Une application délicate au cas des ordonnances de l’article 38
L’arrêt commenté montre quelles redoutables difficultés cette construction prétorienne a priori insusceptible de quelque critique que ce soit soulève dans le cas où, comme en l’espèce, le texte annulé « en tant que ne pas » est une ordonnance prise en vertu de l’article 38 de la Constitution.
Dans les conditions désormais prévues à l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’Etat était invité à se prononcer sur la conformité à la Constitution des dispositions du I de l’article 4 de la loi du 24 février 2014 de ratification de l’ordonnance du 19 décembre 2012. Cet article se borne à disposer que : « L’ordonnance (…) est ratifiée ».Il ratifie donc entre autres l’article L 5125-34 du CSP qui fait partie intégrante de l’ordonnance ratifiée. Mais de quelle rédaction parle-t-on ? Quelle rédaction de l’article L 5125-34 du CSP le législateur a-t-il entendu ratifier ? S’agit-il de la rédaction originelle de l’article, ultérieurement annulée par le Conseil d’Etat ? C’est notamment ce que pourrait laisser penser le fait que le législateur a cru utile, après avoir ratifié l’ordonnance, de modifier expressément – pour l’avenir seulement – l’article L 5125-34 pour le mettre en conformité avec le dispositif de l’arrêt d’annulation du 17 juillet 2013. En effet, depuis le 26 février 2014, date d’entrée en vigueur de la loi du 24 février 2014, l’article L 5125-34 du CSP se lit comme suit : « Seuls peuvent faire l’objet de l’activité de commerce électronique les médicaments qui ne sont pas soumis à prescription obligatoire ». A la définition « en creux » des médicaments qui peuvent être vendus par internet retenue par le droit européen, le législateur français a préféré une définition positive. Il ne fait toutefois pas de doute que dans les deux cas les champs d’application sont désormais identiques.
En dépit donc de ce solide argument de texte, la rédaction de l’article L 5125-34 du CSP ratifiée par la loi du 24 février 2014 serait-elle, au contraire, par application de la construction prétorienne rappelée ci-dessus, celle qui résulte de l’arrêt d’annulation du 17 juillet 2013 ?
Amené donc à trancher entre ces deux interprétations, le Conseil d’Etat opte sans hésitation aucune pour la seconde. Il juge en effet que : « le I de l’article 4 de la loi du 24 février 2014 ratifie l’ordonnance du 19 décembre 2012 dans sa rédaction seule applicable de la date de son entrée en vigueur jusqu’au 25 février 2014, laquelle résulte de la décision du Conseil d’Etat, statuant au contentieux, du 17 juillet 2013 (…) ».
Cette solution présente certes deux principaux avantages : d’une part, en garantissant la continuité de la rédaction applicable depuis l’origine du texte, elle évite, sous une seule réserve qui sera examinée ci-dessous, tout risque d’incertitude juridique et écarte tout débat sur l’interprétation du texte applicable. D’autre part, et ainsi qu’il a été exposé ci-dessus, elle permet le maintien dans l’ordonnancement juridique d’un texte qui est, dès l’origine, conforme au droit de l’Union. C’est en ce sens qu’il faut probablement comprendre rétrospectivement l’un des motifs retenus par le juge des référés dans son ordonnance du 14 février 2013 ordonnant la suspension de l’exécution de l’article L 5125-34 du CSP. Rappelons, en effet, que, par une rédaction inédite, cette ordonnance retient « que l’intérêt public commande (….) que soient prises les mesures provisoires nécessaires pour faire cesser immédiatement l’atteinte aux droits conférés par l’ordre juridique de l’Union européenne ». Cette ordonnance constitue d’ailleurs l’un des apports majeurs du contentieux généré par la vente des médicaments par internet puisqu’il semble bien que, au 14 février 2013, aucun précédent n’existait ayant ordonné la suspension de l’exécution d’un acte administratif « en tant que ne pas ».