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Marques et liens commerciaux sur internet : Jurisprudence récente en matière de contrefaçon

Manuel Roche, Associé, INSCRIPTAManuel Roche, Associé chez INSCRIPTA, nous propose de revenir sur la jurisprudence actuelle sur les marques et les liens commerciaux sur internet.

Depuis les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne dans les affaires Louis Vuitton Malletier SA c. Google (23 mars 2010, aff. jointes C-236/08 à C-238/08) et Interflora c. Marks & Spencer (22 sept. 2011, aff. C-323/09), il est acquis non seulement que la responsabilité des moteurs de recherche ne peut pas être recherchée sur le terrain du droit des marques mais que l’annonceur lui-même ne pourra être efficacement poursuivi pour contrefaçon de marques que dans l’hypothèse où l’annonce commerciale diffusée serait telle que l’internaute risque d’être trompé sur l’origine des produits ou services proposés à la vente sur son site internet.

Selon la Cour, l’annonceur qui se contente de faire une publicité claire pour des produits ou services constituant une alternative par rapport aux produits ou services du titulaire de la marque ne commet pas d’acte de contrefaçon. Est ainsi perceptible l’intention manifeste de la Cour de faire primer la libre concurrence sur la protection des titulaires de marques.

Concrètement, la condamnation de l’annonceur pourra être encourue si l’annonce ne laisse pas clairement apparaître de quelle marque sont les produits ou services vendus sur le site promu. En revanche, il n’y aura pas atteinte au droit de marque si l’affichage identifie nettement l’annonceur pour le compte duquel le lien publicitaire apparaît.

Les décisions françaises rendues depuis lors (V. entre autres TGI Paris, 29 avr. 2011, Envirojob ; CA Lyon, 22 mars 2012, Rentabiliweb ; Cass. Com., 25 sept. 2012, Auto Ies) faisaient craindre que la condamnation de l’annonceur n’interviendrait jamais ou presque, tant les tribunaux jugeaient que l'internaute normalement informé et raisonnablement attentif – sorte d’équivalent du consommateur d’attention moyenne dans le monde virtuel – savait aisément distinguer, sans que naisse de confusion dans son esprit, les résultats naturels des annonces commerciales, les résultats attribuables au titulaire de la marque de ceux provoqués par ses concurrents.

Cependant, une décision du TGI de Paris (22 nov. 2012, Ascur) rétablit quelque peu l’équilibre qui doit selon nous exister entre libre concurrence et protection des droits de propriété industrielle. Le tribunal condamne le concurrent d’un propriétaire de marque pour avoir diffusé une annonce commerciale rédigée en “des termes génériques et descriptifs des services proposés” et fait rediriger l’internaute vers un site dont “la généralité des textes [et la] présentation” ne pouvaient laisser entendre que les services du titulaire de la marque n’étaient pas représentés.

Cette décision mérite l’approbation, au moins pour partie, car du fait de l’analyse détaillée de l’annonce commerciale litigieuse, elle révèle des critères objectifs permettant de déterminer avec précision les conditions permettant d’agir en contrefaçon de marque avec succès :

- Reprise de la marque en tant que mot-clé pour déclencher l’apparition d’annonces commerciales ; c’est l’hypothèse de départ mais on pourrait y ajouter la sélection d’un mot-clé similaire à la marque ;
- Annonce commerciale et nom du site litigieux libellés en termes génériques ou descriptifs des produits et services offerts, eux-mêmes identiques ou similaires à ceux protégés par la marque ; a fortiori, si la marque est citée dans l’annonce, le risque de confusion sera d’autant plus constitué (V. en ce sens TGI Bordeaux, 15 jan. 2013, Genpro) ;
- Absence des produits et services du titulaire de la marque sur le site litigieux (sinon les droits du titulaire seraient épuisés) et promotion de produits et services concurrents ;
- Généralité de présentation et de rédaction du site promu, sans possibilité pour l’internaute de déterminer avec certitude si les produits et services portant la marque sont effectivement offerts ou non.

Si une telle solution devait être confirmée en appel ou appliquée à d’autres espèces similaires, elle permettrait aux titulaires de marques de ne plus avoir le sentiment d’être démunis face à des actes commis par le biais des services de référencement payant sur internet, et sans doute de définir une politique de défense appropriée, sur la base d’un service de surveillance adapté à la forme spécifique des hyperliens commerciaux.

L’on peut toutefois regretter que le tribunal ait, selon nous, ajouté au raisonnement préconisé par la CJUE une condition qui en était absente, celle relative au contenu du site référencé. Car cela vient réduire de fait les cas de contrefaçon dans la mesure où, a contrario du cas d’espèce, si le site internet attaqué avait clairement fait la promotion de services concurrents proposés sous une marque différente, la condamnation n’aurait peut-être pas été prononcée.

Il faut donc espérer qu’il s’agit là d’un motif surabondant, développé par les magistrats pour caractériser avec plus de force la responsabilité de l’annonceur, mais dont les tribunaux ne feront pas mention à l’avenir.


Manuel Roche, Associé chez INSCRIPTA

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