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La Cour de cassation dévoile sa feuille de route pour l’intelligence artificielle

Le 28 avril 2025, la Cour de cassation a franchi une nouvelle étape dans l’intégration de l’intelligence artificielle (IA) au sein de la justice française. Le groupe de travail dédié a officiellement remis son rapport « Cour de cassation et intelligence artificielle : préparer la Cour de demain » au premier président Christophe Soulard et au procureur général Rémy Heitz, rendant public un document qui se veut à la fois ambitieux et prudent. Ce rapport marque la volonté de la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire de s’affirmer comme moteur de l’innovation tout en posant un cadre méthodologique et éthique solide pour l’usage de l’IA.

Une expertise technique et une démarche pluridisciplinaire

Forte de son expérience pionnière dans la mise en open data des décisions de justice et du développement d’outils internes d'anonymisation, la Cour de cassation a su anticiper les défis technologiques et juridiques liés à l’IA. Depuis 2019, elle s’est dotée d’une équipe interne de data science, capable de concevoir des algorithmes performants pour répondre à ses besoins spécifiques, tout en garantissant la maîtrise des données et la sécurité des systèmes.

Le groupe de travail, présidé par Mme Sandrine Zientara, présidente de chambre et directrice du Service de documentation, des études et du rapport (SDER), réunissait magistrats, greffiers et data scientists. Il a mené un large recensement des besoins en IA, auditionné des experts du ministère de la justice, de l’École nationale de la magistrature, de la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, ainsi que des universitaires et acteurs de la legaltech. Des échanges avec d’autres hautes juridictions nationales et étrangères ont permis de dresser un panorama comparatif des usages de l’IA dans les cours suprêmes.

Une méthodologie d’évaluation inédite et transposable

Le rapport propose une méthodologie d’évaluation des cas d’usage de l’IA, fondée sur cinq grands critères : éthiques, juridiques, fonctionnels, techniques et économiques. Cette approche vise à garantir que chaque projet d’IA soit examiné sous l’angle du respect des droits fondamentaux, de la conformité réglementaire (notamment au RGPD et au nouveau règlement européen sur l’IA), de l’intérêt métier, de la faisabilité technique et du coût global.

Parmi les cas d’usage identifiés, cinq grandes catégories émergent : la structuration et l’enrichissement des documents, l’exploitation des écritures des parties, la recherche et l’exploitation des bases de données documentaires, l’aide à la rédaction, et des besoins spécifiques au greffe. Le rapport insiste sur l’absence de besoin d’aide à la décision, rappelant que la spécialisation des magistrats de la Cour et la nature de leur office rendent cette perspective inadaptée et porteuse de risques éthiques majeurs.

Les pistes de développement identifiées

Trois grandes orientations émergent :

  • Des cas d’usage simples et transversaux  : Il s’agit notamment d’outils de structuration et d’enrichissement des documents, qui pourraient bénéficier à de nombreux autres usages, de l’exploitation des écritures des parties à l’aide à la recherche documentaire ou à la rédaction.

  • Des cas d’usage complexes mais à forte valeur ajoutée : Cela concerne, par exemple, la recherche de connexité matérielle et intellectuelle entre mémoires, la détection des précédents et rapprochements de jurisprudence, ou encore la recherche d’éléments jurisprudentiels pour l’observatoire des litiges judiciaires (questions nouvelles, divergences, litiges sériels, enjeux sociétaux).

  • Des projets à fort enjeu éthique et technique : Certains usages, notamment l’aide à la rédaction pour le traitement des litiges sériels, présentent un intérêt stratégique mais soulèvent des questions éthiques, juridiques et techniques majeures. Leur déploiement nécessite une réflexion approfondie et une vigilance accrue.

Des principes directeurs pour une IA judiciaire responsable

Au-delà des aspects techniques, le rapport consacre une large place à l’énonciation de principes directeurs, en s’appuyant notamment sur la Charte éthique européenne d’utilisation de l’intelligence artificielle dans les systèmes judiciaires de la Commission européenne pour
l’efficacité de la justice (CEPEJ). Il rappelle l’importance du respect des droits fondamentaux, de la non-discrimination, de la qualité et de la sécurité des algorithmes, de la transparence et de l’explicabilité, ainsi que de la maîtrise humaine des décisions. Ce dernier principe impose que l’IA n’intervienne qu’en appui, sous le contrôle et à la demande du magistrat, afin de préserver l’intégrité de l’office du juge.

Le rapport préconise la création d’instances internes de suivi opérationnel et éthique, la formation des professionnels aux enjeux de l’IA, ainsi que l’élaboration d’une charte éthique propre à la Cour. Il souligne également la nécessité d’une gouvernance indépendante et d’une acculturation progressive des magistrats et personnels judiciaires à ces nouveaux outils.

Une ouverture sur l’international et une ambition collective

La démarche de la Cour de cassation s’inscrit dans une dynamique nationale et internationale, alors que d’autres juridictions, en France comme à l’étranger, expérimentent également l’IA pour améliorer la gestion des flux, la recherche documentaire, la rédaction de décisions ou l’accès à la justice. Le rapport met en lumière les initiatives comparables menées en Allemagne, en Espagne, en Italie, en Estonie, au Brésil ou en Argentine, tout en soulignant la diversité des cadres législatifs et éthiques adoptés à l’étranger.

Avec ce rapport, la Cour de cassation entend ainsi poser les fondations d’une IA judiciaire responsable, au service de l’intérêt général, et offrir un cadre de référence pour l’ensemble des juridictions françaises et européennes.

Arnaud Dumourier

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