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Soraya Amrani-Mekki : « Il faut admettre le procès pilote »

À l’occasion de la publication du rapport du Club des juristes intitulé « Pour un traitement rationnel des litiges sériels – Du constat d’inefficacité des actions de groupe à la construction d’une procédure efficace », Soraya Amrani-Mekki, professeure à Sciences Po et présidente du groupe de travail, revient sur les constats, les recommandations et les perspectives ouvertes par ce travail. Elle explique pourquoi la France doit repenser son approche du contentieux de masse et intégrer de nouveaux outils procéduraux.

Pourquoi avoir lancé ce rapport sur les litiges sériels en France ?

Le constat est simple : la France connaît des difficultés récurrentes à gérer les litiges sériels, c’est-à-dire des affaires posant exactement la même question de droit. L’action de groupe, créée en 2014 avec la loi Hamon, n’a jamais pleinement répondu aux attentes. Même améliorée, elle ne suffit pas à résoudre les problèmes liés au traitement de ces contentieux de masse. D’où la nécessité d’envisager d’autres mécanismes, comme les actions regroupées ou encore le régime des procès pilotes.

Comment s’est déroulé le travail du groupe ?

Le groupe s’est réuni sur plusieurs mois, voire années, en raison des reports successifs de la réforme de l’action de groupe. Il était composé d’universitaires, de praticiens, d’avocats, de magistrats et de professeurs étrangers. De nombreuses auditions ont été menées auprès d’associations, d’ONG, de représentants professionnels et de magistrats ayant expérimenté l’action de groupe, notamment dans l’affaire de la Dépakine. L’objectif était de comprendre les blocages pratiques et d’aller au-delà des « belles machines procédurales » théoriques.

Quelles sont les principales recommandations du rapport ?

 Elles se regroupent en trois ensembles :

  • Améliorer l’action de groupe : aller plus loin dans la réglementation du financement par des tiers, donner au Défenseur des droits la qualité pour agir, renforcer la lutte contre les conflits d’intérêts.
  • Encadrer les actions regroupées : imposer une transparence sur le financement, rappeler aux justiciables leur liberté d’agir ou de se retirer, et garantir une meilleure information.
  • Admettre le procès pilote : identifier les séries de litiges et permettre qu’une décision pilote règle ensuite des milliers de procédures similaires. Cela éviterait de rejuger la même question à l’infini et permettrait de concentrer le débat sur l’indemnisation.

Pouvez-vous donner un exemple concret de procès pilote ?

Oui, l’affaire des prothèses PIP illustre bien ce mécanisme. Une fois la responsabilité établie dans une décision pilote, il n’est plus nécessaire de rediscuter cette question dans chaque dossier. Seule l’indemnisation reste à déterminer, ce qui peut être fait par des modes amiables. De même, la Chambre sociale de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a réglé 3 500 dossiers La Poste en s’appuyant sur une première décision.

Quel rôle pourrait jouer l’intelligence artificielle dans ce dispositif ?

L’IA peut aider à détecter les séries de litiges sur l’ensemble du territoire. Une fois identifiées, un sursis à statuer peut être prononcé, puis une décision pilote rendue. Celle-ci serait ensuite appliquée mécaniquement aux autres affaires. L’IA, combinée aux modes amiables, permettrait d’aboutir à un modèle de justice plus efficace, rapide et moins coûteux.

Qu’avez-vous retenu de l’approche comparée avec d’autres pays européens ?

Elle est essentielle. Certains contentieux migrent vers les Pays-Bas ou l’Allemagne, qui proposent des modèles plus efficients. Le risque est celui du forum shopping. La France doit rester compétitive et offrir des garanties procédurales solides. L’étude comparative a permis d’identifier des bonnes pratiques, notamment sur le financement par des tiers, tout en rappelant que chaque système doit être adapté au contexte national.

La France peut-elle devenir un acteur majeur du contentieux collectif en Europe ?

Oui, c’est l’ambition. Paris doit être une place forte du droit. Dans les grands contentieux, comme ceux liés au diesel, il est essentiel que la France propose une réponse adaptée et rapide, tant pour les justiciables que pour les entreprises.

Quelles suites espérez-vous pour ce rapport ?

Une présentation est prévue le 10 décembre en présence de représentants du ministère de la Justice. L’objectif est que les propositions, notamment sur le jugement pilote, soient intégrées dans le Code de procédure civile. Un décret pourrait intervenir en 2026. Ces recommandations sont performantes pour la gestion des flux et pour la qualité de la réponse judiciaire.

Propos recueillis par Arnaud Dumourier

RAPPORT « Pour un traitement rationnel des litiges sériels – Du constat d’inefficacité des actions de groupe à la construction d’une procédure efficace »

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