A propos de la suppression de l’hypothèque rechargeable.
Le projet de loi Consommation est en passe d'abroger, dans l'indifférence générale, l'hypothèque rechargeable instituée à l'article 2422 du Code civil par l'ordonnance du 23 mars 2006 à la suite des travaux de la Commission Grimaldi organisée sous l'égide de l'Association Henri Capitant à laquelle vous aviez participé. Quelle est la genèse de cette abrogation ? Où en est la procédure parlementaire ?
L’hypothèque rechargeable a été rayée d’un trait de plume lors de la discussion parlementaire, toujours en cours, du projet de loi relatif à la consommation. Un amendement déposé par les députés de la majorité a été voté conforme par les deux chambres, abrogeant l’article 2422 du code civil.
Aucun débat n’a eu lieu en séance publique et les échanges ont été particulièrement brefs en commission. Le rapporteur pour avis de la commission des finances a justifié l’amendement de la manière suivante : « Il s’agit de supprimer le dispositif des hypothèques rechargeables, mis en place par Nicolas Sarkozy. Ces subprimes à la française sont hautement toxiques, car elles poussent les consommateurs au surendettement, en leur permettant de garantir par des hypothèques des crédits à la consommation sur une durée qui peut atteindre cinquante ans ».
Le ton est donné. Et ce n’est pas la molle objection soulevée par le représentant du gouvernement faisant remarquer, tout en « saluant » l’amendement, que « l’hypothèque rechargeable servant aussi à garantir des dettes professionnelles, elle permet à des chefs d’entreprise d’accéder au crédit » qui était de nature à convaincre les parlementaires de rejeter l’amendement.
L’approche repose sur des présupposés démentis par la réalité. L’hypothèque rechargeable a été peu utilisée en pratique, et en tout cas pas pour garantir des crédits à la consommation. Elle n’a donc pas pu être le support de crédits « subprimes », qui, au demeurant, n’ont pas existé en France.
Mais au-delà des faits, le régime juridique français n’a rien à voir avec le système américain. Celui-ci repose sur l’augmentation de valeur du bien immobilier qui sert d’assiette au surplus de crédit. Alors que dans le code civil, l’acte constitutif doit mentionner, à peine de nullité, la somme en capital pour laquelle l’hypothèque est consentie. Par ailleurs, on sait que le droit français oblige les prêteurs à accorder les crédits en fonction de la capacité de remboursement des emprunteurs, et non sur la valeur du « gage ». Enfin, la loi interdit l’utilisation de l’hypothèque rechargeable pour garantir des crédits à la consommation renouvelables.
Pourriez-vous nous indiquer quelle serait la portée de cette abrogation rationae temporae et rationae materiae ? Quid notamment des hypothèques rechargeables constituées antérieurement à l'entrée en vigueur de la future loi. Quel impact sur les fiducie-sûretés rechargeables dont le succès est croissant ?
L’abrogation entrera en vigueur le 1er juillet 2014. A compter de cette date il ne devrait plus être possible de convenir d’une clause de rechargement dans les contrats d’hypothèque.
Le texte précise que l’abrogation ne s’applique pas aux contrats conclus avant cette date, ce qui était le moins que l’on pût faire. Le régime de l’hypothèque rechargeable reste donc en place aussi bien dans le code civil que dans le code de la consommation.
Par conséquent, si le législateur venait à résipiscence, il lui suffirait de réintroduire l’article 2422 pour faire revivre le système.
On remarquera que la fiducie rechargeable a échappé à l’opprobre des parlementaires. Acte manqué ?
Que penser de cette abrogation ? N'est-elle pas regrettable alors notamment que cette technique pouvait sembler faire le lien entre des traditions hypothécaires des pays latins (accessoriété et spécialité des hypothèques) et germaniques (dette foncière) ?
Il paraît évident que cette initiative parlementaire n’est pas inspirée par le souci de doter la France du droit des sûretés le plus efficace.
Si, malgré ce qui vient d’être dit, il était redouté une utilisation inappropriée de l’hypothèque rechargeable pour les crédits aux particuliers, il suffisait d’en interdire la constitution dans ce domaine, en étendant la prohibition déjà existante pour les crédits renouvelables.
L’irruption dans le code civil de considérations telles qu’énoncées par le rapporteur détruit un beau produit de l’ingénierie juridique française qui a suscité de l’intérêt de la part de plusieurs pays dans le monde.
Ce concept constituait une solution moderne et équilibrée, faisant la synthèse entre des systèmes désormais trop rigides ou trop radicaux. L’hypothèque rechargeable aurait sans nul doute trouvé progressivement sa place parmi les instruments de financement de l’économie.
On émettra donc un double vœu : que le législateur revienne sur cette erreur manifeste d’appréciation et qu’il en tire les conséquences pour l’avenir. Les considérations qui l’ont animé n’ont pas leur place dans la rénovation d’un droit français qui puisse conserver une aura internationale. Puisse-t-on s’en souvenir lors de la prochaine réforme du droit des contrats et des obligations !
Propos recueillis par Philippe Dupichot, Professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris I)
Cet article est extrait du n° 3 de la newsletter Le Monde du Droit Selon Capitant (TELECHARGER LE NUMERO AU FORMAT PDF)