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Décompilation d’un logiciel : état des lieux - 4- La décompilation à des fins d’interopérabilité: absence de contrefaçon

La décompilation à des fins d’interopérabilité: absence de contrefaçon

Aux termes de l’article L. 122-6-1, IV, du Code de la propriété intellectuelle, l’opération de décompilation n’est pas soumise à l’autorisation de l’ayant-droit lorsqu’elle est réalisée afin d’obtenir les informations nécessaires à l’interopérabilité sous réserve que trois conditions soient réunies.

Or, aucune de ces trois conditions n’a fait l’objet d’une motivation rigoureuse de la part de la Cour d’appel de Caen: autant de points qui entretiennent l’incertitude autour de l’exception de décompilation.

Premièrement, il faut être en droit d’utiliser une copie du logiciel, ce qui ne pose pas de difficultés en pratique concernant Skype, puisque des copies de ce logiciel sont mises à disposition par l’éditeur en téléchargement gratuitement sur Internet.

Deuxièmement, il faut que les informations nécessaires à l’interopérabilité n’aient pas déjà été rendues facilement et rapidement accessibles aux personnes en droit d’utiliser une copie du logiciel.

La Cour d’appel de Caen n’aborde pas ce point dans son arrêt. Il s’agit pourtant d’une zone d’ombre importante sur l’application de l’exception de décompilation.

En effet, par un arrêt du 26 septembre 2011, la Cour d’appel de Paris avait jugé, en matière de décompilation et de contournement de mesures techniques de protection de jeux-vidéos, que les prévenus ne pouvaient se prévaloir de l’exception de décompilation au motif qu’ils n’avaient pas demandé à Nintendo l’accès aux informations d’interopérabilité (CA Paris, ch. 5-12, 12 septembre 2011, Nintendo c/ Absolute Games, Divineo et autres, Legalis.net, #3238).

La question mérite cependant d’être posée: l’utilisateur légitime a-t-il l’obligation de demander d’accéder aux informations d’interopérabilité préalablement à toute opération de décompilation? La présence des mots «déjà […] accessibles» permet d’en douter.

Quoiqu’il en soit, cette condition doit s’interpréter à la lumière de la directive 91/250. Or, plusieurs propositions de formulation alternative avaient été écartées du texte de la directive, alors qu’elles imposaient précisément une telle condition de demande préalable .

Pour autant, si l’auteur du logiciel a prévu une procédure de mise à disposition des informations d’interopérabilité respectueuse des conditions légales sur l’accessibilité — par exemple dans le contrat de licence — il semble évident que l’utilisateur a l’obligation de suivre cette procédure préalablement à toute décompilation.

Troisièmement, il faut que les techniques de décompilation ne portent que sur les parties du logiciel nécessaires à l’interopérabilité.

Toutefois, cette condition est difficile à interpréter en pratique, puisque la décompilation portant sur les parties réellement nécessaires à l’interopérabilité implique que des actes soient d’abord commis sur des parties dont on ne peut déterminer a priori leur caractère nécessaire.

Cette condition n’a pas été examinée expressément par la Cour d’appel de Caen dans l’arrêt d’espèce, ni d’ailleurs par aucune des décisions rendues sur la décompilation dont nous avons eu connaissance.

Quoiqu’il en soit, une interprétation restrictive de cette condition reviendrait à refuser toute licéité à l’application pratique de l’exception de décompilation, ce qui n’est pas dans l’esprit de l’adoption de la directive 91/250, qui précise dans son préambule l’objectif «de permettre l’interconnexion de tous les éléments d’un système informatique, y compris ceux de fabricants différents, afin qu’ils puissent fonctionner ensemble» (considérant 15). Au sens de cette directive, et elles sont caractéristiques de l’interconnexion (considérant 10).

Le rôle de l’expert serait donc primordial, en cas de litige, pour évaluer si les parties du logiciel qui ont fait l’objet d’une décompilation sont des parties nécessaires dans l’objectif d’obtenir des informations d’interopérabilité.

Il est cependant permis de croire qu’en l’espèce, les parties de Skype décompilées étant les parties relatives aux algorithmes de déchiffrement des communications, il s’agit bien de parties nécessaires à l’interopérabilité.

L’interopérabilité est définie dans la directive européenne comme la capacité d’échanger des informations et d’utiliser mutuellement les informations échangées — or, dans le cas d’informations échangées après avoir été chiffrées, il faut nécessairement que chacun des logiciels qui s’interconnectent ait la capacité à la fois de chiffrer et de déchiffrer les informations échangées.

Concernant la décompilation dont Skype a été l’objet, la Cour d’appel se borne à relever que les associés de la sécurité informatique avaient pour objectif de «mettre au point une technique fiable et sécurisée d’échanges d’informations sur l’internet, compatible avec les services de Skype». C’est donc en retenant cette fin d’interopérabilité que les juges ont considéré que l’opération de décompilation était licite.

Il en va autrement pour l’utilisation des informations obtenues par la décompilation, dont la publication répondait à des fins étrangères à l’interopérabilité.

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