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Vente de médicaments sur Internet : analyse de la décision du Conseil d’Etat du 20 mai 2014, SELARL TANT D'M - Une figure peu commune mais pas inconnue née du droit européen : l’annulation « en tant que ne pas »

Une figure peu commune mais pas inconnue née du droit européen : l’annulation « en tant que ne pas »

On se souvient que, statuant sur les recours dont il avait été saisi dirigés contre l’ordonnance du 19 décembre 2012 prise pour la transposition en France de la directive 2011/62/UE, le Conseil d’Etat a, en juillet 2013, prononcé l’annulation partielle de l’article L 5125-34 introduit dans le code de la santé publique (CSP) par l’ordonnance attaquée.

Selon une rédaction peu fréquente mais pas totalement inconnue, la Haute Assemblée a annulé l’article L 5125-34 du CSP « en tant qu’il ne limite pas aux seuls médicaments soumis à prescription médicale obligatoire l’interdiction de faire l’objet de l’activité de commerce électronique » . Cette rédaction reprend en fait celle de l’ordonnance du 14 février 2013 par laquelle le juge des référés avait d’ores et déjà suspendu l’exécution du même article .

L’annulation « en tant que ne pas » estune figure qui n’est pas inconnue du juge administratif. Elle a été identifiée voici une quinzaine d’années et est notamment directement liée aux contraintes spécifiques que la transposition des directives européennes impose aux Etats membres. Techniquement, elle se présente comme une variante, une déclinaison particulière, de l’annulation partielle. Elle correspond à l’hypothèse dans laquelle, à l’occasion de la transposition d’une directive, l’autorité réglementaire est restée en-deçà des obligations que lui impose la directive à transposer.

Le manquement aux obligations européennes ne résulte donc pas de l’absence de transposition, mais plutôt d’une transposition incorrecte en ce que les moyens mobilisés ne permettent pas, du fait de leur insuffisance, d’atteindre le résultat imposé par la directive.

Cette hypothèse est celle rencontrée avec la vente de médicaments par internet : l’ordonnance du 19 décembre 2012 entrouvre la porte de la vente du médicament par internet sur le marché français, mais insuffisamment au regard des prescriptions européennes. En effet, alors que, conformément à la solution dégagée dès 2003 par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), l’article 85 quarter introduit dans le code communautaire du médicament par la directive 2011/62/UE impose aux Etats membres de permettre la vente de médicaments par internet sous réserve du cas des médicaments à prescription médicale obligatoire (PMO), l’article L 5125-34 du CSP, issu de l’ordonnance du 19 décembre 2012, limite cette forme de commerce aux seuls médicaments en accès libre, catégorie qui non seulement n’est pas connue du droit européen mais encore ne regroupe pas, tant s’en faut, la totalité des médicaments non soumis à PMO. Au total, le champ d’application matériel du texte de transposition est donc plus étroit que celui de l’article 85 quarter. L’ordonnance du 19 décembre 2012 ne limite pas aux seuls médicaments soumis à PMO l’interdiction de la vente par internet mais l’étend au contraire à tous les médicaments autres que ceux qui sont proposés en accès libre. Le Conseil d’Etat ne peut que prononcer l’annulation de l’article L 5125-34 et, pour rester au plus près de la rédaction retenue par le législateur européen, prononce, dans les termes rappelés ci-dessus, la sentence d’annulation« en tant que ne pas ».

Il procède ainsi chaque fois que le dispositif d’annulation quoique quelque peu inhabituel n’est pas sujet à interprétation du fait que l’écart entre le résultat qui a été atteint par le texte de transposition et celui qui aurait dû être atteint est clairement mesurable. C’est ce que des commentateurs particulièrement autorisés nomment la « prédétermination » de l’écart.

Dans cette hypothèse de « prédétermination », le Conseil d’Etat considère que, par l’effet rétroactif de l’annulation, le dispositif de l’arrêt d’annulation s’incorpore directement ab initio dans le texte annulé. Ainsi donc, au moment même où le juge administratif en prononce l’annulation, le texte annulé « en tant que ne pas » se trouve purgé de son vice originel et d’emblée conforme à la directive à transposer.

Cette solution est dictée par les contraintes spécifiques que le droit européen impose aux Etats membres. Ainsi que l’expose clairement l’arrêt d’Assemblée du 29 juin 2001 précité, l’annulation partielle, lorsqu’elle est fondée, comme c’est le cas dans cette affaire, sur une discrimination « ne saurait avoir pour effet de maintenir dans l’ordre juridique français une discrimination contraire aux exigences du droit communautaire ». D’où la nécessité, précise le même motif de l’arrêt, de préciser la portée du dispositif d’annulation « par des motifs qui en constituent le soutien nécessaire ». De même que dans l’arrêt de principe du 29 juin 2001, le dispositif de l’arrêt d’annulation du 17 juillet 2013 a donc pour objet de rétablir d’emblée la conformité du droit français au droit de l’Union en évitant que ne subsiste dans l’ordonnancement juridique français une rédaction de l’article L 5125-34 du CSP qui ne serait pas conforme au droit européen.

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