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Agents IA souverains : la profession d’avocat entre dans une nouvelle ère

Le 16 décembre 2024, l’auditorium du Conseil national des barreaux (CNB) a accueilli un événement consacré aux premiers agents d’intelligence artificielle développés par des avocats au sein du Legal Data Space. Organisé avec le CNB, il a permis d’exposer des cas d’usage concrets, d’aborder les enjeux déontologiques associés à ces nouveaux outils et de mesurer l’impact déjà perceptible de l’IA sur la pratique du droit.

L’IA comme décomposition du raisonnement juridique

Dès l’ouverture, un constat s’est imposé : concevoir un agent IA relève moins de la programmation que de la structuration du raisonnement juridique. Les avocats impliqués ont expliqué avoir commencé par analyser leurs propres pratiques, identifier les étapes clés de leurs missions, puis formaliser ces séquences dans un workflow.

L’agent présenté par Franz Vasseur, avocat en propriété intellectuelle, en offre une illustration claire. Baptisé Métamarque, il analyse un signe, identifie les antériorités, évalue les risques et génère un rapport final. L’outil interroge les bases officielles, structure l’analyse et signale les points sensibles, tout en renvoyant systématiquement vers l’avocat lorsque la situation nécessite une appréciation juridique. L’IA intervient comme un assistant méthodique ; l’avocat conserve la maîtrise de l’analyse.

Des cas d’usage couvrant un large champ du droit

La diversité des agents présentés a montré que l’IA peut s’intégrer dans des domaines très variés de la pratique juridique.

Jimmy Hababou, avocat en droit économique, a dévoilé un agent dédié à la rupture brutale des relations commerciales établies. Il a constitué un corpus de onze années de rapports de la CEPC, permettant à l’agent de qualifier la relation, d’évaluer le préavis et de proposer un plan d’action. L’outil reproduit la logique d’un praticien expérimenté, mais avec une rapidité d’exécution inédite.

Fatoumata Brouard, ancienne Legal Ops devenue avocate, a présenté un agent conçu pour la gestion des violations de données personnelles. Celui‑ci lit l’alerte initiale, collecte automatiquement les informations pertinentes (INPI, Infogreffe, site web), génère un questionnaire adapté, produit une analyse d’impact horodatée et prépare les éléments nécessaires à une notification CNIL. La validation humaine reste obligatoire, mais l’agent permet de sécuriser les délais et de structurer la réponse à l’incident.

Laure d’Hauteville, ancienne avocate devenue consultante en bilan de compétences et ancienne avocate, a proposé un agent non juridique destiné à évaluer la maturité des avocats en matière d’IA. L’outil repose sur quatre blocs : identification des besoins, maîtrise du dialogue avec l’IA, fiabilité de la production et sécurité des données. Elle imagine déjà un référentiel et une certification pour accompagner la montée en compétence de la profession.

Alexis Moisand, fondateur du cabinet Constellation, a présenté un agent dédié à la génération de contrats de travail relevant de la convention Syntec. Pensé comme une brique dans la chaîne de valeur du cabinet, l’outil pourrait également devenir un levier de prospection en détectant des besoins juridiques à partir des interactions avec l’utilisateur.

Enfin, Thibault Delamare, docteur en droit public et collaborateur parlementaire, a exposé un agent de veille législative capable de suivre automatiquement les projets et propositions de loi, de visualiser leurs impacts sur le droit en vigueur et de générer des amendements. L’outil vise autant les avocats que les juristes d’entreprise, les parlementaires ou les directions publiques.

Déontologie : clarifier les lignes rouges

La troisième séquence, animée par Bruno Blanquer et Pierre Berlioz, a rappelé que l’usage de l’IA ne modifie en rien les obligations fondamentales de l’avocat.

Bruno Blanquer a souligné un point souvent négligé : les activités commerciales annexes ne sont pas automatiquement couvertes par les assurances professionnelles. Les avocats doivent vérifier leur couverture, car l’IA n’exonère jamais de responsabilité. Il a également rappelé que le secret professionnel, la protection des données, la validation humaine et la gestion des conflits d’intérêts demeurent pleinement applicables.

La question de l’information du client suscite un débat. Le terme « transparence » est jugé ambigu : la profession repose sur le secret professionnel et ne doit pas adopter des concepts susceptibles de fragiliser ce principe. Le CNB privilégie pour l’instant une information proportionnée, adaptée au contexte et aux attentes du client.

Pierre Berlioz a présenté les travaux en cours sur une charte éthique, complémentaire des règles déontologiques existantes. L’objectif est de créer un socle commun pour les avocats, les legaltech, les développeurs et les institutions. Cette charte introduit notamment un engagement d’accompagnement à la transition, afin d’aider les utilisateurs à comprendre les outils, leurs limites et leurs usages. L’ambition est de contribuer à un écosystème européen cohérent et sécurisé.

Une profession en transition

En conclusion, François Girault a rappelé que les transformations en cours ne relèvent pas de la prospective à long terme : elles sont déjà à l’œuvre. Le marché évolue, les clients évoluent et les outils sont disponibles. La profession doit donc s’approprier ces technologies pour rester compétitive et renforcer sa valeur ajoutée.

Arnaud Dumourier

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