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Contrôle de l’impartialité des juges et des arbitres : parallèle entre les arrêts Tapie et AZF

Frédéric Flatrès, associé Bersay & Associés et Roxane BornhauserFrédéric Flatrès, associé Bersay & Associés et Roxane Bornhauser reviennent sur le contrôle de l'impartialité des juges et des arbitres en faisant un parallèle entre les arrêts Tapie et AZF.

Alors que l’impartialité des juges et des arbitres fait régulièrement débat et que la tendance actuelle est à tout le moins de tenter de circonscrire davantage leurs pouvoirs1, deux décisions importantes rendues en ce début d’année dans les célèbres affaires Tapie et AZF rappellent que cette exigence d’impartialité attachée à toute fonction de juger fait l’objet d’un contrôle scrupuleux.

Au départ, ces deux affaires n’ont pourtant aucune similitude.

L’affaire AZF constitue un de ces grands procès "catastrophe" – en l'occurence l'explosion en 2001 d’un stock de nitrate d’ammonium dans une usine chimique située à Toulouse – au terme duquel la société d’exploitation et le chef d’établissement de l’usine ont été reconnus pénalement et civilement responsables par la Cour d’appel de Toulouse2.

Les prévenus ont ensuite porté l’affaire devant la Cour de cassation, en invoquant l’absence d’impartialité d’un des magistrats qui étaient chargés de juger de l’affaire. Il s’est avéré en effet que celui-ci était membre d’une association ayant elle-même des liens avec une autre association partie civile à l’instance.

C’est après avoir constaté notamment l’existence de ce lien que la Cour de cassation a remis en cause la décision de la Cour d’appel de Toulouse, en considérant qu’il y avait là un "doute quant à l’impartialité" de ce juge3.

Pour sa part, l’affaire opposant Bernard Tapie à une filiale du Crédit Lyonnais, qui a fait l’objet d’une véritable saga judiciaire, tire sa notoriété des sommes colossales (405 millions d’euros) accordées par un tribunal arbitral à Bernard Tapie au terme d’une sentence rendue le 7 juillet 2008. Les soupçons portés sur la partialité de l’un des arbitres, Pierre Estoup, ont conduit le CDR, entité créée afin de récupérer les dettes du Crédit Lyonnais, à exercer un recours en révision contre cette sentence devant la Cour d’appel de Paris4.

Après avoir minutieusement listé les nombreux éléments mis à jour dans le cadre de l’instruction pénale, la Cour d’appel de Paris est revenue sur cette sentence, invoquant la fraude de cet arbitre.

La Cour d’appel de Paris a considéré plus précisément que Pierre Estoup avait entretenu pendant la procédure arbitrale des liens étroits et non révélés avec Bernard Tapie et son avocat, l’amenant à influencer d’une manière déterminante l’issue de la procédure dans un sens favorable à Bernard Tapie.

C’est donc l’absence d’impartialité (ou un doute sur son existence) qui a conduit les juges de la Cour de cassation et de la Cour d’appel de Paris à remettre en cause ces décisions.

L’impartialité se définit à la fois de façon subjective (l’absence de préjugés de celui qui juge, en son for intérieur) et de façon objective (l’absence d’éléments objectifs qui pourraient laisser croire que le juge favorise un intérêt par rapport à un autre). Elle est toujours présumée, sauf à ce que des éléments permettent de la remettre en cause.

Dans ces deux décisions, l’impartialité était remise en cause notamment par le fait que le juge et l’arbitre cultivaient tous deux des liens étroits avec des associations.

Pendant le déroulement du procès, Pierre Estoup s’était ainsi activement attaché à convaincre une association de petits porteurs totalement étrangère à l’affaire (l’APPAC) d’intervenir au soutien des intérêts de Bernard Tapie.

De même, le magistrat dans l’affaire AZF était membre d’une association nationale d’aide aux victimes et de médiation (l’INAVEM) qui avait, au cours du procès, conclu une convention de partenariat « privilégiée » avec une autre association, elle-même partie civile à l'instance.

Les deux décisions divergent toutefois quant au degré d’appréciation de l’impartialité.

Dans l’affaire AZF, la Cour de cassation a considéré qu’un simple doute quant à l’impartialité du magistrat en cause suffisait pour que l’arrêt d’appel soit censuré sur le fondement de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme garantissant le droit à un procès équitable.

Dans l’affaire Tapie, la partialité de l’arbitre n’était pas le fruit d’une simple situation de fait, mais était caractérisée par des actes positifs de Pierre Estoup et sa volonté non équivoque d’agir en faveur des intérêts de Bernard Tapie (proximité personnelle avec son avocat, procédés visant à influencer les autres membres du tribunal arbitral, etc.).

Quoi qu’il en soit, ces décisions rappellent surtout qu’il existe de nombreux moyens de garantir l’impartialité – moyens qui ne sont pas toujours les mêmes selon que l’on ait recours à la justice étatique ou l’arbitrage.

D’abord, la partialité peut toujours être révélée par le juge ou l’arbitre lui-même, dès lors qu’il sait qu’il manquera de la neutralité nécessaire à sa fonction.

En tant qu’arbitre, Pierre Estoup aurait dû ainsi révéler "toute circonstance d’affecter son indépendance ou son impartialité"5.

Le magistrat dans l’affaire AZF devait de son côté "se déporter"6, en informant son Président de la nécessité d’être remplacé. Il y avait justement procédé mais le Président avait jugé que ses liens indirects avec la partie civile n’étaient pas suffisants pour faire droit à sa demande.

Quand l’initiative judiciaire ne prospère pas, il est encore possible pour les parties d’agir.

Si elles ont connaissance de la partialité et la découvrent « à temps », c'est-à-dire avant que la décision ne soit rendue, elles peuvent demander dans une instance judiciaire la récusation du juge. Dans une instance arbitrale, elles peuvent solliciter un « juge d’appui » pour qu’il tranche les contestations liées à la désignation de l’arbitre.

Ce n’était pourtant pas le cas dans les affaires AZF et Tapie, où les parties n’avaient pas eu recours à ces procédés.

Reste alors pour elles la voie du remède a posteriori, lorsque la partialité est découverte qu’une décision irrégulière a été rendue.

Dans un tel cas, celles-ci peuvent d’abord utiliser les voies de recours ordinaires lorsque les délais le leur permettent.

C’est la voie privilégiée dans l’affaire AZF, où les prévenus se sont pourvus en cassation en invoquant la violation par la juridiction du fond de l’article 6-1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.

Dans l’affaire Tapie, le Crédit Lyonnais aurait pu, par le biais du « recours en contre la sentence, tenté de faire annuler la sentence arbitrale mais les courts délais applicables à ce recours avaient été dépassés.

Les parties pouvaient encore solliciter, comme cela a été fait sur le fondement de la fraude, la voie extraordinaire du « recours en révision », recours ouvert tant contre une décision arbitrale qu’étatique lorsque celle-ci est déjà définitive.

Ainsi, les justiciables ne sont pas dépourvus de moyens de nature à garantir l’impartialité des juges et des arbitres.

Ces deux décisions importantes rappellent à cet égard que les juges et les arbitres peuvent toujours faire l’objet d’un contrôle scrupuleux sur leur impartialité lorsque l’équité du procès le justifie.

Frédéric Flatrès, asscoié Bersay & Associés et Roxane Bornhauser

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NOTES

1. Voir par exemple la loi expérimentale du 10 août 2011 ayant introduit le recours à des jurés populaires pour les procès en correctionnelle ou le Décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011 portant réforme de l'arbitrage ayant
introduit un juge d’appui chargé de trancher les contestations liées à la désignation de l’arbitre.

2. Cour d’appel de Toulouse, 24 septembre 2012.

3. Cour de cassation, Chambre criminelle, 13 janvier 2015.

4. Cour d’appel de Paris, 17 février 2015.

5. Article 1456 du Code de procédure civile.

6. Article 339 du Code de procédure civile.

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