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Droit pénal de l’environnement : état des lieux juridique

Nous constations en 2024 l’essor du droit pénal de l’environnement[1]. Une année plus tard, la tendance mondiale, européenne et même nationale est peu propice à de nouveaux développements, au profit d’un objectif annoncé de simplification. L’impact réel de cette nouvelle volonté politique est toutefois difficile à évaluer à ce jour.

Les derniers mois démontrent que les juridictions, services d’enquête et les associations civiles continuent de s’approprier les nombreux outils législatifs d’ores et déjà en place, assurant une poursuite de la montée en puissance du droit pénal environnemental. La mise en conformité et montée en compétence des acteurs économiques sur ces sujets demeure indispensable.

  1. Les évolutions législatives et réglementaires
  • La loi de souveraineté agricole du 24 mars 2025: symbole politique d’une dépénalisation annoncée de certaines atteintes environnementales, cette loi constitue la principale nouveauté législative et appelle les observations suivantes :
    • La loi a modifié in mitius l'article L. 415-3 du code de l'environnement, siège répressif des atteintes aux espèces protégées et habitats naturels, limitant le champ d’application du délit aux seules atteintes intentionnelles ou commises par « négligence grave ».

Cette modification opère un revirement de la jurisprudence de la Cour de cassation, qui considérait qu'une négligence simple ou maladresse suffisait à satisfaire l’élément moral du délit (interprétation qui avait été critiquée par la doctrine en ce qu’elle apparaissait contraire avec le principe de l'article 121-3 du code pénal).

  • La loi a en revanche complété les mesures alternatives aux poursuites, en permettant de recourir à une transaction administrative prévu par l’article L. 173-12 du code de l’environnement en cas de d’allégations de violation de l’article L. 415-3.

Cette double modification semble confirmer la volonté du législateur de limiter la voie pénale délictuelle aux atteintes les plus graves et manifestement intentionnelles, et d’encourager la proposition d’alternatives aux poursuites telles que la transaction ou la CJIPE.

  • La loi instaure un nouveau régime de protection des haies aux articles L. 412-21 à 28 du code de l’environnement, prévoyant un mécanisme de déclaration unique préalable pouvant valoir dérogation d’espèces protégées.
  • La Loi 2025-188 relative aux PFAS: largement reprise dans l’actualité, cette courte loi prévoit en particulier l’interdiction progressive des PFAS dans les produits cosmétiques, de fart, textiles d’habillement et chaussures puis, à partir de 2030, tout produit textile[2].

Ces interdictions sont, à ce jour, sanctionnées par la procédure de mise en demeure et d’amendes / astreintes administratives prévues aux articles L. 521-17 et s. du code de l’environnement (étant précisé que le non-respect d’une mise en demeure administrative est pénalement sanctionné par l’article L. 521-21 du code de l’environnement).

  • Deux textes structurants sont par ailleurs selon toute vraisemblance en préparation : la proposition de transposition de la nouvelle directive 2024/1203 relative à la protection de l’environnement par le droit pénal[3], et les nouvelles dispositions pour la mise en œuvre au niveau français du règlement 2023/1115 relatif à la déforestation.
  1. Les principales jurisprudences
    • Les précisions de droit de la Cour de cassation

La jurisprudence de la Cour de cassation est importante pour préciser certaines notions du droit pénal de l’environnement, droit éminemment technique et encore relativement jeune. L’on peut relever les récentes décisions suivantes :

  • Le référé pénal environnemental: le code de l’environnement prévoit la possibilité d’un référé pénal environnemental, permettant que le juge des libertés et de la détention (ou le juge d’instruction en cas d’information judiciaire) puisse prendre des mesures conservatoires provisoires avant que l’affaire ne soit jugée au fond, y compris la suspension ou l’interdiction de certaines opérations portant atteinte à l’environnement[4]. Par trois arrêts successifs, la chambre criminelle a apporté les précisions suivantes :
    • Si le procureur peut agir en référé à la demande des associations de protection de l’environnement, ces dernières n’ont pas pour autant la qualité de partie à la procédure de référé, si bien qu’elles ne peuvent ni faire appel de la décision[5], ni formuler de requêtes concernant les mesures d’exécution ordonnées en référé[6];
    • Sous peine de nullité de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention, la personne concernée par les mesures de référé doit se voir notifier son droit de se taire dès lors qu’elle est suspectée pénalement pour les faits soumis au juge[7].
  • Les cours d’eau: l’existence d’un cours d’eau ne peut être caractérisée sur la seule base d’une carte géographique les répertoriant, fût-elle dressée par un inspecteur de la police de l’eau. Il est indispensable que la juridiction du fond caractérise, le cas échéant par faisceau d’indices, l’ensemble des conditions d’existence du cours d’eau prévu par l’article L. 215-7-1 du code de l’environnement (ie, un écoulement d'eaux courantes dans un lit naturel à l'origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant la majeure partie de l'année)[8].
  • Procédure : les inspecteurs de l’environnement, bien qu’assermentés, n’ont pas qualité pour exercer les poursuites et doivent donc prêter serment avant toute audition devant le tribunal correctionnel ou la Cour d’appel, sous peine de cassation de l’arrêt qui fonderait une décision de culpabilité sur leurs dépositions[9].
  • Espèces protégées: pour être protégées au titre de la loi pénale, les espèces doivent figurer sur l’une des listes limitatives prévues à cette fin par arrêté. Une cour d’appel ne peut donc fonder une condamnation au motif que les espèces en cause sont notoirement en danger et qu’elles font l’objet de strictes mesures administratives de contrôles[10].
  • Remise en état : la peine de remise en état est une mesure à caractère réel et ne peut être prononcée à titre de peine principale ; les juridictions du fond sont en outre tenues de détailler les mesures de remise en état à prendre au regard des faits de la prévention[11].
    • Les affaires au fond et CJIPE
  • Exploitation d’installations classées: le 10 février 2025, le tribunal correctionnel de Bordeaux a condamné à 200.000 euros d’amende une société exploitant une installation de tri et traitement des déchets, qui – entre autres manquements – ne respectaient pas les prescriptions administratives de vitesse d’éjections de gaz et de rejet des eaux pluviales.

Pour rappel, les installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) mentionnées à l’article L. 511-1 du code de l’environnement font l’objet de mises en demeure administratives en cas de non-conformités, mises en demeure dont le non-respect est pénalement sanctionné par l’article L. 173-1 du même code. C’est sur ce fondement que la société a été condamnée.

  • Espèces protégées: l’affaire la plus significative est sans doute la condamnation du 7 avril 2025 des dix sociétés exploitantes du parc éolien d’Aumelas dans l’Hérault à une peine de 500.000 euros (dont la moitié assortie du sursis), ainsi qu’à la suspension avec exécution provisoire, pendant quatre mois de l’exploitation[12] [13]. Le jugement est frappé d’appel.
  • Infractions maritimes: Dans la lignée deux décisions pénales de décembre 2023 à l’encontre de deux capitaines de navires, le tribunal maritime de Marseille a condamné pour la première fois l’armateur propriétaire du navire ayant violé les interdictions de mouillage dans les Calanques de Marseille.

A la différence des infractions d’atteintes aux habitats ou espèces protégées prévues par le code de l’environnement, l’infraction prévue par l’article L. 5242-2 est formelle et requiert la seule démonstration que le navire a violé une interdiction de mouillage édictée par arrêté.

Reprenant la même logique qu’à l’encontre des deux capitaines condamnés en 2023, le tribunal maritime a adopté la méthode dite Griffiths pour apprécier la zone impactée par le mouillage afin de déterminer la réparation du préjudice écologique, étant précisé que les constats matériels ne permettaient pas de l’établir avec précision et que le préjudice ne pouvait être réparé en nature compte tenu de la particulière technicité de la replantation / restauration de l’herbier de posidonie en cause.

  • Règlement Bois: les cours d’appels de Rennes et de Bourges ont confirmé en 2024 les deux premières condamnations rendues sur le fondement du règlement bois, décisions déjà commentées par ailleurs[14]. Les arrêts font l’objet d’un pourvoi en cassation, dont la décision devrait être rendue prochainement.
  • Conventions judiciaires d’intérêt publique environnementale: au-delà de la CJIPE conclue avec Nestlé Waters et déjà largement commentée, l’on pourra relever celle validée le 7 mars 2025 avec la société Engie, comprenant une amende d’intérêt public de 135.000 euros pour des travaux effectués au sein d’un parc photovoltaïque en violation des règlementations sur l’eau et sur les zones humides.

Au-delà de l’amende d’intérêt public, la société s’est engagée sur un strict – et probablement couteux – plan de remise en état de la zone humide impactée, dont la mise en œuvre sera soumise au contrôle et à l’approbation de la DREAL.

Le droit pénal de l’environnement continue donc d’essaimer en pratique, en dépit d’un contexte politique tendu. Le droit français dispose à cet égard d’un arsenal répressif important pour sanctionner les atteintes à l’environnement, que cela passe devant des juridictions de jugement ou par voie transactionnelle (pénale ou administrative). A ce jour, plusieurs options peuvent d’ailleurs être mobilisées pour une même atteinte (options civiles par le devoir de vigilance ou la réparation du préjudice écologique, options pénales délictuelles ou contraventionnelles, options administratives par des recours en annulation ou des contrôles et transactions avec les autorités compétentes).

Il y a donc de bonnes chances que la montée en compétence technique et de moyens de l’ensemble des acteurs concernés – autorités, magistrats, avocats, associations – permette un renforcement du droit pénal et regulatory environnemental, indépendamment du contexte politique.

Sur le plan technique, l’enjeu de précision de la loi pénale demeure un sujet majeur. La forte technicité du droit de l’environnement nécessite des clarifications jurisprudentielles, tant par les juridictions du fond que par la Cour de cassation. Celles-ci sont d’ailleurs d’ores et déjà saisies de plusieurs affaires importantes, portant sur des fondements encore peu appliqués, voire inédits pour certains. Le praticien ne peut que se réjouir de ces nouvelles décisions à intervenir.

Quentin Dreyfus, Senior Associate, Paul Hastings LLP, Ancien Secrétaire de la Conférence

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[1]           https://www.lemondedudroit.fr/decryptages/93781-droit-penal-environnement-essor-enjeux-precisions.html

[2]           Article L. 524-1 du code de l’environnement.

[3]           Conformément à l’article 28 de la directive, celle-ci devrait en théorie être transposée avant le 21 mai 2026.

[4]           Cf. not. L’article L. 226-13 du Code de l’environnement, modèle le plus connu et pratiqué des référés pénaux environnementaux. Voir également article L. 415-4 du code de l’environnement.

[5]           Cass. crim., 18 mars 2025, 24-81.339, Publié au bulletin

[6]           Cass. crim., 14 janvier 2025, 23-85.490, Publié au bulletin

[7]           Cass. crim., 28 janvier 2025, 24-81.410, Publié au bulletin

[8]           Cass. crim., 1 avril 2025, n° 24-81.178.

[9]           Cass. crim., 4 mars 2025, n° 24-82.160, Publié au bulletin

[10]          Cass. crim., 22 mai 2024, n° 23-83.463

[11]          Cass. crim., 18 mars 2025, 24-84.120, Publié au bulletin

[12]          L’ensemble des conventions judiciaires d’intérêt public environnemental sont publiquement accessibles ici : https://www.ecologie.gouv.fr/politiques-publiques/convention-judiciaire-dinteret-public-cjip

[13]          Voir également la décision similaire de ce même tribunal de Montpellier du 9 avril 2025 contre la société exploitante du parc éolien de Bernagues.

[14]          Voir not. Quentin Dreyfus, Lutte contre la déforestation et le bois illégal : un cadre juridique et répressif substantiellement renforcé, Revue Droit de l’Environnement, 27 mars 2025.

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