Le Monde du Droit a rencontré les associés du cabinet Deprez Perrot. Ils nous font part de leurs ambitions pour leur cabinet et de leur analyse de la directive européenne en pénal adoptée le 7 octobre 2013.
Pourquoi avez-vous décidé de créer ce cabinet ?
Nous sommes avant tout des hommes de contentieux pénal des affaires et avons grandi avec l’image de nos illustres ainés qui ont exercé à une époque où les collaborateurs quittaient leur “patron” après quelques années d’expérience pour créer leur cabinet. Ce temps est révolu, mais la démarche entrepreneuriale, quelle que soit sa forme, demeure, selon nous, au cœur de notre activité. Nous avons eu la chance de travailler dans des cabinets animés de cet esprit d’entreprise et qui ont su nous inciter à le cultiver. En leur sein, nous avons appris des méthodes de travail, l’utilité d’un formalisme rigoureux, l’intérêt de l’organisation et de la gestion et l’importance d’un bon management., Aujourd’hui, et fort de notre expérience, nous créons un cabinet d’avocats-entrepreneurs, pas une entreprise du droit.
L’autre raison tient au constat suivant : l’offre en matière contentieuse est très répandue mais reste diffuse. On trouve, d’un côté, les départements contentieux de cabinets “marques” et, de l’autre, des cabinets plus traditionnels dont l’offre est parfois difficilement lisible. Au final, on entend même dire que le contentieux ne serait pas une spécialité. Or, selon nous, c’est tout le contraire. Le contentieux, qu’il s’agisse du pénal ou de toute autre type de contentieux, est une spécialité qui revêt une technicité et un état d’esprit propres. Nous revendiquons cette culture et souhaitons en faire l’ADN de notre cabinet. Nous n’exerçons pas le même métier que nos confrères qui assistent nos clients dans le cadre d’acquisitions de sociétés.
Quel est votre positionnement ?
Nous avons tous deux la volonté d’offrir un nouveau type de cabinet aux entreprises. Si notre expérience acquise l’a principalement été en matière de droit pénal des affaires, nous voulons aller au-delà et construire un cabinet de contentieux fédérateur de compétences de pointe et de profils d’avocats passionnés et entrepreneurs au service de clients qui s’identifient dans notre vision.
Deprez Perrot est une boutique dédiée aux contentieux que sont susceptibles de connaitre les entreprises qu’ils soient de nature pénale, civile ou commerciale. La complexification des affaires nécessite que les dossiers soient régulièrement appréhendés sous chacun de ces prismes et d’autres encore.
Par ailleurs, éthique, compliance, responsabilité sociétale sont quelques thèmes chers aux entreprises aujourd’hui. Face à l’accroissement de responsabilité qui en résulte, nous avons également développé de nouvelles compétences afin de répondre aux attentes de nos clients. En tant que spécialistes du contentieux, il nous semble également important de pouvoir intervenir plus en amont et de leur offrir notre expertise en matière de gestion des risques. Bien plus difficile à quantifier, la sécurité juridique n’en reste pas moins un enjeu majeur dans le cadre des affaires.
Enfin, en termes d’honoraires, nous avons mis en place un système dont le fondement est la plus-value que nous apportons au client. La façon qu’a ce dernier de faire appel à l’avocat commande que celui-ci se réinvente également de ce point de vue. A notre sens, la facturation au temps passé ne peut plus être l’unité de valeur du travail de l’avocat ; ce ne peut dorénavant être, au mieux, qu’un indicateur.
La proposition de directive garantissant le droit d’accès à un avocat pour tous les citoyens de l'Union européenne faisant l'objet d'une procédure pénale a été formellement adoptée le 7 octobre 2013. Qu’est-ce que cela apporte selon vous ?
C’est le troisième texte issu de propositions de la Commission européenne, toutes adoptées, qui visent à garantir des droits minimaux à un procès équitable sur l’ensemble du territoire de l’Union européenne. Les deux précédentes portaient sur le droit à la traduction et l’interprétation, pour la première, et sur le droit à l’information dans les procédures pénales, pour la deuxième.
En pratique, cette nouvelle directive, que la France devra, en principe, transposer dans son ordre juridique interne dans les trois ans, doit être saluée comme un effort remarquable visant à offrir aux ressortissants de l’ensemble des États membres de l’Union la sécurité juridique leur permettant de savoir que leurs droits seront les mêmes, qu’ils fassent l’objet d’une arrestation dans leur pays d’origine ou dans un des Etats membres de l’Union européenne. De ce point de vue, c’est une excellente mesure.
En France, les droits que visent à garantir cette directive ont, pour l’essentiel, déjà été transposés dans notre droit interne avec la loi du 14 avril 2011 qui a substantiellement modifié la garde à vue à la française, donnant notamment une place à l’avocat et, avec lui, à un commencement de contradictoire dans le temps policier de la garde à vue. La directive ne devrait donc pas troubler l’ordre juridique interne français tel que nous le connaissons actuellement.
Il y aurait pourtant dans cette directive de quoi forcer le législateur à faire bouger les lignes.
D’abord, la nouvelle directive prévoit en son article 6 (le droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers) que "les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies qui sont privées de liberté aient le droit de communiquer sans retard indu avec au moins un tiers, par exemple un membre de leur famille, qu’ils désignent". Aujourd’hui, notre Code de procédure pénale prévoit que les personnes gardées à vue peuvent "faire prévenir" un membre de leur famille ou leur employeur. La France estimera-t-elle que cette disposition est conforme à la lettre et à l’esprit de la nouvelle directive ? La question est posée. Une telle mesure pourrait présenter des difficultés de mise en place dans l’hypothèse où les suspects placés en garde à vue auraient le droit, non plus de faire prévenir, mais de prévenir eux-mêmes un membre de leur famille ou leur employeur. Ce droit de communication directe avec un tiers est incontestablement d’inspiration anglo-saxonne et nous verrons comment le Parlement français le transposera.
Mais surtout, la nouvelle directive semble intéressante parce qu’elle prévoit dans son article 3 (droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales), paragraphe 3.b), que "les États membres veillent à ce que les suspects ou les personnes poursuivies aient droit à la présence de leur avocat et à la participation effective de celui-ci à leur interrogatoire". L’emploi du terme "participation" est nouveau et semble démontrer une volonté de renforcer le rôle de l’avocat pendant la garde à vue, qui jusqu’à présent était cantonné à un rôle "d'assistance". Dès lors, la question devient : qu’est-ce qu’une participation effective de l’avocat à un interrogatoire ? Actuellement, pendant la garde à vue, l’avocat n’a accès qu’au procès-verbal constatant la notification du placement en garde à vue et des droits y étant attachés, le certificat médical éventuellement établi et les seuls procès-verbaux déjà établis de la personne qu’il assiste sans pouvoir en prendre copie. Est-ce déjà en soi une participation effective ? On voit mal comment l’avocat peut, en l’état, participer de façon effective à la procédure de garde à vue, sans un accès réel au dossier de l’enquête. La directive permettra-t-elle une avancée, sachant que la chambre criminelle de la Cour de cassation considère depuis un arrêt du 19 septembre 2012 que "l’absence de communication de l’ensemble des pièces de la procédure n’est pas de nature à priver la personne d’un droit effectif et concret à un procès équitable dès lors que l’accès à ces pièces est garanti devant les juridictions d’instruction et de jugement" ?
Une avancée de ce point de vue serait plus que souhaitable mais rien n’est moins sûr car sa mise en œuvre entraînerait une révolution dans la façon dont une enquête serait menée et une garde à vue décidée. Le temps de cette mesure est strictement encadré et l’accès de l’avocat au dossier pourrait avoir pour effet de ralentir considérablement le rythme de l’enquête à un moment de la procédure où précisément le temps est compté. En outre, l’article 7 de la directive relative au droit à l’information dans les procédures pénales du 22 mai 2012 prévoit que l’accès aux pièces du dossier devra être accordé en temps utile pour permettre l’exercice effectif des droits de la défense tout en précisant que cela pourra intervenir au plus tard lorsqu’une juridiction sera appelée à se prononcer sur le bien-fondé de l’accusation.
En somme, la lecture combinée de l’article 7 de la directive de 2012 avec l’article 3 de la directive de 2013 nous conduit à penser que la transposition de cette dernière n’autorisera malheureusement pas encore l’avocat à accéder à l’intégralité du dossier pénal au stade de l’enquête policière. Toutefois, et une fois de plus, il appartiendra à la CEDH de se prononcer sur ce point et aux avocats de se battre pour obtenir ce droit.
Propos recueillis par Arnaud DUMOURIER