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Commande publique : que faire quand une collectivité publique ne paie pas ?

Etienne Amblard (counsel) et Pauline Gallardo (collaboratrice), avocats chez GideEn cette période de restriction budgétaire, des collectivités publiques peinent parfois à payer leurs prestataires ou payent ces derniers avec retard. Décryptage des solutions et des pièges à éviter par Etienne Amblard (counsel) et Pauline Gallardo (collaboratrice), avocats chez Gide.

Des intérêts moratoires sont-ils dus par les collectivités publiques en cas de retard de paiement de leur prestataire ?

Au-delà du délai de paiement prévu par les textes (30 jours à compter de la réception de la facture pour l’Etat, les collectivités territoriales et leurs établissements publics), des intérêts moratoires sont systématiquement dus aux titulaires de contrats de la commande publique.

Le taux de ces intérêts moratoires, pour les contrats conclus depuis le 16 mars 2013, est égal au taux de la BCE, majoré de 8 points de pourcentage (soit à ce jour 8,05 %). S’ajoute à ces intérêts moratoires une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement, dont le montant est actuellement fixé à 40 euros.

Les intérêts moratoires et l’indemnité forfaitaire sont dus de plein droit aux titulaires de contrats de la commande publique. En pratique, cela signifie qu’ils sont exigibles sans qu’il soit nécessaire d’envoyer à l’acheteur public une lettre recommandée avec avis de réception, afin de déclencher le droit de les percevoir.

Les intérêts moratoires commencent à courir le lendemain de l’expiration du délai de paiement et ce, jusqu’à la date de mise en paiement incluse. Tant les intérêts moratoires que l’indemnité forfaitaire sont payés dans un délai de 45 jours suivant la mise en paiement du principal.

Peut-on interrompre une prestation en cas de défaut de paiement d’une collectivité publique ?

Interrompre l’exécution des prestations, en cas de défaut de paiement d’une collectivité publique, peut s’avérer efficace.

L’interruption des prestations est admise si le défaut de paiement de la collectivité publique empêche le prestataire d’exécuter son contrat (CAA Bordeaux 7 mars 2006, SARL Régie 5, req. n° 02BX01110).

Dans les autres hypothèses, le cocontractant d’une collectivité publique ne peut en principe se prévaloir d’une défaillance de l’administration dans le paiement des prestations, pour cesser d’exécuter ses propres obligations (CE 8 octobre 2014, Société Grenke Location, req. n° 370644). Cette différence notable par rapport aux règles de droit privé s’explique par des considérations d’intérêt général (en particulier la nécessité d’assurer la continuité du service public).

En théorie, le cocontractant peut seulement saisir le juge du contrat en vue de demander dommages-intérêts, voire solliciter la résiliation du contrat pour faute de la collectivité publique (CAA Bordeaux 7 mars 2006, SARL Régie 5, précité).

En pratique, on relève peu de cas où la responsabilité d’une entreprise est engagée parce qu’elle a interrompu ses prestations à la suite d’un défaut de paiement de la collectivité publique.

En cas de refus de paiement, faut-il établir une réclamation financière préalable ?

Dans le cas des marchés publics, le titulaire doit en général présenter à la collectivité publique, une réclamation financière préalable, avant d’introduire tout recours contentieux.

Les règles applicables à cette réclamation sont définies au sein des cahiers des clauses administratives générales (article 37 des CCAG-FCS et CCAG-PI, article 50 du CCAG-Travaux, article 42 du CCAG-MI et article 47 du CCAG-TIC).

Ces règles sont davantage détaillées dans le CCAG-Travaux. Les réclamations formulées dans le cadre de ces marchés sont plus complexes et appellent une vigilance accrue.

S’agissant des autres CCAG, ces règles peuvent être résumées ainsi : la réclamation doit être motivée et indiquer le montant des sommes réclamées. Elle doit impérativement être communiquée à la collectivité publique dans un délai de deux mois à compter du jour où le différend financier est apparu. Celle-ci dispose alors d’un délai de deux mois pour y répondre, l’absence de réponse dans ce délai valant rejet de la réclamation.

En résumé, une attention particulière doit être portée à la forme de la réclamation (motifs) et aux délais. A défaut de respect de ce formalisme, l’éventuelle saisine future du juge pourrait s’avérer irrecevable.

Existe-t-il des instances de conciliation ?

En matière de marché public, la saisine du comité consultatif de règlement amiable des litiges (national ou local) est une alternative à la saisine du juge (art. 127 du Code des marchés publics).

Ses points forts résident dans le caractère relativement informel de la saisine du comité, les délais d’instruction assez courts (moins de 6 mois) et la suspension automatique des délais de recours contentieux et de prescription pendant l’instruction du dossier.

Son intérêt est néanmoins limité par les éléments suivants : le comité n’offre pas les mêmes garanties procédurales qu’une juridiction (en termes de contradictoire notamment), l’instruction du dossier est faite par un rapporteur systématiquement issu de l’administration et l’avis rendu présente un caractère facultatif (la personne publique pouvant décider de le suivre ou non).

En pratique, cette procédure de conciliation est peu utilisée. Les parties peuvent y être représentées par avocat et les avis rendus sont la plupart du temps suivis par les pouvoirs adjudicateurs.

Peut-on obtenir un résultat rapide au contentieux ?

Oui. Il existe, devant le juge administratif, une procédure de référé provision qui peut être mise en œuvre sans condition d’urgence et sans nécessité de déposer une requête au fond (Art. 541-1 du code de justice administrative).

Une provision est versée dès lors qu’est démontrée l’existence d’une obligation non sérieusement contestable. Les éléments soumis au juge du référé doivent établir l’existence de cette obligation avec un degré suffisant de certitude (CE 6 décembre 2013, M. Thévenot, req. n°363290).

Elle peut résulter notamment des pièces de nature contractuelle mettant indiscutablement à la charge de la partie adverse des créances (facture non payée par exemple).

En pratique, une décision peut être raisonnablement obtenue dans un délai de 6 mois, parfois un peu plus en fonction de l’encombrement du rôle du tribunal.

Etienne Amblard (counsel) et Pauline Gallardo (collaboratrice), avocats chez Gide

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