La rentrée de septembre 2025 confirme une tendance lourde du droit pénal des affaires en France : la justice négociée, à travers les conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP), n’est plus une exception. Elle devient un instrument de régulation normalisé, utilisé par le Parquet national financier (PNF) et désormais intégré dans la stratégie des entreprises. En parallèle, l’Agence française anticorruption (AFA) met l’accent sur la due diligence des tiers, un domaine qui concentre la plupart des risques résiduels.
Explications par Jean Tamalet, avocat associé chez King & Spalding.
Une pratique désormais banalisée
Depuis l’instauration de la CJIP par la loi Sapin II, une soixantaine de conventions ont été conclues en France. Rien qu’en 2025, plusieurs dossiers emblématiques ont trouvé une issue négociée, notamment dans les secteurs de l’énergie, des infrastructures et de l’environnement.
Le PNF affiche une politique claire : privilégier la voie transactionnelle lorsqu’une entreprise coopère pleinement, met en place des mesures correctives et accepte une sanction financière proportionnée. L’image d’un mécanisme rare ou réservé aux multinationales a vécu : les ETI et les groupes français de taille intermédiaire sont désormais concernés.
En clair, pour un dirigeant, la question n’est plus “CJIP ou pas CJIP ?”, mais “comment se préparer à une CJIP ?”.
La pression accrue sur les dirigeants
Ce mouvement s’accompagne d’une évolution culturelle. Les magistrats du PNF attendent des dirigeants une implication directe dans la résolution des affaires. L’entreprise doit démontrer que la gouvernance a pris le problème à bras-le-corps : enquête interne diligente, coopération avec les autorités, mise en place d’un plan de remédiation crédible.
À défaut, la négociation est compromise et la perspective d’un procès pénal classique se renforce, avec les risques personnels que cela comporte pour les dirigeants.
Autrement dit, la CJIP n’est pas un “droit” ouvert à tous, mais une opportunité conditionnée à la démonstration de bonne foi et de responsabilité.
Les attentes implicites du PNF
Même si aucun barème officiel n’existe, l’expérience des dernières CJIP permet d’identifier quelques constantes:
- La rapidité : l’entreprise doit être en mesure de produire des informations fiables et complètes dans un délai court (souvent quelques semaines).
- La transparence : la rétention d’informations est rédhibitoire. Les magistrats valorisent la sincérité et sanctionnent le double discours.
- La remédiation : le plan de conformité et de gouvernance mis en place pèse lourd dans l’évaluation finale.
Pour un dirigeant, cela signifie que les décisions stratégiques doivent être prises en urgence, souvent dans un contexte de crise médiatique et financière.
L’enjeu croissant de la due diligence des tiers
C’est dans ce contexte que l’AFA a ouvert, jusqu’au 30 septembre 2025, une consultation publique sur ses nouvelles fiches pratiques d’évaluation des tiers. Le message est clair : la prévention de la corruption et du blanchiment passe par une maîtrise renforcée des partenaires commerciaux.
Pourquoi cet accent sur les tiers ? Parce que la plupart des affaires de corruption, de fraude ou de sanctions contournées trouvent leur origine dans des distributeurs, agents commerciaux, sous-traitants ou coentreprises. Les entreprises peuvent mettre en place les meilleurs codes de conduite internes, si elles ne maîtrisent pas leurs tiers, elles restent exposées.
Pour un dirigeant, l’enjeu est donc double : réduire le risque pénal de l’entreprise et démontrer, en cas de CJIP, que le dispositif de due diligence est solide et opérationnel.
Les nouvelles attentes en matière de due diligence
L’approche qui se dessine est plus exigeante qu’auparavant :
- Segmentation des tiers : ne pas appliquer les mêmes contrôles à un petit fournisseur local et à un agent commercial dans une zone sensible, mais bâtir une typologie claire (faible, moyen, élevé).
- Vérification renforcée : pour les tiers à risque élevé, recourir à des bases de données spécialisées, vérifier les bénéficiaires effectifs, analyser les liens politiques (PEP).
- Clauses contractuelles robustes : prévoir des engagements précis de conformité, des droits d’audit et des mécanismes de rupture en cas de violation.
- Surveillance continue : la due diligence ne s’arrête pas à la signature du contrat ; il faut mettre en place un suivi dans la durée, avec des alertes en cas de changement de situation.
Ces éléments deviennent désormais des critères implicites d’évaluation par le PNF et l’AFA dans les CJIP.
Les dirigeants en première ligne
Les autorités attendent des dirigeants qu’ils s’approprient personnellement ces dispositifs. Il ne suffit pas de déléguer au service compliance ou juridique. La gouvernance doit être capable de démontrer que le conseil d’administration et la direction générale ont validé la cartographie des tiers, ont été informés des alertes, et ont arbitré en connaissance de cause.
En cas de CJIP, cette démonstration peut faire la différence entre une sanction financière “raisonnable” et une amende record. À l’inverse, l’absence d’implication de la direction peut pousser le PNF à considérer que l’entreprise n’a pas véritablement changé de culture, et donc refuser la voie négociée.
Un instrument stratégique de gestion de crise
La CJIP n’est pas seulement un outil juridique, c’est aussi un instrument stratégique de gestion de crise. Bien utilisée, elle permet de contenir le risque réputationnel, de rassurer les investisseurs et de tourner rapidement la page.
Mais elle suppose une préparation en amont :
- Disposer d’une capacité d’enquête interne (forensic, e-discovery, audit comptable) ;
- Prévoir un protocole de coopération avec les autorités ;
- Bâtir un plan de remédiation prêt à être mis en œuvre.
En somme, une entreprise qui s’est préparée avant la crise pourra négocier dans de bonnes conditions. Une entreprise qui improvise aura peu de chances de convaincre.
Conclusion : de la contrainte à l’opportunité
La montée en puissance des CJIP et l’accent mis sur la due diligence des tiers traduisent une évolution majeure du droit pénal des affaires en France. Les dirigeants doivent comprendre que la justice négociée n’est plus une curiosité, mais une réalité qui structure désormais la relation entre les entreprises et les autorités.
Plutôt que de la subir, il est possible de l’anticiper et de la transformer en opportunité. Une entreprise qui démontre sa capacité à enquêter, à coopérer et à remédier rapidement envoie un signal positif au marché, aux régulateurs et aux investisseurs.
En 2025, le dirigeant qui veut protéger son entreprise – et sa propre responsabilité – doit donc mettre la CJIP readiness et la due diligence des tiers au cœur de sa gouvernance. C’est le prix, mais aussi la condition, d’une crédibilité durable.
Jean Tamalet, avocat associé chez King & Spalding
