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Dior et la contrefaçon de sneakers de luxe : entre protection des créations et appréciation du préjudice

Par jugement du 26 septembre 2025, le Tribunal judiciaire de Paris a retenu la contrefaçon de droits d’auteur et de modèles de plusieurs modèles de baskets de DIOR par la société CLAROSA et ses fournisseurs. Analyse de ce jugement par Agathe Zajdela, avocate of counsel chez DTMV Avocats.

  1. Contexte du litige : la commercialisation de copies de sneakers DIOR par CLAROSA et ses fournisseurs

Dans cette affaire, DIOR avait assigné la société CLAROSA en raison de la commercialisation, sur son site internet www.clarosa.com (aujourd’hui en liquidation judiciaire), de copies de ses sneakers Walk’n’Dior montantes, Dior-ID, B 27 Mid et Walk’n’Dior bas. À la suite d’une saisie-contrefaçon diligentée en amont de l’instance, DIOR avait identifié les fournisseurs des produits litigieux et les avait également appelés en la cause, à savoir les sociétés GOWIN, BELLOSTAR et EWANYSHOES.

  1. L’étendue de la protection des sneakers DIOR invoquées

Concernant tout d’abord les baskets DIOR ID, le tribunal a reconnu leur protection par le droit d’auteur et caractérisé la contrefaçon de droits d’auteur et de modèle compte tenu de leur copie servile par CLAROSA :

sneakersdior id

Il en est de même concernant les sneakers WALK N DIOR montantes, reconnues comme étant protégées par le droit d’auteur :

walkndior

La contrefaçon est aussi retenue en présence de copies serviles, mais la responsabilité du fournisseur désigné par CLAROSA, la société EWANY SHOES, est écartée faute de preuves suffisantes (les références des sneakers litigieuses n’étant pas mentionnées sur les factures …).

En revanche, s’agissant des sneakers B27 MID ci-après reproduites, le tribunal a refusé la protection par le droit d’auteur au motif que « les empiècements de cuir juxtaposés et superposés, leur découpage géométrique, les surpiqûres, perforations et le strap de cette chaussure ne présentent pas un aspect singulier qui lui permettrait d’être original » et qu’« il n’est pas démontré que la chaussure Dior B27 Mid porte l’empreinte de la personnalité d’un auteur » :

sneakersb27

Pourtant, la protection au titre du modèle communautaire non enregistré est admise. Il semble ainsi qu’en pratique, l’absence d’antériorités pertinentes suffise à caractériser l’éligibilité à la protection par le dessin ou modèle communautaire non enregistré, tandis que l’exigence tenant à l’empreinte de la personnalité, propre au droit d’auteur, fait l’objet d’une appréciation plus rigoureuse.

Toutefois, la contrefaçon est écartée en l’absence d’« impression visuelle d’ensemble identique ».

En dernier lieu, concernant les sneakers Walk’n’Dior bas ci-dessous reproduites,

seneakerswalkndiorbas

DIOR invoquait la contrefaçon de ses marques dior article1 et dior article2, laquelle est retenue par le tribunal aux motifs que « La société Clarosa a commercialisé sur son site internet un modèle de basket bleue portant un imprimé similaire à la marque de la société Dior, reproduite au 1 supra en particulier la juxtaposition superposée et stylisée de la lettre majuscule « D » et des lettres « i » et « o » pour des produits identiques à ceux visés par les certificats de dépôt, les chaussures. ».

Le Tribunal se livre donc dans cette affaire à une appréciation didactique de la contrefaçon de droits d’auteur, de modèles et de marques qu’on ne peut que saluer.

  1. L’épineuse question de la preuve de la masse contrefaisante et de la réparation du préjudice

Toutefois, et comme c’est malheureusement souvent le cas, la réparation est loin d’être satisfaisante, la preuve de la masse contrefaisante reposant exclusivement sur le titulaire de droits, même lorsque les contrefacteurs tiennent une comptabilité volontairement opaque, sans références sur les factures permettant de calculer de manière fiable et précise la masse contrefaisante.

En conséquence, seuls les modèles dénombrés chez CLAROSA dans le cadre des opérations de saisie contrefaçon sont retenus (et les fournisseurs qui sont des grossistes et ont nécessairement vendu des modèles en parallèle ne sont pas condamnés pour ces derniers).

En outre, même pour ces modèles qui ne reflètent pas la masse contrefaisante réelle, le Tribunal relève que la marge perdue est dérisoire : « Les conséquences économiques négatives de la contrefaçon au titre du manque à gagner tiennent compte de ce que certains consommateurs peuvent s’être contentés d’une contrefaçon de mauvaise qualité au lieu d’acheter la chaussure de la société Dior. Cette situation doit être considérée comme peu fréquente au regard de la différence de prix à la vente au consommateur final. Les chaussures Dior-ID sont vendues au prix de 890 euros contre 29, 99 euros pour les chaussures contrefaisantes. Les chaussures Walk’n’Dior montantes sont vendues au prix de 790 euros contre 39, 99 euros pour les chaussures contrefaisantes. ». Il en résulte donc, d’après le Tribunal, un préjudice très limité au titre du gain manqué.

Enfin, le tribunal admet que s'y ajoute également « l’atteinte à l’image de marque de la société Christian Dior Couture dont la chaussure, protégée par un modèle et par le droit d’auteur, est banalisée et vulgarisée », mais limite la réparation totale à hauteur de seulement 4 000 € pour le fournisseur GOWIN et 4 000 € pour CLAROSA…

  1. Enseignements pratiques à retenir

En définitive, cette décision illustre les exigences particulièrement élevées pesant sur les titulaires de droits en matière de démonstration du préjudice résultant d’actes de contrefaçon. Elle rappelle que l’évaluation de la réparation demeure étroitement liée aux éléments de preuve effectivement versés aux débats, notamment s’agissant de la masse contrefaisante et des conséquences économiques négatives invoquées.

D’un point de vue pratique, ce jugement souligne l’importance, pour les titulaires de droits, d’anticiper la question indemnitaire dès le stade des mesures probatoires, en structurant avec soin la collecte des données comptables et commerciales exploitables. Il met également en lumière les limites de l’exercice lorsque les défendeurs tiennent une comptabilité peu détaillée ou difficilement exploitable.

Agathe Zajdela, avocate of counsel chez DTMV Avocats

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