Une altération inévitable de la séparation des pouvoirs ?
Mais, à côté de ces aspects positifs indéniables, la solution retenue par le Conseil d’Etat présente plusieurs inconvénients majeurs dont on peut se demander s’ils ont été appréhendés par le juge ou si au contraire celui-ci ne s’est pas borné à appliquer dans le cas d’un texte législatif la solution qui lui est familière dans le cas d’un texte réglementaire, sans s’interroger sur le point de savoir s’il n’existerait pas au cas d’espèce des obstacles à une telle analogie.
En tout cas, ces inconvénients touchent à des principes si fondamentaux que le débat ne peut être esquivé : c’est en effet rien moins que la séparation des pouvoirs qui est en cause.
Outre que l’on ne comprend pas très clairement quelles raisons font que la rédaction de l’article L 5125-34 du CSP résultant de l’arrêt d’annulation du 17 juillet 2013 ne s’appliquerait que depuis le 22 décembre 2012, date de l’entrée en vigueur de l’ordonnance, et non depuis le 19 décembre 2012, date de son adoption, alors que la loi de ratification prend effet, quant à elle, au 19 décembre 2012, la solution retenue par la Haute Assemblée pose en effet deux questions majeures et corollaires au regard du principe de séparation des pouvoirs, alors même que l’arrêt précise que la solution ainsi retenue ne heurte pas « le principe de séparation des pouvoirs ».
En premier lieu, en effet, se pose la question de savoir si le juge administratif n’écarte pas ici un peu rapidement les travaux du Parlement. Bien que, il est vrai, les travaux préparatoires de la loi du 24 février 2014 ne soient malheureusement guère éclairants sur ce point, ne faut-il pas postuler que le législateur est cohérent dans sa démarche pour en déduire qu’à partir du moment où il a modifié pour l’avenir le texte de l’article L 5125-34, c’est que nécessairement il a entendu ratifier la rédaction originelle de cet article, interprétation qui s’inscrirait en cohérence avec la rédaction de l’article de ratification qui ratifie l’ordonnance du 19 décembre 2012 sans autre précision.
En second lieu, la solution retenue par la Haute Assemblée pose des questions plus profondes encore au regard du principe de séparation des pouvoirs. Non seulement le juge écarte ici d’un revers de main la rédaction que lui propose le législateur, mais encore il s’autorise à substituer à la rédaction ainsi proposée par le Parlement-législateur sa propre rédaction qui s’incorpore ainsi directement à la loi. En ce sens, on peut donc se poser la question de savoir si la solution légitime, audacieuse et particulièrement constructiviste dégagée par l’arrêt d’Assemblée du 29 juin 2001 n’atteint pas ses limites dans le cas où le support juridique qui fait l’objet de l’annulation « en tant que ne pas » est une ordonnance de l’article 38 de la Constitution qui a donc vocation, sauf à devenir caduque, à devenir rétroactivement un acte législatif.
Autant peut-être que la directive elle-même, l’ordonnance de l’article 38 « intrigue, dérange, divise » en raison de sa « singularité » . C’est un acte hybride en ce sens que c’est un acte législatif en devenir. Comme le montre l’arrêt du 20 mai 2014, cette nature hybride pose aux juristes de redoutables questions.
Si les difficultés que posent les ordonnances de l’article 38 de la Constitution ne sont pas nouvelles, l’arrêt du 20 mai 2014 montre en revanche, comme déjà celui du 5 février 2014 concernant Canal Plus , que le nouvel instrument processuel qu’est la question prioritaire de constitutionnalité expose le juge à des questions inédites.
En l’espèce, en effet, se pose inévitablement la question de l’impartialité du juge : en s’érigeant en législateur, le juge n’en vient-il pas nécessairement à porter atteinte à sa fonction même par altération du principe cardinal d’impartialité ? Comment en effet le juge pourrait-il douter de la conformité à la Constitution d’une disposition législative à la rédaction de laquelle il a concouru ? La Haute Assemblée écarte ces interrogations légitimes par une affirmation péremptoire selon laquelle la solution retenue ne porte pas atteinte à la séparation des pouvoirs.
Dans une hypothèse telle que celle de l’espèce, il n’appartient donc, semble-t-il, qu’au Conseil constitutionnel de dire quelle est la loi applicable et si elle est applicable. Seule cette solution est de nature à éviter de confronter le juge administratif au questionnement qui vient d’être analysé.