Le 12 novembre, lors de son audition devant la commission des Lois du Sénat, le ministre de la Justice Gérald Darmanin a évoqué l'impact de l’intelligence artificielle (IA) dans le fonctionnement judiciaire, à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2026.
À la question des moyens humains – nombre de magistrats et de greffiers – le garde des Sceaux a opposé une réflexion plus large : « Si à la question de l’IA utilisée par les notaires, par les avocats, par les citoyens, nous répondons nombre de greffiers, nombre de magistrats, on va avoir beaucoup de mal à répondre. »
L’IA, un outil déjà utilisé par les praticiens
Le ministre a rappelé que les professionnels du droit recourent déjà à des solutions d’IA capables, par exemple, de détecter en quelques instants une trentaine de nullités dans un dossier de 600 pages. « On ne peut pas répondre greffier supplémentaire, magistrat supplémentaire à toutes les demandes faites par exemple par une partie que seraient les avocats. Il faut qu’on réponde, nous aussi. » Cette remarque traduit la nécessité pour l’institution judiciaire de s’adapter à une pratique qui s’impose déjà dans les cabinets.
Une mission dédiée et des moyens budgétaires
Pour encadrer cette évolution, une première mission a été confiée au directeur adjoint de l’Observatoire national de la magistrature. « Nous avons désormais 15 équivalents temps plein, ils sont d’ailleurs dans le budget que vous allez, j’espère, voter », a précisé le ministre. L’objectif est de développer des usages maîtrisés et sécurisés, alors que certains magistrats utilisaient déjà des logiciels non contrôlés, exposant des données sensibles au risque de fuite.
Vers un modèle français souverain
Le ministre a insisté sur la nécessité de bâtir un modèle français d’IA juridique, hébergé dans un cloud national. « Ce qu’on doit faire, c’est enrichir un modèle français qui garantit, dans un cloud français, que le secret de l’instruction et le secret des affaires soient protégés et qu’ils ne dépendent pas d’un serveur américain, israélien ou chinois. » Gérald Darmanin a mis en garde contre les risques d’ingérence et d’espionnage, rappelant que « l’extraterritorialité et l’ingérence, parfois même l’espionnage, peuvent toucher par exemple le parquet national financier lorsqu’il enquête sur de grands industriels français en concurrence avec de grands industriels américains. »
Des applications concrètes
Le ministre a détaillé plusieurs usages possibles de l’IA dans la justice. « Par exemple, des logiciels de retranscription en direct, et pas simplement une greffière qui tape lorsque vous passez devant le cabinet du juge d’instruction. Par exemple, la lecture rapide de pièces où il manquait des signatures ou des demandes de remise en liberté pour éviter d’avoir des nullités. Par exemple, la synthèse de documents très nombreux d’un dossier volumineux. Par exemple, l’écriture d’un réquisitoire pour un procureur de la République. »
Il a également évoqué des applications dans l’administration pénitentiaire : « Avec l’IA, on peut mieux lutter contre les drones, on peut mieux sélectionner les repas des détenus… enfin bref, avec l’IA, vous faites énormément de choses. »
Une diplomatie juridique à préserver
Enfin, le ministre a rappelé que le droit civil français, héritier du Code napoléonien, constitue une référence partagée par un tiers des pays du monde. « Le Vietnam et beaucoup de pays d’Afrique utilisent le droit civil français et il faut qu’on les aide aussi à porter cela. » L’IA doit donc servir non seulement à moderniser la justice nationale, mais aussi à défendre une conception du droit qui participe de la diplomatie juridique française.
Arnaud Dumourier
