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Décision du CSA refusant la demande de passage à la gratuité de la chaîne LCI : décryptage

freget-tassodepanafieuDécryptage juridique de la décision du CSA refusant la demande de passage à la gratuité de la chaîne LCI, par Charlotte Tasso de Panafieu et Olivier Fréget.

Dans sa décision n°2014-357 du 29 juillet dernier, le CSA s’est prononcé contre la demande de passage de la chaîne LCI de la TNT payante vers la TNT gratuite. Cette décision a fait l’objet de nombreux commentaires portant sur son opportunité, sa portée ou son interprétation politique. Il s’agit ici simplement d’en livrer un décryptage juridique, au vu des objectifs dont le CSA a la garde et des pouvoirs qui lui ont été conférés.

Le CSA peut en effet, depuis un amendement à la loi de 1986 introduit le 15 novembre 2013, donner son agrément à "la modification des modalités de financement" d’une chaîne, à condition d’avoir procédé à une "étude d’impact économique", et après avoir "pris en compte" "les équilibres du marché publicitaire" des chaînes de la TNT.

C’est à l’aune de ces critères, ainsi que de ceux plus généraux de pluralisme, de qualité et de diversité des programmes dont il a la garde, que le CSA a finalement rejeté la demande de LCI. Il rejoint en cela très largement l’Autorité de la concurrence, qui a exprimé son analyse dans un avis rendu public par le CSA quelques jours après sa propre décision (1).

Cet avis révèle le plan d’affaires de LCI sur ce fameux "impact économique". LCI y expliquait ainsi que son arrivée sur la TNT payante aurait un impact positif puisqu’elle (i) permettrait d’accroître la diversité des programmes et le pluralisme par l’accès à une troisième chaîne d’information, (ii) n’aurait qu’un impact marginal sur les autres chaînes d’information, le transfert d’audience se faisant depuis l’ensemble des autres chaînes de la TNT, (iii) cet argument se retrouvant dans les mêmes termes s’agissant du marché publicitaire, voulant que le transfert de recettes publicitaires provienne des chaînes de la TNT en général.

Or c’est sur la base d’une analyse de ces considérations économiques, qui fonde son pouvoir juridique, que le CSA a rejeté ces arguments et refusé l’octroi de son agrément.

Il a ainsi relevé que :

(i) La chaîne LCI ne se différenciait pas fortement des deux autres chaînes d’information en continu, contestant ainsi l’argument de diversité ;
(ii)Dans un contexte de stagnation voire de baisse de durée d’écoute de la télévision, l’augmentation escomptée de part d’audience de LCI proviendrait nécessairement de ces deux autres chaînes, contestant alors l’argument d’innocuité vis-à-vis des autres chaînes d’information en continu ;
(iii)Le groupe TF1 pourrait être incité à créer des effets de levier au bénéfice de LCI, ce qui porterait atteinte aux équilibres du marché compte tenu de la proximité des structures des secteurs annonceurs de ces trois chaînes, sachant que le marché publicitaire est à son niveau le plus bas de dépense depuis dix ans.

A cet égard et comme le soulignait l’Autorité de la concurrence dans son avis précité, tout "changement de 0,1% de part de marché publicitaire représente un impact de 3 millions d’euros sur le chiffre d’affaires d’une chaîne". Avec un plan d’affaires tablant sur une part d’audience minimale de 1% et une "multiplication par 10 de ses actuelles ressources publicitaires", cette arrivée de LCI sur la TNT gratuite remettrait nécessairement en cause les équilibres du marché publicitaire.

Le CSA adopte des arguments identiques en relevant que l’arrivée de LCI "aggraverait [leurs] pertes d’exploitation", portant ainsit "atteinte à la viabilité économique et financière" notamment des deux autres chaînes d’information continue, qui "se trouveraient dans l’impossibilité d’atteindre leur seuil de rentabilité", ce qui nuirait au principe même de diversité des opérateurs. De ce fait, la modification de financement de LCI "porterait atteinte à l’impératif fondamental du pluralisme".

La décision du CSA s’appuie donc sur une analyse économique, du marché publicitaire et de l’audience en général, et des impacts du changement de son mode de financement sur les autres chaînes d’information continue en particulier.

Elle confirme ainsi que ce n’est pas le nombre de chaînes qui garantit à lui seul le pluralisme ; c’est également leur viabilité économique, puisque cette dernière permet l’investissement et à son tour l’audience. Cette viabilité est essentielle s’agissant d’une ressource rare, "appelée à devenir à l’avenir plus rare encore" du fait des usages mobiles, comme le relève l’Autorité de la concurrence.

Sur ce dernier point, l’Autorité de la concurrence indiquait d’ailleurs incidemment que le passage en gratuit d’une chaîne de la TNT payante ne constitue pas "un échange standard" puisqu’il rend nécessaire une allocation plus élevée de spectre. Elle mentionnait à cet égard, dans son avis précité, les plaintes déposées par plusieurs des acteurs de la TNT gratuite auprès de la Commission européenne, contestant le principe même d’une attribution de ces fréquences en dehors de tout appel d’offres, et donc contrairement au processus prévu par les directives européennes pour l’attribution de ces ressources rares. De sources publiques, la Commission a interrogé la France à ce sujet. L’affaire n’est donc pas close...

(1) Avis n°14-A-07 du 18 juin 2014

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