 2025, trois autorités de marché européennes, l’Autorité des marchés financiers française (« AMF »), la Finanzmarktaufsichtsbehörde autrichienne (« FMA »), la Commissione Nazionale per le Società e la Borsa italienne (« Consob »), ont proposé quatre axes d’amélioration[1] du cadre actuel du Règlement MiCA[2].
En application du Règlement MiCA, chaque autorité compétente au niveau national a la charge d’agréer les Prestataires de Services sur Crypto-Actifs (« PSCA »)[3], lui accordant ensuite un accès au marché européen via le mécanisme de passeport[4]. Les trois autorités précitées dénoncent dans leur publication la mise en œuvre d’une forme de forum shopping entraînant une compétitivité réglementaire entre Etats membres.
En effet, si depuis le 30 décembre 2024, le Règlement MiCA met en place un cadre harmonisé pour l’émission et la fourniture de services sur les crypto-actifs, les autorités nationales gardent une certaine marge quant à son interprétation et son application. L’Autorité Européenne des Marchés Financiers (« AEMF ») a d’ores et déjà constaté des divergences dans l’application du Règlement MiCA.
Dans une peer review[5], l’autorité de marché maltaise (Malta Financial Services Authority (« MFSA »)) s’est vu reprocher son laxisme dans la délivrance de l’agrément PSCA à certains acteurs sans avoir effectué de façon satisfaisante l’instruction des dossiers des PSCA candidats.
En l’absence d’évolution du cadre de supervision du Règlement MiCA, la présidente de l’AMF, Marie-Anne BARBAT-LAYANI, a déclaré pouvoir adopter[6], en dernier recours, des mesures conservatoires[7] visant à refuser l’accès au marché français à certains PSCA agréés dans d’autres Etats membres.
Il n’existe pas de dispositions spécifiques permettant à une autorité compétente d’un Etat d’accueil de refuser en tant que tel un passeport européen à un PSCA. Cependant celle-ci peut :
- demander à l’autorité de l’Etat membre d’origine du PSCA de vérifier si les conditions d’octroi d’agrément sont bien respectées[8], ou
- prendre des mesures conservatoires pouvant empêcher le PSCA de fournir ses services sur son territoire, et donc factuellement faire échec à l’exercice du passeport européen. Toutefois cela n’est possible qu’à condition de suivre une procédure prévue au Règlement MiCA (e.g. des irrégularités ont été constatées, le cas échéant elles ont été notifiées à l’autorité compétente d’origine, qui elle-même a pris des mesures sans que ces irrégularités aient disparu…).
Ces mécanismes qui existent dans la finance traditionnelle, pourraient être utilisés par les autorités nationales européennes vis-à-vis de PSCA qui seraient en infraction avec le Règlement MiCA sur leur territoire.
Afin d’éviter les divergences interprétatives liées à MiCA, quatre pistes d’amélioration sont proposées par les autorités de marché de la France, de l’Autriche et de l’Italie (les « Autorités ») :
- Une supervision par l’ESMA des PSCA les plus importants
Si les émetteurs de stablecoins[9] (ART/EMT) d’importance significative sont déjà supervisés par l’Autorité Bancaire Européenne (« ABE »)[10], cela n’est pas le cas pour les autres émetteurs d’autres crypto-actifs d’importance significative ou pour les PSCA d’importance majeure sur le marché européen.
Les Autorités proposent donc une supervision directe par l’AEMF des PSCA ayant une importance majeure au sein de l’Union Européenne. Il semble que cette supervision directe soit entendue comme couvrant l’octroi de l’agrément PSCA puis le contrôle et la surveillance dans la durée de ces acteurs.
Cette proposition n’a pas encore été commentée par l’AEMF.
- Un renforcement des exigences applicables aux plateformes internationales
Certaines plateformes installées en dehors de l’Union Européenne utilisent un intermédiaire PSCA pour opérer dans l’Union Européenne sans avoir elles-mêmes à obtenir l’agrément PSCA. En particulier, les plateformes d’échange sur lesquelles sont exécutés les ordres sur crypto-actifs seraient situées en dehors de l’Union Européenne et les investisseurs européennes ne recourraient alors qu’aux services de PSCA dits « brokers » transmettant les ordres sur les crypto-actifs à ces plateformes de pays tiers.
Selon les Autorités, les opérations sur crypto-actifs sont difficiles à tracer sur ces plateformes et pourraient rendre inefficace la protection des investisseurs recherchée par le Règlement MiCA.
La proposition des Autorités serait d’imposer aux PSCA d’exécuter les ordres sur crypto-actifs sur des plateformes d’échange situées dans l’Union Européenne et donc elles-mêmes PSCA ou bien auprès de plateformes soumises à une réglementation équivalente au Règlement MiCA.
A cet égard, les Autorités enjoignent la Commission européenne, avec l’AEMF, d’adopter des lignes directrices claires quant à l’interprétation de la législation d’un pays tiers dite « équivalente » au Règlement MiCA.
Les Autorités proposent ici une forme d’extension du périmètre d’application du Règlement MiCA. Cette proposition s’inscrit dans une logique de protection des investisseurs européens. Cependant, en l’absence de réglementation dans les pays tiers, elle pourrait venir fermer le marché européen des crypto-actifs et limiter les opportunités d’investissement au détriment des européens.
Il sera pertinent de suivre l’évolution et la position de la Commission européenne quant à cette proposition. L’adoption au niveau international de réglementations similaires au Règlement MiCA pourra naturellement entrainer une harmonisation vertueuse du marché international des crypto-actifs, sur le modèle de la finance traditionnelle.
- Une meilleure supervision des PSCA face au risque cyber
Les Autorités souhaitent que soit renforcée la mise en place des audits réguliers et indépendants des systèmes IT des PSCA sur la base du Règlement DORA[11].
Cette demande vise notamment à aligner les exigences en matière de cybersécurité pour l’obtention de l’agrément PSCA au sein de l’Union Européenne.
Pour rappel, en France l’obtention de l’agrément PSCA nécessite de faire réaliser un audit par un auditeur certifié PASSI et d’avoir résolu l’ensemble des anomalies majeures et importantes détectées pour l’obtention de l’agrément. Cette exigence correspond aux principes visés au Règlement Délégué (UE) 2025/305[12] qui renvoie au Règlement DORA.
Cette demande est justifiée car cette exigence permettrait d’assurer l’alignement du niveau de sécurité qui doit être respecté et garanti par les PSCA au sein de l’Union Européenne.
- Une centralisation de la supervision des émetteurs de crypto-actifs (autres que les ART et EMT)
Les Autorités soulignent que les émissions de crypto-actifs, souvent paneuropéennes, génèrent des doublons et des coûts administratifs en raison de la fragmentation actuelle des procédures nationales. Elles proposent donc d’envisager, sous réserve d’un encadrement clair, la création d’un guichet unique européen sous la responsabilité de l’AEMF afin d’harmoniser et simplifier ces démarches, notamment quant à la revue des livres blancs associés aux émissions de crypto-actifs.
Ces quatre axes d’améliorations s’inscrivent dans une logique d’harmonisation et d’unification de l’application du Règlement MiCA au niveau de l’Union européenne. Ils révèlent la nécessité de s’assurer que les PSCA agréés répondent à des exigences similaires tant sur les volets de conformité que de sécurité informatique.
L’entrée en application du Règlement MiCA à la fin de l’année 2024 a entrainé une forme de « course » à l’obtention du sésame PSCA. En France, l’AMF a accordé ses premiers agréments PSCA avant la première moitié de l’année 2025. Aujourd’hui, la France a délivré 7 agréments PSCA :
- 2 agréments PSCA dans le cadre de la procédure fast-track pour Deblock et Goin ;
- 1 agrément PSCA dans le cadre de la procédure de notification prévue à l'article 60 du Règlement MiCA pour CACEIS ; et
- 4 agréments PSCA dans le cadre de la procédure classique pour Bitstack et Finctek, Coinshare et Metal Gear.
L’AMF s’est attelée à vérifier l’interprétation uniforme du Règlement MiCA et à s’assurer que les candidats PSCA remplissaient les conditions d’agrément telles que définies dans le Règlement MiCA et ses textes d’application dont certains sont sortis après l’entrée en vigueur du règlement. Il convient notamment de noter que l’AMF a dû se positionner sur des solutions techniques et réglementaires complexes, en collaboration avec l’AEMF et les autres autorités nationales en l’absence de précisions dans le Règlement MiCA et ses réglementations délégués.
Cela permet de considérer que les agréments PSCA délivrés en France par l’AMF répondent à des niveaux d’exigences strictement respectueux du Règlement MiCA et assurent une protection forte des investisseurs européens. Les PSCA agréés en France sont donc nécessairement des acteurs qui respectent un niveau élevé d’exigence et répondent à des standards opérationnels de grande qualité, bénéficiant ainsi d’un avantage réputationnel certain.
Anne Maréchal, Avocate Associée, et Julie Bader, Avocate Sénior – De Gaulle Fleurance et Nicolas Rochoy, juriste chez De Gaulle Fleurance
Quelques définitions : Article 3, point 1, sous-point 5), Règlement MiCA : « crypto-actif » : une représentation numérique d’une valeur ou d’un droit pouvant être transférée et stockée de manière électronique, au moyen de la technologie des registres distribués ou d’une technologie similaire ». Article 3, point 1, sous-point 15), Règlement MiCA : « prestataire de services sur crypto-actifs » : une personne morale ou une autre entreprise dont l’occupation ou l’activité consiste à fournir un ou plusieurs services sur crypto-actifs à des clients à titre professionnel, et qui est autorisée à fournir des services sur crypto-actifs conformément à l’article 59. » Article 3, point 1, sous-point 16), Règlement MiCA : « service sur crypto-actifs » : l’un ou l’autre des services et activités suivants liés à un crypto-actif : a) la conservation et l’administration de crypto-actifs pour le compte de clients; b) l’exploitation d’une plate-forme de négociation de crypto-actifs; c) l’échange de crypto-actifs contre des fonds; d) l’échange de crypto-actifs contre d’autres crypto-actifs; e) l’exécution d’ordres sur crypto-actifs pour le compte de clients; f) le placement de crypto-actifs; g) la réception et la transmission d’ordres sur crypto-actifs pour le compte de clients; h) la fourniture de conseils en crypto-actifs; i) la fourniture de services de gestion de portefeuille de crypto-actifs; j) la fourniture de services de transfert de crypto-actifs pour le compte de clients ».
Article 3, point 1, sous-point 6), Règlement MiCA : « jeton se référant à un ou des actifs » : un type de crypto-actif qui n’est pas un jeton de monnaie électronique et qui vise à conserver une valeur stable en se référant à une autre valeur ou un autre droit ou à une combinaison de ceux-ci, y compris une ou plusieurs monnaies officielles ». Article 3, point 1, sous-point 7), Règlement MiCA : « jeton de monnaie électronique » : un type de crypto-actif qui vise à conserver une valeur stable en se référant à la valeur d’une monnaie officielle ». |
____________________________
NOTES
[1] Les autorités de marché française, autrichienne et italienne appellent à un cadre européen renforcé des marchés de crypto-actifs ; Encadrement des marchés européens de crypto-actifs : propositions des autorités des marchés financiers français, autrichien et italien (en anglais uniquement).
[2] RÈGLEMENT (UE) 2023/1114 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 31 mai 2023 sur les marchés de crypto-actifs, et modifiant les règlements (UE) no 1093/2010 et (UE) no 1095/2010 et les directives 2013/36/UE et (UE) 2019/1937, (« Règlement MiCA »).
[3] Voir définition ci-après.
[4] Article 65, Règlement MiCA.
[5] Peer Review Report: Executive Summary Fast-track peer review on [a CASP] authorisation and supervision in Malta, ESMA, 10 juillet 2025.
[6] Les autorités de marché française, autrichienne et italienne appellent à un cadre européen renforcé des marchés de crypto-actifs | AMF
[7] Article 102 du Règlement MiCA
[8] Article 64 (7) du Règlement MiCA
[9] Les stablecoins (ou « jeton indexé » en français) sont une catégorie regroupant, d’une part, les EMT (E-Money Tokens, ou « jeton de monnaie électronique ») ; et, d’autre part, les ART (Asset-Referenced Tokens, ou « jeton se référant à un ou des actifs ») – voir définitions ci-après.
[10] Article 117 et suivants du Règlement MiCA
[11] RÈGLEMENT (UE) 2022/2554 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 14 décembre 2022 sur la résilience opérationnelle numérique du secteur financier et modifiant les règlements (CE) no 1060/2009, (UE) no 648/2012, (UE) no 600/2014, (UE) no 909/2014 et (UE) 2016/1011, (« Règlement DORA »).
Ce règlement établit un cadre commun pour la gestion des risques liés aux technologies de l'information et de la communication (TIC), et définit des règles en matière de cyber-sécurité et de gestion des risques informatiques qui s’appliquent à un grand nombre d’entités financières.
[12] Article 9 du Règlement délégué (UE) 2025/305 : « le cas échéant, la description d’un audit de cybersécurité, réalisé par un auditeur en cybersécurité tiers doté d’une expérience suffisante, conformément au règlement délégué de la Commission définissant des normes techniques adopté en application de l’article 26, paragraphe 11, quatrième alinéa, du règlement (UE) 2022/2554 »