5. Prestations de conseil : inefficacité d’une clause de bonus ambiguë
Dans un arrêt du 24 juin 2014 (7), la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle qu’une clause ambigüe est inefficace et qu’il appartient au juge de l’interpréter en recherchant la commune intention des parties. En l’espèce, la société Crédit Immobilier de France-Développement (« CIF-D ») avait conclu avec un consultant, spécialiste du sauvetage de grands projets informatiques en difficulté, un contrat de prestation de conseil en informatique. Ce contrat prévoyait une rémunération fixe de 3 000 euros par jour et un bonus compris entre 5% et 18% de la rémunération fixe lorsque les objectifs convenus entre les parties seraient atteints. Ces objectifs consistaient à prendre la DSI du groupe CIF-D et la direction opérationnelle du GIE i-CIF jusqu’au recrutement d’un nouveau directeur, d’assister la société CIF-D et de prendre toutes mesures pour résoudre les problèmes de fonctionnement du GIE i-CIF concernant un projet de convergence vers un système unique.
Après l’accomplissement de cette mission conformément à ces objectifs, le consultant a assigné la société CIF-D en paiement d’un bonus de 18% (soit 1.152.660 euros), cette dernière lui ayant seulement versé un bonus à hauteur de 5% (soit 68.929 euros).
En première instance (T. com. Paris, 10 nov. 2010, RG n° 2009009643) et en appel (CA Paris, pôle 5 ch. 11, 22 févr. 2013, RG n° 11/10225), les juges ont retenu que la fixation du montant du bonus relevait de l’appréciation discrétionnaire de la société CIF-D qui pouvait valablement le limiter à 5% de la rémunération fixe en considération des dépenses "considérables" exposées par elle lors de cette mission.
La Cour de cassation considère au contraire, au visa de l’article 1134 du Code civil, que la clause était ambiguë, celle-ci ne précisant pas selon quels critères et modalités devait être déterminé le montant du bonus, et qu’il appartenait donc aux juges du fond de l’interpréter en recherchant la commune intention des parties.
Cet arrêt illustre une nouvelle fois tout l’intérêt de clauses claires et précises et, inversement, les difficultés qui peuvent naître en présence de clauses ambiguës. L’intérêt de l’arrêt commenté réside dans le degré de précision qui est exigé des parties. En effet, l’article 2 alinéa 2 du contrat de prestation conseil prévoyait bien le paiement d’un bonus « compris entre 5 et 18 % des sommes payées à M. X en rémunération de ses prestations » mais ne prévoyait pas selon quelles modalités devait in fine être fixé le bonus dans cette fourchette. Les parties s’opposaient donc sur ce point. L’enjeu était purement financier puisque le client ne contestait pas que le consultant ait mené à bien cette mission mais entendait simplement réduire une facture un peu trop lourde. A cet effet, elle allait même jusqu’à former une demande reconventionnelle visant à obtenir l’indemnisation d’une prétendue violation par le consultant de son obligation de confidentialité du fait de la production dans le cadre de la procédure des éléments permettant d’attester les diligences accomplies !
En réponse, le consultant alléguait maladroitement le caractère potestatif de la clause sans toutefois retenir la nullité qui s’attache à cette qualification, de nature à le priver de toute prime. Il invitait les juges à l’interpréter et à constater qu’il avait parfaitement rempli les objectifs qui lui étaient fixés, justifiant qu’il perçoive l’intégralité du bonus.
La Cour de cassation a finalement arbitré en faveur du consultant, mettant en exergue les lacunes de la clause litigieuse et cassé l’arrêt d’appel. Le contrat ne stipulait pas que la détermination de la rémunération variable était laissée à l’appréciation du client, ni ne prévoyait de corrélation entre le montant du bonus et le degré de réalisation des objectifs ou encore les dépenses exposées par la société dans le cadre de la mission. Ainsi, en présence d’une clause ambigüe, il revenait aux juges d’appliquer les règles d’interprétation des contrats des articles 1156 et suivants du code civil et de rechercher la commune intention des parties. La solution est parfaitement cohérente et doit être approuvée. On s’étonne simplement que cet arrêt soit rendu au seul visa de l’article 1134 du code civil qui fait du contrat la loi des parties et non au double visa de cet article et de l’article 1156 précité.
Faut-il y voir que le contrat est la loi des parties…même quand il est ambigu ? La Cour de cassation semble en effet davantage reprocher aux juges d’avoir considéré que la clause était claire que les conséquences qu’ils en ont tirées.