Concours Miss France : contrat de travail ou pas contrat de travail ?

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Tribune de Pierre-Jacques Castanet, Président d’In Extenso Avocats alors que sera rendue le 21 juin prochain la décision du Conseil des Prud’hommes de Bobigny suite à sa saisine par l’association Osez le féminisme ! pour que les prestations des participantes au concours Miss France soient considérées comme des prestations de travail.

Concours Miss France : contrat de travail ou pas contrat de travail ? C’est effectivement la question.

Souvenez-vous, en octobre dernier, l’association « Osez le féminisme » saisissait le Conseil de Prud’hommes de Bobigny pour violation du droit du travail par Endemol Production et la société Miss France.

Alors que la procédure intentée contre les organisateurs du concours Miss France doit être entendue le 21 juin prochain par le Conseil de prud’hommes, revenons sur la question de l’existence ou non d’un contrat de travail pour les participants à telles émissions de télévision.

A noter que la société organisatrice a annoncé depuis dans la presse que les candidates auraient un contrat de travail lors de la prochaine édition du concours mais seulement pour la cérémonie, et non pour les semaines de préparation. L’enjeu n’en demeure donc pas moins important.

Le contentieux sur les demandes de requalification d’une prestation en un contrat de travail n’est pas nouveau (Arrêt BARDOU du 6 juillet 1931) mais présente la particularité de sans cesse rebondir et de faire l’actualité en raison de l’apparition de nouvelles formes d’activités.

On pense aux émissions de télé-réalité dont le Concours Miss France est peut-être l’ancêtre ou du moins le précurseur, mais aussi à la situation des « travailleurs » qui collaborent à des plateformes numériques en particulier dans le secteur du transport de personnes et de marchandises.

Pour caractériser un contrat de travail, 3 conditions cumulatives doivent être réunies.

- L’existence d’une prestation de travail :

Il faut reconnaitre que cette condition est souvent remplie ou du moins assez facilement admise par les juges.

Toutefois, si l’on retient la définition du LAROUSSE, « le travail est l’activité de l’homme appliquée à la production, à la création, à l’entretien de quelque chose : travail manuel, intellectuel », on peut légitimement s’interroger sur le point de savoir si toute activité est nécessairement constitutive d’un travail.

Réaliser, comme le font les participants au concours Miss France, en particulier avant le jour J, des interviews, des activités sportives, des sessions photographiques, etc. , est-ce une prestation de travail ? La doctrine a pu se montrer dubitative à ce sujet (Professeur Morvan, « Télé-réalité et contrat de travail », Semaine Sociale Lamy, Octobre 2006).

- L’existence d’une rémunération :

Ici encore, cette condition est souvent acquise dans les contentieux car même en l’absence d’une rémunération proprement dite (honoraires, factures pour prestations, …), les formes d’intéressement peuvent être multiples (voyages, défraiements généreux, prix ou récompenses, redevance sur utilisation de l’image, …).

- L’existence d’un lien de subordination :

Depuis 1996, « le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné » (Arrêt Société Générale du 13 novembre 1996).

Concrètement il s’agit d’établir la réunion de 3 pouvoirs, celui de diriger (commander, donner des directives, des ordres, des instructions), celui de contrôler (avoir les moyens de vérifier la réalité, la quantité et la qualité du travail effectué) et enfin celui de sanctionner (avoir le pouvoir de mettre un terme à la relation ou avant, d’avertir que la pérennité de cette relation peut être menacée).

C’est clairement cette 3ème condition, elle-même composée de 3 sous conditions cumulatives, qui est déterminante, voire discriminante, pour retenir ou non l’existence d’un contrat de travail.

C’est justement cette 3ème condition qui est confrontée à ces nouvelles formes d’activités (télé-réalité, plateforme, …) ou à des prises de conscience et de nouvelles interrogations, ici « Osez le féminisme » face à un « vieux » concours. Le titre de Miss France existe depuis 1920 …

Le raisonnement juridique est éprouvé. La méthode dite du faisceau d’indices pour caractériser ou non un lien de subordination permet d’aboutir à une conclusion : oui, il existe un contrat de travail (Soc 28 novembre 2018) ou … non, il n’en existe pas (Soc 13 avril 2022). Dans les deux cas, il s’agissait de qualifier juridiquement la relation existant entre un chauffeur VTC ou un livreur et société de plateforme de mobilité.

Poursuivant son travail de conceptualisation et de qualification, la jurisprudence la plus récente semble attacher une importance déterminante aux modalités d’organisation du travail et au fait de savoir si ces dernières relèvent de la seule décision unilatérale de la société organisatrice avec pour conséquence d’exclure ou non celui ou celle qui ne les respecte pas.

Relevons que pour apporter malgré tout un peu plus de sécurité juridique à une activité dont le poids économique est significatif, deux ordonnances des 21 avril 2021 et du 6 avril 2022 ont tenté de clarifier les conditions d’interventions des « travailleurs » de plateformes de mobilité permettant de mieux distinguer ce qui relève du salariat et ce qui appartient à l'entreprenariat.

Ce n’est pas faire offense à notre concours national et centenaire que de penser qu’il n’a peut-être pas besoin d’une loi et qu’il faut faire confiance à notre justice pour trancher !

Pierre-Jacques Castanet, Président d’In Extenso Avocats.


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