Si les pratiques consistant à s'affranchir d'une réglementation dont le respect a un coût peuvent constituer des faits générateurs d'un trouble commercial, dont peut s'inférer un préjudice, fût-il seulement moral, une telle présomption de préjudice ne revêt de caractère irréfragable qu'à l'égard du préjudice moral que ces actes ont pu causer, le cas échéant, de sorte que toute réparation d'un préjudice économique doit être exclue si ces pratiques n'ont engendré ni perte ni gain manqué pour les demandeurs.
Soutenant que l'application UberPop avait été lancée en violation des règles applicables au secteur réglementé du transport de particuliers à titre onéreux, des chauffeurs de taxi ont assigné la société Uber France aux fins d'engager sa responsabilité civile pour concurrence déloyale et obtenir la réparation de leur préjudice économique et moral.
La cour d'appel de Paris a condamné Uber France à payer aux défendeurs au pourvoi les sommes indiquées dans son dispositif à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice économique.
Les juges du fond ont constaté que le service UberPop attirait des personnes au profil différent de celui des clients habituels des taxis et des VTC, que le développement des services Uber, dont UberPop, avait contribué à élargir les perspectives de l'industrie du taxi, laquelle avait connu une croissance de son chiffre d'affaires total depuis 2007, sans infléchissement pendant la période de mise en service d'UberPop, et que, pendant cette période, les chauffeurs de taxi artisans n'avaient pas subi de baisse de chiffre d'affaires par rapport aux périodes antérieure et postérieure.
Les juges ont néanmoins retenu que la dynamisation de la concurrence dans un secteur d'activité ne pouvait reposer sur des pratiques illicites et que ces pratiques de concurrence déloyale visant à développer en France le service UberPop en s'affranchissant de la réglementation avaient eu pour conséquence de perturber le marché en plaçant les chauffeurs utilisateurs de ses services dans une situation anormalement favorable par rapport à leurs concurrents chauffeurs de taxi respectant la réglementation du transport de particuliers à titre onéreux. Ils ont relevé que les pratiques illicites avaient incontestablement créé un trouble commercial pour les chauffeurs de taxi.
Les juges ont estimé que l'impact de ce trouble commercial pouvait ne pas se traduire en un détournement de clientèle effectif ou significatif et en une baisse de chiffre d'affaires corrélative au cours de la période de mise en service du service UberPop et que les taxis étaient en toute hypothèse dans l'incapacité de satisfaire complètement la demande en raison du contingentement du nombre d'autorisations de stationnement et des modalités de tarification des courses.
Ils ont ajouté que les effets préjudiciables pour les chauffeurs de taxis s'étaient traduits par une rupture d'égalité entre concurrents sur le marché du transport de particuliers à titre onéreux, permettant au groupe Uber, par l'intermédiaire de la société Uber France, de construire son modèle de développement économique à partir d'un avantage concurrentiel illicite en s'affranchissant de la réglementation.
La cour d'appel en a déduit qu'il y avait lieu de réparer ces effets préjudiciables en prenant en considération l'avantage indu résultant de cette rupture d'égalité, à savoir l'économie de charges faite par un chauffeur UberPop en ne respectant pas la réglementation, modulé à proportion des volumes d'affaires respectifs des parties.
Dans un arrêt du 9 avril 2025 (pourvoi n° 23-22.122), la Cour de cassation invalide cette analyse au via de l'article 1382, devenu 1240, du code civil.
La chambre commerciale reproche aux juges du fond d'avoir statué par des motifs uniquement tirés de l'atteinte causée au marché, alors qu'il résultait de leurs constatations qu'elle n'avait entraîné, pour les chauffeurs de taxis demandeurs, aucun préjudice économique autre qu'un préjudice moral intégrant l'atteinte à l'image, qu'elle réparait par ailleurs.
Or, après avoir rappelé sa jurisprudence du 12 février 2020 (pourvoi n° 17-31.614), elle indique que lorsque l'auteur de la pratique déloyale rapporte la preuve que le concurrent n'a subi ni perte, ni gain manqué, ni perte de chance d'éviter une perte ou de réaliser un gain, il est seulement tenu de réparer un préjudice moral, lequel est irréfragablement présumé.
SUR LE MEME SUJET :
Le chauffeur de VTC doit regagner sa base entre deux courses - Legalnews, 29 novembre 2023
Uber condamné à réparer le préjudice moral des taxis - Legalnews, 13 septembre 2021
Concurrence déloyale : la difficile évaluation du préjudice - Legalnews, 27 octobre 2020
CJUE : interdiction de l’activité de transport UberPop sans information préalable de la Commission - Legalnews, 12 avril 2018
Taxis : condamnation d’une start-up pour exercice illégal de la profession - Legalnews, 9 mars 2017
QPC : incompatibilité de l'exercice de l'activité de conducteur de taxi avec celle de conducteur de VTC - Legalnews, 19 janvier 2016
QPC : incrimination de la mise en relation de clients avec des conducteurs non professionnels - Legalnews, 24 septembre 2015