Imprécisions du nouveau dispositif et risques contentieux
Sur le plan économique, ce nouveau dispositif ne va pas faciliter la cession des PME en France, car il va générer des nouvelles contraintes difficilement mesurables sur le plan juridique et opérationnel, et entraver la recherche d’une certaine fluidité lors des processus de cession de sociétés.
De plus, le risque de divulgation d’informations confidentielles (ne serait-ce que l’indication même d’un projet de cession) est sérieux, et ceci d’autant plus qu’il sera très difficile d’identifier les auteurs de la violation de l’obligation de discrétion prévue par la loi.
En tout état de cause, l’application de cette loi va très probablement générer un contentieux nourri, alimenté par l’imagination fertile des plaideurs.
Sans prétendre à une liste exhaustive des risques contentieux, des débats intéressants auront certainement lieu devant les tribunaux sur les sujets suivants :
-Ce nouveau dispositif s’appliquera-t-il dès le 2 novembre prochain même en l’absence d’ici là de publication au journal officiel de la disposition réglementaire précisant le mode de communication de l’information aux salariés : à ce sujet, certains soutiendront que la loi semble assez claire pour ne pas conditionner son entrée en vigueur à un décret ou un arrêté (11) ;
-En l’absence de toute disposition réglementaire ou si une telle disposition se contentait de préciser uniquement le mode de communication de l’information (et non son contenu), un salarié pourrait-il exiger du cédant la communication d’informations spécifiques pour lui permettre de formuler une offre (ce qui serait cohérent avec l’esprit de la loi) ?
-Ce salarié ne pourrait-il pas également exiger un niveau d’informations équivalent à celui donné à des tiers avec lesquels le cédant serait d’ores-et-déjà en pourparlers (accès à une « data room » et aux réunions de présentation des activités par exemple) en excipant du principe de non discrimination et le caractère effectif du droit que lui confrère la loi nouvelle ?
-En cas de refus du cédant, ce salarié pourrait-il alors invoquer un trouble manifestement illicite devant le juge des référés pour obtenir satisfaction, et, dans l’hypothèse d’une décision favorable, pourrait-il obtenir l’interdiction temporaire de la réalisation de la cession projetée en violation de son droit d’information ?
-La responsabilité civile du "chef d’entreprise" qui n’a pas correctement respecté l’obligation d’information due aux salariés pourra-t-elle être recherchée ?
-Comment un cédant pourra-t-il concilier ce nouveau dispositif et l’octroi d’une exclusivité de négociations à une personne ou d’une promesse unilatérale de cession, qui, dans de nombreux cas, aura été actée antérieurement à l’entrée en vigueur du dispositif ?
-Les faits générateurs du point de départ de la prescription de l’action en nullité nouvellement créée peuvent-ils se cumuler ? Comment déterminer la date d’information de tous les salariés (l’un des points de départ de la prescription) ?
-Le champ d’application de la loi est-il limité aux seules cessions directes ou englobe-t-il les opérations complexes ayant un effet juridique similaire (apports, opérations de transmission universelle de patrimoine, etc.) ? La simple intercalation d’une société holding n’employant aucun salarié et dont les titres seraient cédées permettra-elle d’échapper à l’application du dispositif ?
Il conviendra donc de suivre avec beaucoup d’attention la mise en œuvre de ce texte, et son application par les tribunaux, afin de gérer au mieux les nouvelles obligations qu’il porte, et bien appréhender les contentieux.
Nicolas Contis et Tanguy d’Everlange, avocats associés, Kalliopé
Romain Rue, avocat collaborateur, Kalliopé
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NOTES
(1) Parmi les premiers commentaires de cette loi, cf. BRDA 18/14, p. 14 ; Gaz. Pal. 23 sept. 2014, p. 19, note de B. Dondero
(2) Obligation pesant également sur le chef d’entreprise lors de la cession de son fonds de commerce (obligation non étudiée dans le cadre du présent focus)
(3) S’agissant des sociétés de 50 à 249 salariés, le dispositif s’applique uniquement aux PME au sens de la loi du 4 août 2008 (art. 51), à savoir les sociétés dont les derniers comptes sociaux font apparaître un chiffre d’affaires annuel ne dépassant pas 50 millions d’euros ou un total de bilan n’excédant pas 43 millions d’euros
(4) Articles L. 23-10-2 et L. 23-10-8 du Code de commerce
(5) Articles L. 23-10-3 al. 1 et L. 23-10-9 al. 1 du Code de commerce
(6) Article L. 23-10-1, al. 1 à 3 du Code de commerce
(7) Article L. 23-10-7, al. 1 et 2 du Code de commerce ; en l’absence, il est fait renvoi aux dispositions concernant les sociétés ayant moins de 50 salariés (article L. 23-10-7, al. 5 du Code de commerce)
(8) Articles L. 23-10-3 al. 2 et L. 23-10-9 al. 2 du Code de commerce
(9) Articles L. 23-10-5 et L. 23-10-11 du Code de commerce
(10) Articles L. 23-10-1 et L. 23-10-7 du Code de commerce
(11) Cf. sur le sujet de l’application immédiate de la loi en l’absence de publication d’une disposition réglementaire : CE 30 janv. 2008, n° 297791 ; Cass. Crim. 3 juin 2009, n° 08-86.747
A propos des auteurs
Nicolas Contis, avocat associé, Kalliopé
Avocat au Barreau de Paris depuis 2001, Nicolas Contis a co-fondé Kalliopé en 2008 et y dirige le département Contentieux, arbitrage et contrats commerciaux.
Tanguy d'Everlange, avocat associé, Kalliopé
Avocat au Barreau de Paris depuis 2001, Tanguy d'Everlange a exercé pendant dix ans chez Sherman & Sterling LLP avant de rejoindre Kalliopé en 2011 comme associé en charge du département Corporate, M&A et capital investissement.
Romain Rue, avocat collaborateur, Kalliopé
Avocat au Barreau de Paris depuis 2010, Romain Rue intervient en contentieux civil et commercial ainsi qu'en matière de négociation et rédaction de contrats complexes.