Sans surprise, la Cour de cassation valide le barème Macron

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Il aura fallu cinq ans, le temps d’un mandat, pour avoir la confirmation judiciaire de la Cour de cassation que le barème d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse (dit « barème Macron ») doit être appliqué et ne peut pas être écarté au nom d’une convention internationale.  

De quoi parle-t-on ?

Le barème Macron, prévu par l'article L. 1235-3 du code du travail, a été mis en place au début du mandat du Président Emmanuel Macron par l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017. Ce barème fixe le montant de l’indemnité que l’employeur doit payer à un salarié licencié si ce licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse. Il établit un plancher et un plafond, exprimé en mois de salaire du salarié, et fonction de l’ancienneté du salarié.

Ainsi par exemple, un salarié avec une ancienneté de 5 ans et dont le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse peut prétendre à une indemnité, variant entre 3 et 6 mois de salaire (étant précisé que les entreprises de moins de 11 salariés ont un plancher moins élevé).

Le barème prévu par l’article L. 1235-3 du code du travail a d’abord été reconnu conventionnel par le Conseil d’Etat en 2017 (CE, 7 décembre 2017, n° 415.243) et déclaré conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel en 2018 (Cons. Const., n° 2018-761 DC du 21 mars 2018).

De son côté, la Cour de cassation avait déjà rendu deux avis le 17 juillet 2019 aux termes desquels elle considérait que les dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail fixant le barème d’indemnisation sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention n° 158 de l'OIT et permettaient donc une indemnisation adéquate du préjudice par le salarié. La Cour précisait également que l'article 24 de la Charte sociale européenne n’est pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers (Cass. Soc., 17 juillet 2019, avis n°15012 et 15013). 

Néanmoins, malgré toutes ces positions en faveur du barème Macron, ce dernier continuait de faire débat devant les juridictions du fond.

Certains juges du fond jugeaient en effet que, dans certains cas, le barème devait être écarté. Concrètement, sur le fondement de textes internationaux (en particulier, l’article 10 de la convention n°158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) ou l’article 24 de la Charte sociale européenne relatif au droit à la protection en cas de licenciement), certains juges estimaient que l’application du barème ne permettait pas la réparation adéquate du préjudice subi par le salarié. Ils écartaient donc son application et fixaient eux-mêmes le montant de l’indemnité à allouer au salarié.

Il est vrai que sur les premières tranches d’ancienneté, où la marge d’appréciation des juges est très limitée, l’indemnisation prévue par le barème Macron peut, dans certains cas, ne pas sembler adéquate et appropriée. Ainsi, le salarié ayant une ancienneté de 2 ans peut prétendre à une indemnité minimale de 3 mois de salaire et maximale de 3,5 mois de salaire si le licenciement est jugé sans cause réelle et sérieuse, le plancher et le plafond étant fixés quasiment au même niveau (pour les entreprises de plus de 11 salariés).  

Mais la Cour de cassation, par deux arrêts en date du 11 mai 2022, a tranché et a jugé que le juge français ne peut pas écarter l’application du barème, même au cas par cas, la détermination du montant réparant le préjudice causé par un licenciement sans cause réelle et sérieuse ne se prêtant pas à un contrôle de conventionnalité in concreto (Cass. Soc., 11 mai 2022, n° 21-14.490 et 21-15.247).

Dans l’un des deux arrêts, la Cour de cassation, saisie sur pourvoi de l’employeur, devait répondre à la question suivante : le juge pouvait-il écarter le barème d’indemnisation en raison des circonstances particulières de l’espèce ? 

La Cour de cassation répond clairement par la négative.

Plus précisément, l’employeur invoquait les principes constitutionnels de sécurité juridique et d’égalité des citoyens devant la loi, considérant qu’une application au cas par cas du barème violerait ces principes.

De son côté, la salariée estimait que les particularités de sa situation justifiaient une indemnisation hors barème dès lors que le barème n’aurait pas permis au juge d’ordonner le versement d’une indemnité « adéquate », comme l’exige l’article 10 de la convention n°158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) en cas de « licenciement injustifié ».

Or, pour la Cour de cassation, le terme « adéquat » visé par l’article 10 de la convention n°158 de l’OIT signifie que l’indemnité doit être suffisamment dissuasive pour éviter le licenciement injustifié et raisonnablement permettre l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi.

Pour la Cour, ces deux conditions sont bien remplies en droit français.

En effet, la Cour de cassation saisit cette occasion pour rappeler que le barème Macron ne s’applique qu’au licenciement sans cause réelle et sérieuse et non au licenciement nul. Cette nuance a son importance. Le licenciement nul est celui prononcé en violation d’une liberté fondamentale, en lien avec une situation de harcèlement moral ou sexuel, ou fondé sur un motif discriminatoire…. Or, la Cour rappelle que l’indemnisation des licenciements nuls n’est pas soumise au barème de l’article L. 1235-3 du code du travail.

Le barème Macron tient compte, par ailleurs, de l’ancienneté du salarié et de sa rémunération.

Ces éléments permettent raisonnablement l’indemnisation de la perte injustifiée de l’emploi et sont donc compatibles avec le texte de la convention n° 158 de l’OIT. 

De plus, la Cour de cassation rappelle qu’en cas de licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse, le juge ordonne à l’employeur fautif de rembourser à Pôle Emploi le montant des indemnités chômage versées au salarié licencié, dans la limite de 6 mois d’indemnités de chômage (sauf si le salarié a moins de deux ans d’ancienneté ou si l’entreprise compte moins de 11 salariés).

Le caractère dissuasif est donc également assuré par l’application de ces dispositions.

Un contrôle in concreto (une application au cas par cas) exercé en matière d’indemnité de licenciement pourrait laisser la place, selon les cas d’espèce, à une très grande variété de solutions que la Chambre sociale ne pourrait que difficilement contrôler. 

Ce qui aurait pour effet de compromettre le principe de sécurité juridique et viendrait heurter directement la volonté du législateur qui a précisément entendu offrir une plus grande prévisibilité aux employeurs et aux salariés par l’instauration d’un barème impératif. 

Ainsi, il appartient aux juges du fond d'apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l'indemnité due dans le respect du barème Macron.

Dans le second arrêt, la Cour a écarté l’effet direct de l’article 24 de la Charte sociale européenne relatif au droit à la protection en cas de licenciement, confirmant l’avis de 2019. Ce texte ne peut donc pas conduire le juge du fond à écarter le barème prévu à l’article L. 1235-3 du code du travail. 

Ces décisions attendues mettent un terme au débat en droit interne.

En conclusion, dans le cas d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, le juge devra apprécier la situation concrète du salarié et déterminer le montant de l'indemnité due dans le cadre du plancher et du plafond prévu par le barème Macron (article L. 1235-3 du code du travail).

Ce n’est que dans le cas où le licenciement est nul que le juge pourra l’écarter pour déterminer le montant de la réparation à allouer au salarié en fonction des circonstances de chaque espèce.

Christine Hillig-Poudevigne, Avocat associée, Yards et Marion Peringuey, Avocat à la Cour


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