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L'Etablissement de règles d'Ethique et de Compliance dans les ETI et les PME : Quel rôle pour le Juriste d'Entreprise ?

Pierre GiraudPierre Giraud, Directeur Juridique, nous offre son analyse sur le rôle du juriste d'entreprise quant à l'établissement des règles d'éthique et de compliance dans les ETI et les PME.

Le développement des programmes d’éthique et de compliance

Les sociétés qui se dotent de codes de bonne conduite, chartes éthiques et programmes de compliance sont de plus en plus nombreuses. C’est le cas de beaucoup de grandes entreprises et de l’ensemble des sociétés cotées pour lesquelles ces documents sont devenus obligatoires ou incontournables pour des raisons légales notamment :

  • en droit des sociétés, sur leur mode de gouvernance,
  • en droit de la concurrence dans l’exercice des procédures de non-contestation des griefs ou de clémence,
  • du fait des dispositions de droit étranger (UK Bribery Act 2011, US Federal Sentencing Guidelines notamment) pour les filiales situées dans ces pays, les filiales françaises de sociétés-mères qui y sont localisées et inversement ou les sociétés qui entretiennent des relations économiques suivies avec des groupes qui y sont soumis.

Au-delà de l’aspect légal, l’affirmation d’une culture d’entreprise, la promotion d’une image responsable et la construction d’une réputation occupent une place de plus en plus importante dans la communication des entreprises. Il suffit pour s’en rendre compte de consulter les pages d’accueil de leurs sites Internet.


La difficulté rencontrée par les Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI) et les PME

Les ETI et les PME sont de plus en plus nombreuses à affirmer dans leur communication un certain nombre de principes qu’elles déclarent appliquer par exemple en matière de RSE, de sécurité, concernant la qualité des relations commerciales, le développement des salariés, etc.

Peu ont encore développé un ensemble cohérent de règles de conduite ou d’organisation sur lesquelles elles peuvent s’appuyer pour développer une véritable politique de compliance et d’éthique en interne et avec leurs partenaires.

Or, elles sont nombreuses, surtout lorsqu’elles interviennent en qualité de sous-traitantes, à être confrontées aux exigences de leurs clients ou partenaires publics ou privés en matière de compliance et d’éthique. Ces partenaires leur demandent de se conformer à leurs propres règles qu’ils leur soumettent par exemple sous forme d’annexes à leur contrat. Ces documents touchent à des questions aussi diverses que le respect des règles de concurrence, la corruption, les conditions de travail, l’environnement, le contrôle interne et la gestion des risques. Cela est particulièrement vrai pour les sociétés qui ont une forte activité à l’international.

Une entreprise soumise à ces demandes n’a parfois pas d’autres ressources que d’indiquer son adhésion à ces principes par exemple en signant des attestations, mais aussi à des règles de fonctionnement qu’elle n’a pas elle-même organisées.

Une telle réponse peut réduire à néant l’intérêt de la démarche d’éthique et de compliance pour l’ensemble des partenaires, la réduisant à un échange plus ou moins hypocrite de documentation sans portée. Elle peut même avoir un effet très négatif en termes de responsabilité de l’entreprise et de ses dirigeants :

  • Les sanctions pour manquement de la part des autorités seront d’autant plus sévères qu’on aura affirmé respecter un principe ou une règle alors qu’on ne dispose pas des moyens pour les faire appliquer et vérifier, de façon permanente,
  • Cette posture fait bien-sûr courir des risques de résiliation pour faute sur le contrat lui-même en cas de non-conformité à l’une de ces règles.

Il est difficile pour certaines entreprises de justifier auprès de partenaires de taille plus importante, d’organisations, de procédures d’investigations et de contrôle qui ne sont pas proportionnées à leurs moyens (par exemple concernant les pratiques de l’ensemble de la chaîne de leurs propres sous-traitants.)

Et cela peut entraîner le risque de sortir de certains marchés comme le souligne Virginie Lefebvre-Dutilleul, Avocat Associé du Cabinet Ernst& Young dans le témoignage figurant en marge.

 

Une démarche incontournable pour ne pas sortir de certains marchés


Virginie Lefebvre-Dutilleul, Avocat associé Responsable du Département Droit des affaires du cabinet Ernst & Young et auteur de l’ouvrage "Code de bonne conduite, Chartes éthiques" (Lamy Conformité) témoigne sur ce point : "Les très grandes entreprises, en particulier américaines et anglaises, ne se contentent plus de demander à leurs fournisseurs et prestataires de signer un engagement de bonne conduite mais exigent qu'ils démontrent leur bonne organisation en termes de compliance et d'éthique. Bien entendu, le niveau d'information et de documentation à fournir dépend du niveau de risque de la prestation ou du fournisseur ; par exemple : l'existence d'un code de bonne conduite, la personne en charge de la compliance, l’existence d'une alerte professionnelle, le nombre de formations réalisées... Dans les cas plus sensibles, cela va au-delà : nous avons accompagné plusieurs entreprises qui désormais, exigent aussi de certains de leurs cocontractants le support des formations réalisées, le nombre de cas traités suite à une alerte professionnelle ou encore les actions correctives engagées. C'est en particulier le cas en matière d'anti corruption. Et ce n'est pas sans poser des difficultés notamment en droit de la concurrence. Pour autant, les entreprises de taille moyenne doivent comprendre que les très grandes entreprises ne prendront plus aucun risque à ce sujet. Pour 'continuer de jouer dans la cour des grands', les PME doivent impérativement anticiper ces demandes en mettant en place leur propre programme de compliance et d'éthique.

Et d’ajouter un autre argument : "Au delà, l'absence de programme efficace de compliance et d'éthique sera un obstacle à la cession de ces entreprises et, s'agissant d’entreprises familiales, à leur transmission. C'est déjà vrai en l'absence de programme anti-corruption lorsque les acquéreurs potentiels sont des entreprises américaines ou anglaises ou des fonds de private equity qui ont, parmi leurs investisseurs, des américains ou des anglais. Nous intégrons d'ailleurs dans nos programmes de due diligences un angle compliance et éthique de plus en plus développé : ce sujet devient un point incontournable dans le cadre des acquisitions (ne serait-ce que pour anticiper les efforts à faire pour mettre l’entreprise à niveau). Or il ne faut pas sous-estimer le temps nécessaire au déploiement d'un programme de conformité et d’éthique efficace et au développement d’une vraie culture d entreprise sur ces thèmes (entre 2 à 5 ans). Les PME doivent donc investir, durablement, sans plus attendre sur ces thèmes, en adaptant les programmes à leurs risques et leurs moyens. C'est maintenant que les choses se jouent."


Reprendre l’initiative, les avantages d’une démarche positive

Il n’y a pas de solution toute faite pour répondre aux demandes des partenaires.

Mais on ne peut que conseiller à chaque entreprise de rassembler et d’articuler en un ou plusieurs documents les principes et les règles de fonctionnement qu’elle s’applique.

L’intérêt est alors de pouvoir proposer ou contre-proposer des règles ou outils de prévention des risques déjà existants et surtout qui lui correspondent, en meilleure position que si elle ne disposait d’aucune règle formalisée. C’est un argument fort pour rassurer et négocier. Seuls des points non traités ou nécessitant des développements particuliers restant à discuter.

En cas d’exigences d’audit ou de contrôles par exemple, la négociation portera sur la prise en charge des coûts d’audit, de sorte que les efforts restent proportionnés au rôle et aux moyens de l’entreprise.

Au-delà des arguments de négociation, une démarche positive d’éthique et de compliance, à condition qu’elle soit adaptée et traduite dans les faits, constitue :

  • Un outil fédérateur de prévention des risques dans l’entreprise,
  • Un moyen de limitation de responsabilité en cas d’incident isolé,
  • Elle donne enfin une image très positive de l’entreprise et contribue à créer de la valeur en renforçant son attractivité sur le marché par rapport à celles qui n’ont pas adopté cette démarche.

 

Rôle du Juriste

Le Juriste interne "fait naturellement de la compliance" sans forcément l’appeler par ce nom depuis toujours. C’est son rôle de vérifier la conformité aux règles de droit des pratiques de son entreprise, de mettre en œuvre des actions de prévention en sensibilisant ou formant les différentes directions ou fonctions dans les domaines à risque variés tels que : pratiques commerciales irrégulières, déloyales ou anti-concurrentielles, fiscal, social.

Par sa compétence généraliste, sa connaissance des contraintes et risques particuliers des différents métiers de l’entreprise, sa connaissance de la règle de droit et de son interprétation, il a naturellement vocation à jouer un rôle central dans la mise en place et la promotion d’un programme d’éthique et compliance.

La grande majorité des ETI et à fortiori les PME, n’ont pas les moyens de créer une fonction dédiée "Ethique et Compliance". Ce rôle est donc souvent dévolu au(x) Juriste(s) et à la DRH.

 

Quelle mission, quelle responsabilité ?

Si le tronc commun entre Juridique et Compliance est évident, encore faut-il ne pas faire de confusion entre les missions (1).

En effet au Responsable Ethique et Compliance, on demande non seulement de concevoir, mettre en place des programmes mais aussi, de veiller au respect des règles définies pour l’entreprise, en arbitrant au besoin les situations qui lui sont soumises dans le cadre de ces règles. Ce rôle s’inscrit dans une démarche à long terme de l’entreprise et de ses dirigeants.

Le Juriste d’entreprise s’il poursuit le même objectif de sécurité, doit apporter des solutions juridiques à des questions ou situations qui lui sont soumises pour faire réussir des projets ou gagner des contentieux. Il doit guider les décisions en optimisant les intérêts de l’entreprise et en évaluant leur risque pour l’entreprise et ses dirigeants.

Le rôle n’est donc pas exactement le même et une prise de position du responsable chargé des deux missions doit être dépourvue d’ambigüité.

A défaut, le risque est que l’image du Juriste d’Entreprise se brouille en interne et qu’il soit perçu par exemple en donneur de leçons, image qu’il combat depuis des années.

L’ambigüité peut avoir aussi des conséquences en termes de responsabilité par exemple pour une prise de position critiquable aux yeux de l’Administration, de concurrents ou de co-contractants ou de salariés, s’il est jugé que l’entreprise, ses dirigeants et son Responsable conformité n’ont pas appliqué une règle qu’ils s’étaient eux-mêmes fixée au titre de leur programme d’éthique ou de compliance. C’est le risque d’ "effet boomerang (2)".

Il faut donc s’assurer que le programme d’éthique et de compliance est dans tous les cas respecté.

Le cas échéant, il conviendra de s’entourer de précautions par exemple en recourant aux services d’un cabinet d’avocats qui pourra apporter, outre son éclairage sur la question, la confidentialité des échanges dont ne bénéficient pas encore en France à ce jour les Juristes d’entreprise.

Les approches du Juriste et du Responsable éthique et compliance sont donc compatibles et complémentaires, à condition d’être clair sur le rôle exercé.

Le Juriste d’entreprise, tout spécialement dans les ETI et les PME, a bien vocation à intégrer les questions d’éthique et de compliance dans ses attributions. Il doit développer pour cela ses compétences en management de projets, en communication et se confronter toujours au terrain pour approfondir sa connaissance des métiers et des hommes.

 

Pierre Giraud, Directeur Juridique
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NOTES

1. Voir sur cette question l’article "Juridique, compliance : questions de territoire(s)" Christophe Collard (Legal EDHEC) Juriste d’entreprise magazine n°8 du 8 janvier 2011 p.46- AFJE
2. Voir "Codes de bonne conduite, Chartes éthiques", Virginie Lefebvre-Dutilleul, p.184

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