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L’occultation du domicile personnel des dirigeants de sociétés dans le RCS

Face à la multiplication des agressions, enlèvements, usurpations d’identité et harcèlements de dirigeants de sociétés et de leurs proches, le Gouvernement a adopté le décret n°2025-840 du 22 août 2025 qui établit un nouveau dispositif à l’article R. 123-54-1 du Code de commerce. Celui-ci permet de solliciter l’occultation de l’adresse du domicile personnel des dirigeants dans le registre du commerce et des sociétés (RCS). Explications par Anne-Laure Villedieu, avocate associée, CMS Francis Lefebvre Avocats ; Jean-Charles Daguin, avocat counsel, CMS Francis Lefebvre Avocats ; Benjamin Bénézeth, avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats.

Le décret n°2025-840 vise à protéger la sécurité et la vie privée des dirigeants de sociétés. Toutefois, en raison du périmètre limité du dispositif mis en place , il n’est pas certain que l’objectif recherché puisse être atteint. Ainsi, afin d’assurer un degré de protection effectif, il apparaît nécessaire de compléter toute demande d’occultation fondée sur ce dispositif par une demande d’exercice des droits prévue par le règlement général sur la protection des données (RGPD).

Le périmètre de la demande d’occultation

Comment faire une demande d’occultation ?

Depuis le 25 août 2025, les dirigeants de sociétés immatriculées au registre du commerce, ainsi que les associés indéfiniment responsables des dettes de ces sociétés (e.g. sociétés civiles, sociétés en nom collectif ou en commandite simple) peuvent solliciter l’occultation de l’indication de leur domicile personnel dans le RCS auprès du greffe du tribunal de commerce compétent en formulant une demande en ce sens sur le guichet unique des entreprises.

Les contours exacts de ce nouveau dispositif doivent encore être clarifiés : par exemple, un ancien dirigeant ou associé, qui ne figure plus sur le K-Bis en tant que tel mais dont les données personnelles sont pourtant indiquées sur des actes antérieurs, peut-il lui aussi faire une telle demande ? De même, les membres d’un organe de gouvernance de SAS qui n’est ni un conseil d’administration, ni un conseil de surveillance, mais dont le nom et l’adresse apparaissent pourtant sur le K-Bis, peuvent-ils en bénéficier ?

La demande peut être réalisée à tout moment, y compris lors de l’enregistrement de l’acte. Elle est traitée dans un délai de cinq jours francs ouvrables après sa réception par le greffier du tribunal de commerce. En l’absence de réponse dans ce délai, le demandeur peut saisir le juge commis à la surveillance du RCS.

Quelles sont les modalités de l’occultation ?

L’occultation ne peut porter que sur l’information relative au domicile personnel des dirigeants. Aucune autre donnée personnelle ne peut être occultée par le biais de cette procédure. En pratique, l’adresse personnelle du dirigeant est occultée des versions du KBIS et/ou de tout autre acte accessible au public. Une version originale non occultée est néanmoins conservée par le greffe à titre de pièce justificative.

L’occultation n’est pas totale. Les informations relatives au domicile personnel restent accessibles à certaines autorités et administrations publiques, organismes et professions règlementées, ainsi qu’aux associés, représentants et créanciers de la société du dirigeant.

Quel est le prix d’une demande d’occultation ?

L’occultation n’est gratuite qui si elle est faite à l’occasion d’une formalité (immatriculation, modification ou radiation). En cas de demande payante, le tarif est de 53,38 € TTC pour une occultation sur un KBIS et 7,63 € TTC par acte pour l’occultation sur tout autre acte.

Les limites de la demande d’occultation

Depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, les informations sur les sociétés immatriculées au RCS peuvent être réutilisées par des diffuseurs de données publiques, c’est-à-dire des sociétés ou administrations qui bénéficient d’une licence de rediffusion de données publiques et qui rendent celles-ci disponibles en open data.

Ces informations contiennent notamment des données personnelles relatives aux dirigeants, dont l’adresse de leur domicile personnel, mais pas seulement. En effet, il n’est pas rare d’identifier d’autres informations personnelles - telles que la date et le lieu de naissance, l’état civil, le régime matrimonial – qui ne semblent pas avoir leur place dans le cadre de la rediffusion de données publiques.

Or, les diffuseurs de données publiques ne sont pas directement concernés par le dispositif de demande d’occultation et les données qu’ils rediffusent y échappent donc en principe. Par exception, lorsque le domicile personnel aura été occulté au moment de l’enregistrement de l’acte auprès du greffe, il sera déjà occulté au moment de sa rediffusion. Pour les actes déjà enregistrés et rediffusés, à ce stade, il n’est pas certain que les diffuseurs les mettent à jour d’une éventuelle occultation du domicile personnel réalisée par le greffe.

Ce sont donc autant de données personnelles qui sont d’ores et déjà accessibles en ligne et qui risquent de ne pas être occultables par le biais du dispositif instauré par le décret n°2025-840. Et c’est justement le problème : la republication des informations personnelles des dirigeants par les diffuseurs de données publiques est dangereuse car leurs pages internet sont référencées sur les moteurs de recherche, ce qui en facilite beaucoup l’accès et donc augmente le risque d’utilisation à des fins criminelles et frauduleuses.

La demande d’exercice des droits du RGPD

Pour obtenir l’occultation de leurs données personnelles traitées par les diffuseurs, les dirigeants, et anciens dirigeants, devront faire une demande d’exercice de leurs droits, en qualité de personnes concernées par un traitement de données personnelles, sur le fondement du RGPD. En tant que responsable du traitement, le diffuseur de données publiques sera tenu d’y répondre dans un délai d’un mois et, si elle est fondée, de procéder à l’occultation.

Le recours à une demande fondée sur le RGPD est d’autant plus justifié que dans le cadre d’une telle demande, l’occultation n’est pas limitée au domicile personnel et peut porter sur toutes données personnelles à partir du moment où ces données ne sont pas pertinentes pour le traitement réalisé par le diffuseur.

Anne-Laure Villedieu, avocate associée, CMS Francis Lefebvre Avocats ; Jean-Charles Daguin, avocat counsel, CMS Francis Lefebvre Avocats ; Benjamin Bénézeth, avocat, CMS Francis Lefebvre Avocats

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