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Arbitrage et développement durable : les enjeux juridiques se précisent

À l’heure où la transition écologique et les impératifs ESG s’imposent dans toutes les sphères de la société, l’arbitrage international n’échappe pas à cette mutation. Vanessa Thieffry, avocate chez Reed Smith et membre du Board de la Paris Arbitration Week, revient sur l’intégration croissante du développement durable dans la pratique arbitrale. Entre multiplication des normes, nouvelles obligations environnementales et sociales, et adaptation des institutions, l’arbitrage se redéfinit : d’un mécanisme centré sur les litiges commerciaux, il devient un outil confronté aux enjeux globaux de responsabilité et de durabilité.

Comment le développement durable s'est-il imposé comme un enjeu central dans l'arbitrage international ?

Le développement durable s'est imposé comme un enjeu transversal dans toutes les sphères de la société, y compris dans le monde du droit et de l'arbitrage international. Face à l'urgence climatique, à la multiplication des instruments juridiques et à l'évolution des attentes sociétales, l'arbitrage se trouve aujourd'hui à la croisée des chemins, appelé à intégrer de nouveaux standards et à répondre à des problématiques inédites. La Paris Arbitration Week, rendez-vous incontournable des praticiens de l'arbitrage, reflète cette dynamique et consacre une place croissante aux questions de durabilité, d'ESG et de transition énergétique grâce notamment à une conférence dédiée à cette thématique chaque année. Cette évolution témoigne d'une prise de conscience profonde au sein de la communauté arbitrale. Les acteurs de l'arbitrage, arbitres, conseils, institutions, sont désormais confrontés à des situations juridiques nouvelles qui dépassent le cadre strictement contractuel ou commercial traditionnel. Les questions liées à la transition énergétique, aux obligations environnementales et sociales des entreprises ou aux engagements environnementaux (y compris climatiques) de ces dernières aussi bien que des États se multiplient dans les différends soumis à l’arbitrage. Cette transformation n'est plus marginale : elle influence les pratiques et la profession. L'arbitrage, longtemps perçu comme un mécanisme privé de résolution des litiges purement commerciaux, compose désormais avec des impératifs qui transcendent les engagements contractuels des parties.

Quels sont les fondements juridiques qui sous-tendent cette intégration du développement durable dans le droit positif ?

Le développement durable a été défini en 1987 par le rapport Brundtland de la Commission mondiale sur l'environnement et le développement des Nations Unies comme « un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Cette notion, reprise lors du Sommet de la Terre de Rio en 1992, repose sur trois piliers : l'économie, le social et l'environnement. Elle a été intégrée dans de nombreux instruments internationaux, dont l'Agenda 2030 des Nations Unies et les 17 Objectifs de Développement Durable, ainsi que dans l'Accord de Paris sur le climat de 2015. L'intégration du développement durable dans le droit positif s'est accélérée ces dernières années, tant au niveau international, qu'européen et national. Au niveau international, la CIJ a tout récemment rendu un avis consultatif du 23 juillet 2025, énonçant notamment s’agissant des obligations des Etats en matière de changement climatique que « le droit international coutumier impose aux États des obligations relativement à la protection du système climatique et d’autres composantes de l’environnement ». Parmi ces obligations, une est susceptible d’exercer un impact indirect sur  le secteur privé : celle « de prévenir les dommages significatifs à l’environnement en agissant avec la diligence requise et de mettre en œuvre tous les moyens à leur disposition pour empêcher que les activités exercées dans les limites de leur juridiction ou sous leur contrôle causent des dommages significatifs au système climatique et à d’autres composantes de l’environnement, conformément à leurs responsabilités communes mais différenciées et à leurs capacités respectives ». L'Union européenne, quant à elle, a adopté des textes structurants tels que le Pacte vert pour l'Europe, la Directive sur les rapports de développement durable des entreprises (dite « CSRD »), la Directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité (dite « CS3D »), le Règlement Taxonomie et la toute récente Directive Omnibus, imposant aux entreprises des obligations accrues en matière de transparence et de gestion des impacts environnementaux et sociaux. En France, la Charte de l'environnement de 2004, adossée à la Constitution, garantit le droit de chacun à un environnement sain. Ce droit a été conforté par le Conseil constitutionnel régulièrement, et encore dans sa décision du 27 octobre 2023, soulignant que la législation doit préserver les droits des générations futures. Cette évolution se traduit par une multiplication de normes.

Quelles sont les implications concrètes de cette évolution pour la pratique de l'arbitrage et pour les praticiens ?

Cette multiplication des normes relatives au développement durable et à la responsabilité environnementale et sociale des entreprises a des implications directes et concrètes pour la pratique de l'arbitrage international. Les praticiens – qu'ils soient arbitres ou conseils – doivent désormais intégrer ces nouvelles dimensions juridiques dans leurs analyses et leurs stratégies contentieuses. Les contrats intègrent de plus en plus des clauses ESG, des engagements de performance à objectif climatique ou de reporting qui peuvent faire l’objet de désaccords dans l'exécution des contrats. Par ailleurs, les arbitres sont amenés à interpréter et à appliquer ces nouvelles normes, ce qui soulève des questions complexes et exige une veille juridique constante. La dimension multigénérationnelle du développement durable – la préservation des droits des générations futures – introduit également une perspective temporelle nouvelle dans l'analyse des litiges. Enfin, la légitimité même de l'arbitrage est en jeu : dans un contexte où les attentes sociétales évoluent rapidement, les acteurs de l'arbitrage eux-mêmes sont amenés à démontrer que ce mode de résolution des différends peut respecter les objectifs de durabilité. Ainsi, par exemple, les institutions d'arbitrage commencent à adapter leurs règlements et leurs pratiques pour tenir compte de ces enjeux, notamment en matière d'empreinte carbone des procédures ou de transparence accrue.

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