La transmission des garanties de passif en cas de cession postérieure des titres

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Céline Gadby, avocate, PwC Société d'avocats et Marie Gagnaire, collaboratrice, PwC Société d'avocats reviennent sur la transmission des garanties de passif en cas de cession postérieure des titres.

Les garanties de passif, quasi systématiques lors de la cession de droits sociaux en vue de permettre le dédommagement de l’acquéreur de tout amoindrissement de l’actif et de toute augmentation du passif, représentent un enjeu majeur dans la pratique. En effet, l’absence de régime légal, bien qu’offrant une forte liberté contractuelle, ne permet pas de résoudre bon nombre de difficultés. Les

« garanties de passif » recouvrent en réalité plusieurs types de garanties ayant une nature et soumises à un régime différent. Elles se distinguent principalement en deux grandes catégories, à savoir les garanties de bilan (garanties de passif « stricto sensu » et les garanties d’actif) venant couvrir toute augmentation du passif social et toute diminution de l’actif et bénéficiant au cessionnaire ou à la société en cas de stipulation pour autrui) et les clauses de révision de prix (clause de garantie de valeur des titres cédés) bénéficiant uniquement au cessionnaire.

Dans ce contexte, il est alors primordial de s’interroger sur le sort de ces garanties en cas de revente des droits sociaux. En effet, il est courant que le cessionnaire initial des titres de la société concernée les revendent postérieurement à un sous-acquéreur. Or, force est de constater que les clauses de garantie envisagent que très rarement la question de leur transmission. Une forte incertitude pèse alors sur les parties, d’autant que la jurisprudence et la doctrine sont très indécises sur ce point. Ces clauses de garantie, ayant pour objet principal de limiter les contentieux en organisant une protection conventionnelle, deviennent par être source d’insécurité juridique.

Au regard de cette situation, plusieurs questions se posent alors : celle de la transmission de la garantie au sous-acquéreur des titres (I), celle de la possibilité pour le cessionnaire initial d’agir au titre de la garantie postérieurement à la revente de ses titres (II). Enfin, la transmission de la garantie se pose également en cas de fusion ou scission du bénéficiaire de cette garantie (III).

I.      La transmission de la garantie de passif au sous-acquéreur des titres

La principale interrogation ici réside dans le fait de savoir si le sous-acquéreur des titres peut invoquer la garantie à la suite d’une augmentation du passif ou une diminution de l’actif se révélant après cette deuxième cession mais ayant une origine antérieure à la première cession. A cet effet, la jurisprudence a eu à se prononcer à de nombreuses reprises sur la question de savoir si la garantie de passif était transmise automatiquement ou non au sous-acquéreur des titres sociaux.

Dans un important arrêt du 9 octobre 20121, la Cour de Cassation a affirmé que la créance résultant de la garantie est transmise par le cessionnaire initial, bénéficiaire de ladite garantie, au sous- acquéreur des droits sociaux, bien que la garantie ne prévoie pas cette faculté de transmission. Le sous-acquéreur bénéficie ainsi automatiquement de la garantie de passif sauf dans le cas d’une exclusion expresse de la transmission de la garantie dans l’acte de cession initial. Il en résultait donc que pour empêcher la transmission de la garantie à un tiers2, il fallait limiter expressément le bénéfice de la garantie au seul acquéreur initial ou interdire tout transfert.

Toutefois, la portée de cet arrêt est à relativiser pour plusieurs raisons. Tout d’abord, dans la même affaire, dans un second pourvoi du 20 octobre 20153, la Cour a limité le principe de transmission automatique de la garantie puisque « l'acte avait été conclu en considération de la personne du

cessionnaire et que la clause de garantie de valeur avait été consentie au seul profit de celui-ci ». Le caractère intuitu personae du contrat de cession initial vient ainsi faire obstacle à la transmission des engagements pris par le cédant à l’égard du cessionnaire initial.

Par ailleurs, l’arrêt de 20124 envisage le transfert de la créance résultant de la garantie contractuelle et non la transmission de la garantie elle-même5. L’arrêt de 20156 envisage, lui, la transmission de la clause de garantie. Or, si le caractère intuitu personae du contrat empêche la transmission de la clause de garantie, ce caractère n’est en principe pas un obstacle à la transmission de la créance7. Ainsi, si le transfert porte sur la créance résultant de la garantie, et non sur le transfert de la garantie comme cession de contrat, alors le caractère intuitu personae de l’acte de cession ne devrait pas pouvoir empêcher le transfert de cette créance.

La distinction selon le type de garantie en présence (garantie de passif stricto sensu ou clauses de variation de prix) et selon le bénéficiaire de la garantie peut aider dans la détermination du sort de la garantie de passif en cas de revente des droits sociaux.

Les garanties de passif stricto sensu ou clauses de garantie de bilan, bénéficiant généralement à la société, en vertu d’une stipulation pour autrui, ne sont pas affectées par la revente des droits sociaux dans la mesure où la société dont les titres sont cédés dispose d’un droit direct et propre à agir à l’encontre du cédant. La garantie est alors transmise avec les droits sociaux de la société bénéficiaire de la garantie. La garantie de passif est attachée aux droits sociaux qui sont cédés, elle est intuitu rei. Son régime correspond à celui de la transmission des droits propter rem, telle qu’on la rencontra dans la jurisprudence des chaines de contrats8.

Les clauses de révision de prix, qui par leur objet même de garantir la valeur des parts ou actions cédées et donc le prix de cession fixé, ne peuvent bénéficier qu’au cessionnaire initial. Le sous-acquéreur des titres ne pourra se prévaloir de cette garantie qui ne lui sera pas transmise automatiquement. En raison de l’effet relatif des contrats, la clause de révision de prix ne bénéficie qu’à l’acquéreur initial et n’est pas transmise avec les droits sociaux en cas de revente9.

Toutefois, pour les garanties s’analysant comme une clause de révision de prix, la transmission de la créance attachée à ces garanties reste possible, en respectant toutefois les formalités du nouvel article 1321 du Code civil et sauf mention contraire dans l’acte de cession initial.

II.    La possibilité pour le cessionnaire d’agir au titre de la garantie postérieurement à la revente de ses titres

Une autre interrogation importante réside dans le fait de savoir si le cessionnaire initial peut toujours valablement invoquer la garantie de passif une fois qu’il a revendu ses titres.

Bien que la Cour de cassation ait, dans deux arrêts du 3 avril 200710 et du 11 mars 200811, affirmé que le cessionnaire initial conserve le bénéfice de la garantie et peut toujours l’invoquer après la revente de ses titres, d’autres arrêts ainsi que la doctrine ne retiennent pas toujours cette solution, tant pour les garanties de passif « stricto sensu » que pour les clauses de révision de prix.

  • Garantie de passif stricto-sensu

Concernant tout d’abord les garanties de passif bénéficiant au cessionnaire, bien que l’arrêt du 11 mars 200812 retienne que le cessionnaire initial peut toujours invoquer la garantie après la revente de ses titres, la Cour de cassation, dans un arrêt du 12 février 200813, a au contraire considéré que la

« convention de passif souscrite par le cédant est attachée à la chose cédée et ne peut plus être invoquée par le cessionnaire après la revente de celle-ci ». La jurisprudence et la doctrine14 restent donc assez incertaines sur ce point.

Concernant ensuite les garanties de passif bénéficiant à la société, ladite société dispose d’un droit direct à demander l’exécution de la promesse au cédant, le promettant, par le biais d’une stipulation pour autrui. Ce droit n’est pas affecté par la revente des droits sociaux à un sous-acquéreur15. La société conserve le droit de demander au cédant l’exécution de la garantie16.

Le stipulant (cessionnaire initial) dispose également d’un droit propre : il peut aussi exiger du cédant (promettant) qu’il s’exécute. Or, la jurisprudence17 a admis que lorsque ce cessionnaire initial a revendu ses droits sociaux, il ne peut plus agir contre le promettant, en raison de la perte de son intérêt à agir dans la mesure où il n’est plus associé. Son action sera donc irrecevable.

Cette solution semble pourtant critiquable car le cessionnaire initial peut conserver un intérêt à agir s’il a accordé une garantie contractuelle à son propre cessionnaire et cela nie l’existence d’un intérêt moral (même s’il a perdu l’intérêt matériel) pour le cessionnaire initial (stipulant) à voir le promettant exécuter son engagement. Mais cette jurisprudence est conforme à celle applicable en matière de chaine de contrats, concernant la transmission des droits propter rem.

  • Clause de révision de prix

Concernant les clauses de révision de prix qui ne bénéficient pas en principe au sous-acquéreur (sauf transfert de créance), les auteurs18 semblent s’accorder pour dire que le cessionnaire initial devrait pouvoir conserver son droit d’agir après la revente des droits sociaux. En effet, la garantie est attachée à l’opération. Le prix de cession (élément de formation du contrat liant le cédant au premier cessionnaire) sera modifié, que les éléments soient révélés avant ou après la seconde cession19. Le bénéfice de la clause reste acquis au cessionnaire initial qui devrait donc toujours avoir la possibilité d’agir.

Toutefois, la transmission au sous-acquéreur de la créance générée par la clause semble concevable, sous réserve que soient respectées les conditions posées aux nouveaux articles 1321 et suivants du Code civil.

III.  Transmission de la garantie en cas de fusion ou scission du bénéficiaire de la garantie

La question qui se pose ici est de connaître le sort réservé à la garantie de passif lorsque la société cessionnaire des titres, au profit de laquelle une garantie de passif a été conclue, est absorbée dans le cadre d’une fusion par une autre société ou fait l’objet d’une scission. La garantie est-elle transmise de

plein droit à la société absorbante ou aux sociétés scindées ? Grâce au principe de transmission universelle de patrimoine, la société absorbante est de plein droit substituée dans l'ensemble des droits et obligations de la société absorbée par l'effet de la fusion-absorption même en l’absence de mention de la clause de garantie dans le traité de fusion. Dans ce cas « la société absorbante peut donc se prévaloir de la clause de garantie stipulée en faveur de la société absorbée »20.

De la même manière, si la société dont les titres ont été cédés, bénéficiaire de la garantie au titre d’une stipulation pour autrui, est absorbée par une autre société, la même solution viendra à s’appliquer à savoir que la société absorbante sera substituée de plein droit à la société absorbée et pourra ainsi faire jouer la garantie. Ainsi, la société absorbante doit devenir bénéficiaire de la stipulation21.

Ce raisonnement doit s’appliquer à tous les cas de transfert universel de patrimoine (fusion, scission ou apport partiel d'actif soumis au régime des scissions, dissolution sans liquidation). En revanche, et dans tous les cas, la société absorbée, dissoute par l’effet de la fusion, ne pourra plus agir au titre de la garantie de passif22.

Ainsi, la question du sort de la garantie de passif en cas de revente des droits sociaux est cruciale. Elle suscite, en effet, beaucoup d’interrogations tant sur la détermination du bénéficiaire de la garantie que sur la nature même de la garantie et le régime qui lui est applicable, que ni la jurisprudence ni la doctrine ne permettent de résoudre de manière définitive. Dès lors, il est plus qu’absolument nécessaire, pour éviter toute incertitude et une éventuelle interprétation par le juge ainsi que pour se protéger en cas de cession postérieure des titres, de prévoir expressément de manière claire et précise, la transmission de la garantie de passif23.

Céline Gadby, avocate, PwC Société d'avocats et Marie Gagnaire, collaboratrice, PwC Société d'avocats 

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1. Cass. com., 9 oct. 2012, n° 11-21.528 : JurisData n° 2012-022670

2. « Transmission de la garantie », Mémento Cessions de parts et actions 2021-2022, Éd. Francis Lefebvre, points 67200 à 67225

3. Cass. com., 20 oct. 2015, n° 14-17.896 : JurisData n° 2015-024843

4. Cass. com., 9 oct. 2012, op. cit.

5. N. Jullian, « Le sort de la garantie de passif en cas de revente des droits sociaux par l'acquéreur », Droit des sociétés n° 11, Novembre 2018, étude 15

6. Cass. com., 20 oct. 2015, op. cit.

7. N. Jullian, op. cit.

8. F. Danos, « La transmission des droits et dettes propter rem en droit français », in La transmission des obligations en droit français et en droit belge, Larcier, 2019, p. 625, spéc. p. 649-651.

9. F. Danos, « La transmission des droits et dettes propter rem en droit français », in La transmission des obligations en droit français et en droit belge, Larcier, 2019, p. 625, spéc. p. 650.

10. Cass. com., 3 avr. 2007, n° 04-15.532 : JurisData n° 2007-038432

11. Cass. com., 11 mars 2008, n° 06-20.738 : JurisData n° 2008-043211

12. Cass., com., 11 mars 2008, ibid.

13. Cass. com., 12 févr. 2008, n° 06-15.951 : JurisData n° 2008-042779

14. Mémento Cessions de parts et actions 2021-2022, op.cit. ; N. Jullian, op.cit. ; « Revente des titres – Fusion – Sort de la garantie », Lamy sociétés commerciales, 2021

15. N. Jullian, op.cit.

16. Mémento Cessions de parts et actions 2021-2022, op.cit.

17. Cass. com., 4 juin 1996, n° 94-13.047 : JurisData n° 1996-002215 ; RJDA 1996, n° 1204

18. N. Jullian, op.cit. ; Lamy sociétés commerciales, op. cit. ; T. Allain, « Art. 6 - Revente des droits sociaux », in Répertoire des sociétés, octobre 2018

19. N. Jullian, op.cit.

20. Mémento Cessions de parts et actions 2021-2022, op. cit.

21. Mémento Cessions de parts et actions 2021-2022, op.cit.

22. Cass., com., 9 juin 2009, 08-15.213, BJS 2010. 1062, note P. Mousseron


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