Loi PACTE et droit de la propriété industrielle

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Erick Landon, Avocat au barreau de Paris,  revient sur les aspects du droit de la propriété industrielle contenus dans le projet de loi Pacte voté par l'Assemblée nationale en première lecture le 9 octobre 2018.

Dans l'attente de la publication de la petite loi , le texte du « PACTE » (« Plan d'Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises ») voté par l'Assemblée Nationale en première lecture confirme une impression habituelle de « fourre-tout » législatif. Cet hologramme fragilise la cohérence des nombreux domaines touchés. Ces patchs s'ajoutent aux précédents dans ce monde immatériel instable qui dirige notre destinée afin d'améliorer (ou de créer) "la croissance et la transformation des entreprises".

Le miracle de la multiplication des "petits pains règlementaires" doit "simplifier" la vie administrative dont la complexité jusqu'à l'absurdité est une spécialité nationale. C'est une volonté louable de l'exécutif politique. Sa jeunesse veut sortir de la parole rassurante, mais résignée, d’antan face au millefeuille éparpillé façon puzzle qui détruit les bonnes volontés, extrade les talents vers des horizons plus propices et des mains financières pragmatiques pour guider leurs premiers pas.

La France est soumise à la centralisation Colbertienne. L’État n'est pas au service du Citoyen, mais l'économie à celui de l’État avec force de planifications pour le bienfait de la collectivité. La propriété intellectuelle va découvrir dans PACTE des nouveautés, parfois utiles, parfois curieuses, mais sans s'attacher au fonctionnement réel de l'économie mondialisée, les entreprises et le marché demeurant au service de l'administratif. Plusieurs exemples illustrent cette pédagogie : l'exécutif maître de la loi, brevets et certificat d'utilité, inventions et argent public, arrangements internationaux. 

La méthode de l'exécutif s'appuie sur une Assemblée acquise et un traitement par ordonnances article 38 de la Constitution ( "Le Gouvernement peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi." ). Le moyen est efficace. Mais nous pouvons nous interroger lorsqu'il s'agit d'organiser sa propre Administration dans un contexte légal d'ordre public d'une propriété intellectuelle soumise essentiellement aux normes supérieures internationales, dont européennes sous le contrôle normatif de la CJUE.

Que penser d'un pouvoir de règlementer marques et droits d'auteur (une nouvelle directive européenne étant en cours d'élaboration) dans des domaines de transposition de la directive européenne 2015/2436 pour les marques ou d'assurer "l'adaptation de la législation nationale au règlement européen 2017/1001 sur la marque européenne (article 69), indépendante et directement applicable sur l'ensemble des territoires des Etats membres de L'Union". Pourtant la CJUE vient de rappeler au Conseil d'Etat sa compétence exclusive quand il s'agit de l'interprétation et de la portée de ces textes européens (arrêt de la CJUE du 4 octobre 2018). Le chemin des futures ordonnances n'est pas pavé pour rassurer le monde économique.

Brevets et certificats d'utilités

L'alignement de la procédure de délivrance des brevets, par la création d'une procédure d'opposition à d'autres titres français ou européen, tels ceux de marque, n'est pas une procédure nouvelle et a fait ses preuves. En revanche la mise en place d'un office national avec un personnel d'examinateurs compétents (donc payés à la hauteur de cette compétence exercée dans des secteurs technologiques complexes) n'est pas d'actualité. Il est inutile de se plaindre de la qualité des brevets délivrés en France sans s'attacher aux moyens réellement fournis aux examinateurs nationaux.

Après des décennies d’inadéquation des critères légaux de protection des inventions par un brevet avec l'examen restreint à la seule nouveauté de l'invention effectué par l'Institut National de la Propriété Industrielle, l'examinateur sera compétent pour statuer aussi sur l'activité inventive de ce qui lui est présenté comme étant inventif. 

Cela évitera perte de temps et distorsions du marché par des brevets délivrés sans valeur sûre, offrant un monopole d'exploitation incompatible avec les principes de liberté de commerce, de concurrence et de circulation des produits régissant l'Union Européenne depuis 1957. Les exceptions à cette liberté sont  d'interprétation restrictive depuis 60 ans. Les brevets sont des titres juridiques conférant un monopole jusqu'à 20 ans, des moyens et des sanctions sur les terrains civil, pénale et douanière fiscale. La mesure s'imposait. Le travail des Juges sera facilité pour statuer sur une éventuelle remise en cause de la validité du titre et sur les contrefaçons. Sans lier le Juge, l'appréciation de l'examinateur sera prise en considération pour concentrer l'analyse sur les éventuelles antériorités qui n'auraient pas été examinées ou rectifier quelque erreur d'appréciation. 

Mais pourquoi ne pas mener plus loin la réforme ? L'associant des autorités judiciaires avec des techniciens améliorerait la connaissance des technologies concernées par le procès, tant sur la validité et la portée du titre que de la l'appréciation du délit de contrefaçon ou des mesures de réparations. Nul système n'est infaillible mais cela éviterait de condamner une voiture alors que seul le phare est breveté ou prendre pour assiette indemnitaire la valeur d'une installation électrique lorsque seul l'étiquetage des composants est en cause. 

Pourquoi ne pas exiger la spécialisation des autorité judiciaires dans ce domaine complexe, malgré la très forte résistance de la tradition bien lointaine du marché et de la vie des entreprises ? Les avocats ont suivi cette voie depuis plusieurs dizaines d'années, en adéquation avec leur responsabilité professionnelle. 

Pourquoi n'avoir pas conçu un procès en deux phases, d'une part les validité du titre  et la contrefaçon, d'autre part la réparation en cas de condamnation ? Ceci économiserait l'énergie de nos magistrats donc leur permettrait de mieux traiter, sereinement et sans urgence, leurs dossiers. Cette idée n'est pas nouvelle, appliquée à raison dans d'autres pays.

La loi PACTE porte en outre le vice technocratique qu'elle tente d'éradiquer. 

Elle crée "une demande provisoire de brevet" et modernise le "certificat d'utilité". Ces mesures ne règlent rien mais précipitent de nouveau dans la complexité du puzzle. La demande provisoire de brevet est "une première marche d'accès au brevet d'invention" (sic). Elle permet un dépôt à moindre coût (lequel?) avec un "minimum de formalités" ( lesquelles?) pour mieux repousser l'échéance. Cependant il faudra bien assumer le coût de la procédure de brevet dont la baisse du montant n'est pas prévue. Sans brevet régulièrement délivré, aucune sanction n'est possible. La demande de brevet n'est pas un titre de propriété. Raisonner autrement serait une distorsion grave de la concurrence. 

La demande provisoire permettrait de "détailler ultérieurement ses revendications". C'est la difficulté de concevoir une demande sans revendications qui, seules, déterminent le droit de propriété. C'est ignorer la cohérence du titre. La validité du brevet exige que les revendications soient supportées par la description. Or, d'une part cette description est intangible à compter de la date de dépôt. Le déposant ne peut pas améliorer son brevet à partir d'informations postérieures au dépôt. D'autre part le résultat des recherches de l’examinateur aboutit régulièrement à une rédaction restreinte des revendications pour éviter le rejet de l’enregistrement. 

Cette nouvelle étape va renforcer l'incertitude donc fragilise le marché. La demande reste confidentielle donc oblige la concurrence, qui est au mieux informée d'une demande provisoire sans en connaître le contenu. Bien souvent elle travaille sur les mêmes questions techniques donc elle subira cette épée de Damoclès en une durée inappropriée. Une rédaction un peu subtile de la description permettra au déposant de s'accaparer les solutions techniques apparues depuis le dépôt en modifiant en conséquence ses revendications.

Enfin, quel est le lien entre l'acquisition d'une protection et la perte de temps occasionnée ? Comment va-t-on régler les conflits inévitables créés par le décalage propice à la délivrance de brevets antériorisés par des demandes provisoires retardées ? Quel est le gain pour le développement du marché ?

La situation est plus paradoxale pour les certificats d'utilité. La loi PACTE nous propose "d'optimiser la protection" en allongeant sa durée de protection à 10 ans, en maintenant l'absence de rapport de recherche donc l'absence de tout contrôle de brevetabilité de l'invention, et en conférant au Certificat une "présomption de validité". Quel paradoxe et inégalité des armes lorsque le brevet d'invention n'a de valeur qu'à sa délivrance. 

La facilité n'est d'autant moins bonne conseillère que la transformation en brevet sera nécessaire par la suite donc sans doute mal perçue. L'adoption d'un Certificat d'Utilité a pour seul moteur d'éviter le contrôle des nouveauté et activité inventive de la solution technique qui aboutirait au rejet de la protection. Ignorer cet aspect de la concurrence engendre l'insécurité. 

La question des brevets de défense, déposés sans but d'exploitation mais uniquement de distorsion de la concurrence par la crainte créée par l'existence des brevets, n'est pas posée. Le dynamisme du marché est pourtant contraint par de tels procédés. Pourquoi avoir ajouté le nouveau Certificat d'Utilité ? Pourquoi n'avoir pas revu le système de licence obligatoire imposée au titulaire d'un brevet inexploité ? Pourquoi n'avoir pas ouvert le débat sur ces questions et privilégier des sous-titre allant à l'encontre des déclarations de renforcement de le qualité et de la solidité des brevets délivrés par l'Office français ?

Inventions et argent public

La loi PACTE porte une nouvelle discrimination en ouvrant (un peu plus) à la "valorisation de la recherche publique". Le sujet est sensible lorsque la recherche est financée par l'argent public. Permettre (même sous des conditions de contrôle renforcé) à des fonctionnaires ou des contractuels chercheurs de tirer un parti personnel de l'emploi de cet argent public à titre gêne. Pourquoi n'avoir pas institué un retour minimum sur investissements publics pour permettre aux Citoyens de bénéficier de cette éventuelle manne ? Comment expliquer les liens entre fonction publique et privé dans un contexte de "valorisation" avec tous les ingrédients habituels dont de mise en disponibilité ? Colbert est toujours avec nous.

Le sujet des inventeurs salariés n'est toujours pas abordé. C'est dommage car la création en entreprise est une question très sensible chez les salariés. La participation aux fruits de l'invention est un moteur valorisant et financier efficace. Le système actuel est archaïque car incomplet, source d'insatisfaction, parfois de réaction vive. Comment expliquer à un salarié inventeur que le Juge ne lui accorde que 5.000 Euro pour une invention brevetée ayant engendré dès les premières années plus du milliard de chiffre d'affaires pour l'employeur ? Comment éviter que cette question dégénère, soit en procès, soit en abandon de toute prétention par le salarié attaché à son emploi ? Comment éduquer employeurs, actionnaires et salariés pour trouver un traitement équitable des intérêts ? 

Arrangements internationaux

Plus préoccupant des mesures sont en indélicatesse avec le cadre juridique dans lequel elles s'appliquent. Par exemple, est-il convenant de traiter d'autorité la propriété intellectuelle de la Polynésie Française ? 

Ce PTOM (Pays et Territoire d'Outre Mer) bénéficie d'un statut autonome. Le domaine de la propriété intellectuelle relève de sa seule compétence. L'Assemblée de Polynésie a voté sa propre Loi du pays n° 2017-24 du 5 octobre 2017 (Arrêté n° 2425 CM du 8 décembre 2017) conformément à la loi organique française du 27 février 2004. Son autonomie est régie par l'article 74 de la Constitution, répondant à une décision du Conseil de l'Europe et faisant l'objet des articles 198 et 349 du TFUE (Traité de Fonctionnement de l'Union Européenne).  

Comment l'omettre ? La colbertisation est-elle à ce point incontournable pour mettre en échec la norme internationale supérieure ? La première exigence de l'efficacité du PACTE est la sécurité juridique. La loi ne doit pas créer des différends de cette nature.

Le PACTE a pour but de développer l'activité, dynamiser le tissu industriel français mais ne s'en donne pas les moyens. Cette démarche juridique pêche sur la cohérence des domaines traités, sur l'intérêt pratique des mesures prises, sur l'absence de la part d'humanité qui gouverne l'entreprise individuelle ou collective. 

Erick Landon, Avocat au barreau de Paris 


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