Thierry Charles : « Je veux alerter sur tout le potentiel de risque que peut générer l’absence de débat autour des data »

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Le Monde du Droit a interrogé Thierry Charles, Directeur Juridique au sein de l’organisation professionnelle Allizé-Plasturgie, à propos de son dernier essai Ainsi parlait le Big Data paru aux éditions l’Harmattan.

Pourquoi avoir décidé de rédiger cet ouvrage sur le BIG DATA ?

Auteur de nombreux essais, mon expérience professionnelle ainsi que le témoignage de mes interlocuteurs au quotidien contribuent généralement à nourrir ma réflexion.

Si j’ai précédemment évoqué des thèmes relatifs à la sous-traitance industrielle dans un plaidoyer, le risque de pénurie de matière - de la gestion des flux aux rapports de force avec les fournisseurs de matière, les nouvelles perspectives de la souveraineté ou encore le problème récurrent des délais de paiement, etc. ces dernières années, je me suis intéressé à la question de l’algorithmisation du monde, à l’ubérisation de l’économie et plus généralement à la révolution numérique. Je l’avais déjà évoquée dans un précédent ouvrage autour de l’édition, du risque de disparition du livre, des librairies, des kiosques à journaux dans nos villes et de la presse intitulé Fahrenheit 4.0.

Nul doute que le big data va façonner le 21ème siècle, et comme il s’agit d’un nouvel instrument de pouvoir, il était urgent de mettre en lumière ses caractéristiques, notamment sa place à l'ère du RGPD et les risques qu’il génère au regard de la vie privée.

Cela va bien au-delà de la simple mise en garde économique et/ou juridique et suppose la connaissance mutuelle, un sens critique et beaucoup de pédagogie. A défaut, le big data risque de dépouiller l’homme de sa créativité, de son bon sens, voire de sa raison.

Quel est le propos de l’ouvrage ?

Le propos est véritablement d’alerter mes lecteurs sur tout le potentiel de risque que peut générer l’absence de débat autour des data. Je me suis également rendu compte qu’il faut relativiser l’impact réel du big data. J’aborde ainsi, dans certains chapitres, des exemples qui montrent que l’outil consiste à reproduire le plus souvent les mêmes phénomènes, qu’il alimente les stéréotypes et tire l'ensemble de la population vers le bas. Or il faut parfois savoir sortir des schémas types et c’est bien souvent l’incertitude qui crée la valeur. Ainsi le joueur de Basket Stephen Curry est plus fort que son clone virtuel dans le jeu NBA2K dont les concepteurs n’arrivent pas à reproduire les prouesses.

En même temps, il faut bien considérer que le traitement des données peut avoir des conséquences notamment à titre individuel. Désormais, on ne considère non plus l’individu mais davantage ce qu’il fait en ligne. Aujourd’hui, l’information que nous recevons n’est qu’un détail, ce qui a de la valeur, c’est l’information que nous donnons, les datas. Et si c’est gratuit, c’est vous le produit ! A terme, les techniques de profilage peuvent perpétuer des stéréotypes existants et des ségrégations sociales.

Ainsi, il ne faudra pas s’étonner si demain, dans le domaine de la santé par exemple, des assureurs sauront qu’un assuré n’a pas suivi le traitement indiqué et refuseront de l’assurer. Plus grave encore, sur le plan juridique l’émergence du concept de « souveraineté fonctionnelle » des Gafa grâce aux données est à craindre. Enfin, avec la nouvelle justice prédictive, le big data s’invite dans les tribunaux, notamment quand un logiciel calcule vos chances de gagner dans une procédure ou quand il calcul la « prédictivité » de récidive de certains individus. On n’est pas loin des ouvrages de science-fiction du type Minority Report.

Au demeurant, c’est un outil très utile. Par exemple, tout ce qui a généré la révolution industrielle dans les villes a créé des problématiques que pourrait traiter la révolution numérique avec la « smart city » : fluidifier la circulation, mieux gérer l’urbanisme ou les dépenses énergétique, etc. En somme, la révolution numérique serait en mesure de gérer le « service après-vente » de la précédente révolution industrielle. Il y a donc des choses très favorables avec néanmoins le risque que le « Code » devienne la loi, le fameux « Code Is Law » écrit par Lawrence Lessig en janvier 2000.

Le risque est également qu’à terme, nous ayons tous la même source d’information véhiculée par Google. Nous lirons tous les mêmes livres, nous regarderons tous les mêmes films parce que les autres réseaux de distribution cesseront d’exister d’un point de vue économique.

Il y a donc du bon mais il ne faut pas non plus tomber dans l’excès, et toujours disposer d’un esprit critique, il nous faut anticiper la « critique de la raison DATA », à défaut l’homme ne sera plus que le Numéro 6 de la série de Patrick McGoohan Le Prisonnier.

Existe-t-il des bonnes pratiques à adopter pour se prémunir face à de tels risques ?

Bien sûr ! Au surplus, il s’agit d’une question de bon sens et surtout de ne pas être dupe de certaines pratiques de marketing, ce que j’appelle le « mercantile Data » ou quand le big data vit de ses rentes.

Les solutions existent mais à condition d’être bien conscient des enjeux. Si demain, nos données sur la santé auront des impacts sur notre couverture de risque, nous nous réveillerons sans doute trop tard. D’ailleurs, en Chine la fiction est devenue réalité : le parti communiste chinois compte en effet d’ici à 2020 récolter les informations personnelles de chaque habitant du pays en vue de leur donner une note en fonction de leur comportement.

En conclusion, le débat autour des data est bien politique. Si « ça se pratique », par la force des choses à moins d’être un Robinson Crusoé sur son île ou de solliciter à titre individuel un couvre-feu numérique, « ça s’apprend », comme pour la lecture, l’écriture ou une seconde langue. Mais surtout « ça se débat », et c'est ce que j'ai voulu faire avec ce livre.

Propos recueillis par Arnaud Dumourier (@adumourier)

ainsiparlaitbigdataAINSI PARLAIT LE BIG DATA - 214 pages - Editions L'Harmattan 

Thierry Charles

Questions contemporaines - Questions de communication

ACTUALITÉ SOCIALE ET POLITIQUE COMMUNICATION, MÉDIAS

Le Big data sait tout de vous, mais que savez-vous de Big data ? L’« algorithmisation du monde » est en marche. Si l’on y réfléchit bien, l’idée d’organiser l’information est le principe même d’un moteur de recherche comme Google. Le Big data va façonner le siècle, c’est un nouvel instrument de pouvoir et il est urgent de mettre en lumière les méthodes des entreprises qui influence notre mode de vie. Dans la dystopie Lovestar, Andri Snaer Magnason se demande quelle part de liberté il reste à l’homme quand la science décide pour le bonheur de tous ? Un monde où le meilleur ami qui vous conseille un livre est peut-être tout simplement payé pour ça sans que personne ne s’en doute. Un monde où les méga données [le Big data] décident de tout, où des algorithmes ont une visée politique [affaire Cambridge Analytica]. Grâce au profilage réalisé par les algorithmes, le temps d’attention des consommateurs est en passe de devenir la [seule ?] référence de la valeur des services. « Si j’avais demandé aux gens ce qu’ils voulaient, ils auraient répondu des chevaux plus rapides » écrit Henry Ford. Et si le Big data ne constituait en définitive qu’un terrible aveu de faiblesse et d’impuissance générale avec une arme de destruction massive à l'intérieur ?

Aujourd’hui, l’information que nous recevons n’est qu’un détail, ce qui a de la valeur, c’est l’information que nous donnons, les datas. Et si c’est gratuit, c’est vous le produit ! A l’ère de la communication numérique, selon le professeur de droit Frank Pasquale « les nouveaux seigneurs promettent liberté et autodétermination alors que leurs boîtes noires conduisent à l’établissement d’une nouvelle oligarchie ». L’ambition de cet essai est de montrer en quoi le Big data contraint chacun d’entre nous à de nouvelles manières de voir et analyser le monde. Car il est important de développer un esprit critique en abordant « la déraisonnable efficacité des données ». Après les attentes démesurées qui caractérisent le Big data et ses algorithmes, les premières désillusions arrivent aussi vite que les promesses s'envolent et que les ambitions s'étiolent.

Présentation de l’auteur

Thierry Charles est Docteur en Droit [Université Jean Moulin – Lyon III]. Directeur Juridique au sein de l’organisation professionnelle Allizé-Plasturgie, conférencier, il est membre du « Cercle Montesquieu » et du « Club des Directeurs Juridiques Auvergne-Rhône-Alpes » [EY Société d’Avocats]. Il est l’auteur de plusieurs essais, dont « Fahrenheit 4.0 » [Harmattan, 2016].


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