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Quel accès au droit pour les artistes ? 

Bilan en quatre points de l’aide juridique apportée à la création par Marion Deleporte, doctorante en droit privé à l'Université Jean Moulin Lyon 3, élève avocate à l'EFB et membre du Barreau des Arts.

Le célèbre adage « nul n'est censé ignorer la loi » impose une double exigence : pouvoir connaître la règle de droit et la comprendre. Tels sont les enjeux fondamentaux de l'accès au droit.

Pour les artistes, comprendre et appliquer la règle juridique dépend largement de l'expertise d'acteurs spécialisés. C'est sur la base de rencontres et d’échanges avec divers professionnels du monde de l’art et du droit (juristes, représentants d'organismes, artistes) qu'un premier bilan a pu être dressé.

  1. Le savoir peu maîtrisé du droit de l’art

Chaque citoyen doit pouvoir connaître ses droits et obligations ou consulter un professionnel pour l'aider à les assimiler, l’exigence d’accessibilité constituant un objectif de valeur constitutionnelle [1]. Pourtant, l’art et sa régulation juridique demeurent souvent peu accessibles. Ce domaine emprunte des règles à plusieurs branches classiques du droit (pénal, civil, administratif) et comprend des corpus normatifs spécifiques, tels que le décret Marcus ou la loi Bardoux. En conséquence, peu de juristes maîtrisent toutes les subtilités légales de ce secteur. Il existe donc un risque que des praticiens non spécialisés négligent involontairement ce cadre particulier.

Les structures habituelles de l’accès au droit (conseils départementaux d'accès au droit, cliniques juridiques, INPI [2] pour certains aspects) répondent difficilement aux besoins des artistes car elles ne les ciblent pas directement. Cette lacune expose les créateurs à des violations de leurs droits, impactant directement leurs revenus et leur capacité à créer. Faute de moyens juridiques suffisants pour défendre son image, l'intégrité de son œuvre ou sa qualité de créateur, l'artiste peine alors à s'affirmer pleinement comme « auteur » avec les prérogatives qui y sont associées.

Plus généralement, l'absence de communication sur ce cadre juridique, plonge tous les acteurs de l'art dans un flou ambiant et une méconnaissance des règles applicables.

  1. Mieux comprendre les besoins pour mieux aider

L’artiste n'étant pas juriste, il ne peut deviner intuitivement les connaissances juridiques qui lui seraient nécessaires. Il incombe donc aux professionnels d'identifier les problématiques pratiques récurrentes. 

L'une des principales sources de confusion réside dans la distinction entre l’idée (non protégeable en soi) et l'œuvre formalisée, seule susceptible de protection juridique. Le droit d’auteur vise en effet un équilibre : récompenser l’effort créatif sans entraver la liberté de création. Il est aussi fréquent que la composition des droits d'auteur soit méconnue comprenant les droits patrimoniaux (exploitation commerciale) et les droits moraux (protection de l'œuvre et du lien artiste-création).

De surcroît, des questions concrètes se posent concernant le statut professionnel, la fiscalité et la négociation des contrats.

Une meilleure maîtrise de ces éléments permettrait aux créateurs non seulement de mieux se protéger, mais aussi d'aborder leur parcours avec un regard éclairé, évitant de se sentir lésés, notamment lors de la contractualisation ou de l'exploitation de leurs œuvres. Le droit, loin d'être une simple contrainte, peut alors devenir un outil structurant et une assurance de relations professionnelles équilibrées.

  1. Les acteurs : de la motivation aux actes

L'accès au droit pour les artistes bénéficie heureusement de nombreuses initiatives.

Des acteurs centraux, au premier rang desquels les sociétés de gestion collective, apportent une aide précieuse. Parmi les plus notoires, citons l'ADAMI [3] (artistes-interprètes), la SGDL [4] (auteurs de l’écrit), l’ADAGP [5] et la SAIF [6] (artistes visuels). Elles offrent divers services, de la gestion des droits à l'accompagnement juridique. Thierry Maillard, directeur juridique de l’ADAGP, souligne l'importance de la pédagogie dispensée par ces organismes par des orientations adaptées. Le coût d'adhésion ou d'accès à ces aides reste souvent modeste (parfois autour de 15 à 30 euros), rendant leur soutien accessible, y compris aux créateurs précaires.

Au niveau national, la politique culturelle affiche un engagement envers l'accessibilité, comme en témoigne le décret du 24 mai 2017 sur les missions du ministère de la Culture, qui vise à « rendre accessibles au plus grand nombre les œuvres majeures [...] ». Cette ambition d'accessibilité se manifeste également dans le soutien à la création contemporaine, à l'image de Paris qui abrite le Palais de Tokyo, le plus grand centre d’art contemporain d’Europe. Dans ce contexte dynamique, la propriété littéraire et artistique apparaît comme un levier essentiel, offrant à la fois protection et incitation à la création. Des organismes comme le CSPLA [7] jouent un rôle crucial en conseillant les pouvoirs publics sur l'évolution du droit d'auteur, notamment face aux défis posés par le numérique. Bien que son action normative et prospective soit fondamentale, le CSPLA (notamment ses travaux) souffre d’un manque de visibilité souligné dans son bilan 2023. Pour répondre à ce besoin d'accompagnement plus direct, des initiatives régionales se développent, à l'instar de l’association AC//RA [8] en Auvergne-Rhône-Alpes, qui propose un soutien gratuit aux artistes à travers des formations, des conférences et des échanges.

Si les dispositifs existants sont diversifiés, leur efficacité se heurte parfois à des difficultés structurelles : manque de financement, de personnel et de temps face à une demande croissante. Les Chiffres clés 2023 de la culture illustrent cette tendance : la Sacem [9] (société de gestion dans le domaine de la musique) comptait 210 800 membres en 2022 (+14 100 vs 2021), une croissance observée dans d'autres organismes. Cette augmentation souligne l'urgence de renforcer les capacités d'accompagnement.

  1. Vers plus d’accès au droit dans le domaine de l’art ?

Ainsi, comment améliorer l’accès au droit des artistes ? Deux axes principaux se dessinent.

Le premier consiste à mieux exploiter la complémentarité des dispositifs existants. Si la pluralité actuelle des structures est une richesse, elle risque aussi d'entraîner un morcellement nuisant à la lisibilité globale et pouvant décourager les artistes. Une meilleure coordination est donc souhaitable. Elle pourrait passer par une plateforme ou structure centrale référençant les organismes pertinents par domaine (sous forme d'annuaire) et proposer un socle de contenu pédagogique sur les problématiques les plus fréquentes (FAQ, fiches pratiques). Cela permettrait aux structures spécialisées de se concentrer sur les cas complexes. Un tel outil nécessiterait toutefois une promotion active pour assurer sa visibilité.

Le second axe majeur est le renforcement de la sensibilisation. Il s'agit d'instaurer une véritable culture du droit dès la formation initiale. Des initiatives existent déjà dans certaines écoles d'art (ÉSACM Clermont-Ferrand, École Émile-Cohl Lyon) pour informer sur le droit d'auteur et les ressources disponibles. Cette sensibilisation doit s'étendre au-delà des artistes : les professionnels de l'art (galeristes, producteurs, diffuseurs) sont souvent eux-mêmes peu au fait des enjeux juridiques et gagneraient à être mieux informés, par exemple par des rencontres ou formations dédiées.

Enfin, des actions comme le Barreau des Arts montrent la voie. Créée par Me Lucie Tréguier et Corentin Schimel, cette association offre un soutien juridique gratuit aux créateurs précaires, en s'appuyant sur la collaboration fructueuse entre des étudiants en droit et avocats expérimentés. Ce modèle illustre comment combiner accessibilité, expertise et formation au service de la création.

Marion Deleporte, doctorante en droit privé à l'Université Jean Moulin Lyon 3, élève avocate à l'EFB et membre du Barreau des Arts

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[1] Cons. const., 16 déc. 1999, n° 99-421 DC.

[2] Institut national de la propriété industrielle.

[3] La Société civile pour l'administration des droits des artistes et musiciens interprètes.

[4] La Société des gens de lettres.

[5] La Société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques.

[6] La Société des auteurs des arts visuels et de l'image fixe.

[7] Le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique.

[8] Art Contemporain en Auvergne-Rhône-Alpes.

[9] La Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique.

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