La protection de la dignité humaine, consacrée à l’article 16 du code civil, peut-elle constituer, à elle seule, un motif de restriction à la liberté d'expression, en particulier de la liberté de création artistique ? La Cour de cassation répond par la négative.
Un fonds régional d’art contemporain (Frac) a organisé, dans ses locaux, une exposition sur la part d’ombre de la cellule familiale.
L’une des œuvres exposées consistait en une série de fausses lettres manuscrites dont les textes ont été conçus par l’artiste pour faire éprouver au public des émotions en le confrontant au thème des violences infra-familiales. Présentées sous la forme de petits mots affectueux qu’un parent peut laisser à ses enfants, ces lettres comprenaient des formules telles que : "Les enfants, nous allons faire de vous nos esclaves" ; "Les enfants, nous allons vous couper la tête" ; "Les enfants, nous allons vous sodomiser et vous crucifier".
Se fondant sur l'article 16 du code civil, une association déclarant lutter contre "l’étalage public de la pornographie et tout ce qui porte notamment atteinte à la dignité de la femme et au respect de l’enfant" a saisi la justice civile, faisant valoir que l’exposition de cette œuvre avait porté atteinte à la dignité de la personne humaine.
La cour d'appel de Metz a rejeté cette demande au motif que l’article 16 du code civil n’avait pas de valeur juridique autonome. Par un arrêt du 26 septembre 2018 (pourvoi n° 17-16.089), la Cour de cassation a censuré cette décision, retenant que le respect de la dignité de la personne humaine, prévu par l’article 16 du code civil, posait à lui seul un principe à valeur constitutionnelle dont le juge devait faire application.
L'arrêt de renvoi de la cour d'appel de Paris a à nouveau donné tort à l’association, estimant qu’en l’absence d’atteinte à un droit concurrent à la liberté d’expression le principe de dignité de la personne humaine ne pouvait être invoqué seul pour restreindre la liberté d’expression.
Dans un arrêt du 17 novembre 2023 (pourvoi n° 21-20.723), la Cour de cassation, réunie en assemblée plénière, rejette le pourvoi de l’association.
Elle énonce tout d'abord que deux conditions doivent être réunies pour qu’une restriction de la liberté d’expression soit possible : cette restriction doit (...)