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« Stop the Clock » et loi DDADUE : Bruxelles appuie sur « pause », Paris s’empresse de suivre

L’UE, à travers la directive « Stop the Clock », publiée au JOUE du 16 avril 2025 et la France avec la loi DDADUE adoptée au Parlement le 3 avril 2025, ont officialisé le report des obligations de reporting de durabilité et du devoir de vigilance. L'objectif affiché est de donner du répit aux entreprises pour s'adapter, mais le signal envoyé interroge sur la priorité accordée aux enjeux environnementaux et sociaux.

Adoptée par le Parlement européen le 3 avril 2025, par le Conseil de l’UE le 14 avril 2025 et publiée au Journal officiel de l’Union européenne du 16 avril 2025 (JOUE), la directive « Stop the Clock » reporte donc de deux ans l’application de la directive CSRD pour les grandes entreprises et les PME cotées, ainsi que d’un an la mise en œuvre de la directive CSDDD pour les plus grandes entités. « Stop the Clock » est la résultante du « paquet Omnibus » présenté par la Commission européenne en février.

L’objectif affiché est de simplifier la réglementation, réduire la charge administrative et garantir une sécurité juridique aux entreprises, tout en renforçant la compétitivité de l’Union. Ce report, réclamé par les institutions européennes et les États membres depuis l’automne 2024, s’inscrit dans une volonté de répondre aux défis soulevés par les rapports Letta et Draghi sur la compétitivité européenne. La déclaration de Budapest du 8 novembre 2024 avait d’ailleurs appelé à « lancer une révolution de la simplification » pour alléger les contraintes pesant sur les entreprises, en particulier les PME.

Cependant, ces reports, présentés comme un geste de simplification, soulève de nombreuses questions sur l’ambition réelle de l’UE à imposer des normes contraignantes face aux enjeux environnementaux et sociaux.

Un dispositif pour "stopper l'horloge" de la durabilité

La nouvelle directive "Stop the Clock" bouleverse donc le calendrier de publication des reportings de durabilité, initialement prévu par la CSRD.

Concrètement, les grandes entreprises de la vague 2, soit les grandes entreprises de plus de 250 salariés, ayant un chiffre d’affaires de plus de 50 millions d’euros (60 M pour les groupes) et/ou un bilan total de plus de 25 millions d’euros (30 M pour les groupes) qui devaient initialement publier leur premier rapport en 2026 (sur l’exercice 2025), n’y seront finalement tenues qu’en 2028 (sur l’exercice 2027).

Et les PME cotées, ainsi que certains établissements financiers et compagnies d’assurance (vague 3), voient leur obligation de reporting repoussée à 2029 (sur l’exercice 2028).

À noter que la première vague d’entreprises, les sociétés cotées qui affichent plus de 500 salariés et un CA supérieur à 50 M€ (60 M€ pour les groupes) ou un total de bilan de plus de 25 M€ (30 M€ pour les groupes), doit, elle, toujours publier son premier rapport en 2025 pour l’exercice 2024, malgré un cadre encore flou dans plusieurs États membres.

Par ailleurs, en ce qui concerne la vague 4, soit des groupes de pays tiers réalisant plus de 150 M€ de chiffre d’affaires dans l’Union et ayant une filiale européenne soumise à la CSRD ou une succursale EU franchissant le seuil des 40 Mm€ de chiffre d’affaires, pour le moment, aucun délai de report n’est prévu par la directive Stop-the-Clock. Ces entreprises doivent donc toujours déclarer leurs activités en 2029 pour l'exercice 2028, comme initialement prévu.

Un an de report pour la directive sur le devoir de vigilance

Quant à la directive sur la diligence raisonnable en matière de durabilité des entreprises (CSDDD ou CS3D) qui devait contraindre les multinationales à identifier et prévenir les atteintes aux droits humains et à l’environnement dans leurs chaînes de valeur, sa transposition est désormais attendue pour 2027, avec une première application en 2028.

Précisément, la première phase d’application, visant les plus grandes entreprises (plus de 5 000 salariés et 1,5 milliard d’euros de chiffre d’affaires mondial), est repoussée d’un an, au 26 juillet 2028. De plus, le délai de transposition de la directive dans le droit national des États membres est également prolongé d’un an, jusqu’au 26 juillet 2027.

En outre, Stop the Clock prévoit la suppression pure et simple de la troisième vague d’entreprises qui ne seront donc plus astreintes au devoir de vigilance, de durabilité, soit celles de plus de 1 000 salariés réalisant un chiffre d’affaires net de plus de 450 M€.

La loi française « DDADUE » : vers un affaiblissement du rôle du CAC ?

En France, le Parlement s’est empressé d’emboiter le pas de la directive européenne en adoptant le 3 avril 2025 la loi DDADUE (loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes) qui transpose notamment les ajustements des propositions Omnibus dans le droit national.

Ainsi, elle modifie notamment l’échéancier introduit en 2023 par l’ordonnance relative à la CSRD qui prévoyait initialement une entrée en vigueur dès 2025 pour certaines entreprises.

Désormais, les grandes entreprises non cotées publieront leur premier rapport de durabilité pour l’exercice 2027 (publication en 2028), tandis que les PME cotées disposeront jusqu’à 2029.

L'un des aspects les plus critiqués de la loi DDADUE est la dépénalisation de l'absence de nomination d'un commissaire aux comptes ou d'un Organisme Tiers Indépendant (OTI) en charge de la vérification du rapport de durabilité.  

Rappelons que jusqu’ici, les entreprises concernées par la CSRD devaient désigner en 2025 et avant la clôture de leur compte, leur auditeur de durabilité, sous peine d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 30 000 € pour le dirigeant (article L821-6 du Code de commerce).

Selon le gouvernement, cette dépénalisation vise à éviter une surcharge pour les entreprises en phase d’adaptation, et à tenir compte de la montée en compétence progressive des professionnels habilités à cette nouvelle forme de certification.

Cependant, en supprimant la menace de sanctions, le législateur risque d'encourager certaines entreprises à négliger la certification de leurs rapports, remettant en cause la crédibilité des informations publiées. Ainsi, sans contrôle externe rigoureux, les rapports de durabilité pourraient devenir de simples exercices de communication.

Les ESRS au cœur des débats sur la simplification

En parallèle de ces reports, l'Union européenne a lancé un processus de simplification des normes européennes d'information sur la durabilité (ESRS), qui définissent les exigences de reporting pour les entreprises.

La Commission européenne a demandé à l'EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group) de proposer des modifications d'ici octobre 2025, avec pour objectif d'alléger les obligations tout en maintenant leur pertinence.

L'Efrag a donc mis en place un questionnaire qui permet aux entreprises et autres parties prenantes de soumettre leurs contributions jusqu'au 6 mai 2025, notamment sur des points comme la clarté des exigences, la cohérence avec d'autres législations européennes, ou encore l'interopérabilité avec les normes mondiales de reporting.

Si cette démarche vise à rendre les ESRS plus accessibles, reste à savoir si elle n’aboutit pas à une réduction des informations exigées, au risque de compromettre la transparence et la comparabilité des rapports de durabilité.

En définitive, les entreprises auront deux années supplémentaires pour se conformer, mais des questions restent entières : utiliseront-elles ce temps pour se préparer à un avenir plus durable, ou pour repousser encore les exigences de demain ? La directive Stop the Clock ne risque-t-elle pas de compromettre les efforts engagés par les entreprises les plus vertueuses ?  

Au final, l'UE qui jusqu’ici se présente comme un leader mondial en matière de durabilité, semble reculer face aux exigences qu'elle a elle-même fixées. En même temps, il est vrai, que le contexte géopolitique et économique reste tendu…

Samorya Wilson

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