Vaccination obligatoire : quelles mesures le gouvernement peut-il prendre ?

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Le Président de la République a annoncé en début de semaine le principe d’une vaccination obligatoire pour les personnels de soin. Loin d’être inédite cette mesure apparait possible, les juges laissant une large marge d'appréciation au législateur. Rappel du cadre juridique existant. Les nouvelles mesures prises dans le cade de l’épidémie COVID 19 relancent le débat sur la vaccination obligatoire. Pourtant, le cadre juridique de la vaccination obligatoire est déjà bien connu, le Conseil d’Etat, le Conseil constitutionnel ou encore la Cour européenne des droits de l’homme ayant déjà rendu des décisions définissant la marge d’appréciation du législateur.

La vaccination obligatoire ne constitue pas une nouveauté juridique

La première vaccination obligatoire date de la Loi 15 février 1902 relative à la protection de la santé publique, concernant la rougeole et a été étendue depuis. Il existe deux types de vaccination obligatoire, celle concernant la population générale et celle qui concerne certaines professions en particulier.

La vaccination obligatoire concernant certaines professions

Le législateur impose en effet à certains professions à risque une obligation de se faire vacciner, notamment, contre l’hépatite B.

L’article L.3111-3 du Code de la santé publique dispose ainsi que, « Les thanatopracteurs en formation pratique et en exercice doivent, en l'absence d'infection en cours ou antérieure, être vaccinés contre l'hépatite B ».

L’article L.3111-4 du Code de la santé publique prévoit également que « une personne qui, dans un établissement ou organisme public ou privé de prévention de soins ou hébergeant des personnes âgées, exerce une activité professionnelle l'exposant ou exposant les personnes dont elle est chargée à des risques de contamination doit être immunisée contre l'hépatite B, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite et la grippe. Les personnes qui exercent une activité professionnelle dans un laboratoire de biologie médicale doivent être immunisées contre la fièvre typhoïde ».

La Cour de cassation a jugé qu’en cas de refus de se faire vacciner, le salarié peut être licencié pour cause réelle et sérieuse[1].De même, le juge administratif reconnaît la possibilité de prononcer une sanction disciplinaire à l’encontre de l’agent qui refuse de se soumettre à une vaccination obligation[2].En outre, ce refus expose au contrevenant à une amende prévue pour les sanctions de cinquième classe[3].

La vaccination obligatoire concernant la population en générale

Cette vaccination obligatoire concerne les vaccins devant être faits avant l’âge de 18 mois.

Aussi, l’article L.3111-2 du Code de la santé publique prévoit que, « I.-Les vaccinations suivantes sont obligatoires, sauf contre-indication médicale reconnue, dans des conditions d'âge déterminées par décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la Haute Autorité de santé : 1° Antidiphtérique ; 2° Antitétanique ; 3° Antipoliomyélitique ; 4° Contre la coqueluche ; 5° Contre les infections invasives à Haemophilus influenzae de type b ; 6° Contre le virus de l'hépatite B ; 7° Contre les infections invasives à pneumocoque ; 8° Contre le méningocoque de sérogroupe C ; 9° Contre la rougeole ;10° Contre les oreillons ; 11° Contre la rubéole. II.-Les personnes titulaires de l'autorité parentale ou qui assurent la tutelle des mineurs sont tenues personnellement responsables de l'exécution de l'obligation prévue au I. La preuve que cette obligation a été exécutée doit être fournie, selon des modalités définies par décret, pour l'admission ou le maintien dans toute école, garderie, colonie de vacances ou autre collectivité d'enfants ».

La jurisprudence rendue en matière de vaccination obligatoire pour les mineurs montre la large marge d’appréciation laissé au législateur pour imposer cette vaccination.

Un large pouvoir d’appréciation reconnu au législateur

Constitutionnellement, l’obligation vaccinale se rattache à l’alinéa 11 du préambule de la Constitution de 1946, selon lequel la Nation « garantit à tous [...] la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ». L’Etat se doit, sur le fondement de ces dispositions, de garantir l’ordre public sanitaire. Il en découle d’une part, que les individus ont le droit d’accès aux soins et, d’autre part, l’Etat peut imposer une vaccination obligatoire.

Le Conseil Constitutionnel a ainsi reconnu au législateur le pouvoir de « définir une politique de vaccination [obligatoire] afin de protéger la santé individuelle et collective » ; de même qu’il peut « modifier les dispositions relatives à la cette politique de vaccination pour tenir compte de l’évolution des données scientifiques, médicales et épidémiologiquesdès lors que les modalités retenues par lui ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé »[4].

Il exerce à cet égard un contrôle restreint sur l’équilibre entre la protection de la santé et les libertés individuelles, en se bornant à vérifier que l’atteinte aux libertés individuelles n’est pas manifestement disproportionnée.

La Cour Européenne des Droits de l’Homme a elle aussi été amenée à se prononcer sur la vaccination obligatoire[5].

Elle vérifie, d’une part, si la vaccination obligatoire poursuit un but légitime de protection de la santé et de protection des droits d’autrui contre les maladies contagieuses en cause et, d’autre part, si la vaccination obligatoire répond au principe de nécessité.

Elle considère, à cet égard, que les questions de santé publique relèvent en principe de la marge d’appréciation des autorités nationales, qui sont les mieux placées pour apprécier les priorités, l’utilisation des ressources disponibles et les besoins de la société et que la marge d’appréciation dont dispose l’État défendeur est de façon générale ample lorsqu’il doit ménager un équilibre entre des intérêts privés et publics concurrents ou différents droits protégés par la Convention[6].

Le Conseil d’Etat peut également exercer un contrôle sur la conformité des dispositions imposant une vaccination obligatoire par rapport à l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme.

Le Conseil d’Etat a ainsi récemment estimé que « l’obligation vaccinale résultant du I de l’article L. 3111-2 du Code de la santé publique tel que modifié par la loi du 30 décembre 2017 est justifiée par les besoins de la protection de la santé publique et proportionnée au but poursuivi »[7].

Il a considéré, que la rougeole, les oreillons et la rubécole sont des infections viables « contagieuses ou très contagieuses, généralement bénignes mais qui, pour les deux premières, sont susceptibles de complications graves (…) et que « La couverture vaccinale constatée à la date des dispositions critiquées restait insuffisante pour créer une immunité de groupe, seule à même d'éviter de nouvelles épidémies et de protéger les personnes qui ne peuvent être vaccinées »[8].

Un tel raisonnement nous semble pouvoir être applicable à une éventuelle vaccination obligatoire contre le COVID 19.

Le corolaire de la vaccination obligatoire : le principe de responsabilité sans faute de l’Etat

L’article L.3111-9 du Code de la santé publique prévoit en effet que, « la réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire pratiquée dans les conditions mentionnées au présent titre, est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales institué à l'article L. 1142-22, au titre de la solidarité nationale ».

L’engagement de la responsabilité de l’Etat est donc de droit, même en l’absence de faute ; la difficulté restant néanmoins de prouver le lien de causalité entre le vaccin et le préjudice.

Ce régime de responsabilité n’est pas exclusif. Dès lors, les agents qui ont dû se soumettre à la vaccination obligatoire pourront en outre demander la reconnaissance de leur maladie comme étant d’origine professionnelle ; ce qui aura pour effet de leur faire bénéficier d’un plein traitem

Anne Migault, avocate au sein du cabinet Cornet Vincent Ségurel

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[1] C. Cass. 11 juillet 2012, n° 10-27.888

[2] CAA Marseille, 28 novembre 2016, n° 14BX03559

[3] Articles R.3116-1 et s. du Code de la santé publique

[4] Décision n° 2015-458 QPC du 20 mars 2015

[5][5] CEDH, 7 mars 2006, n° 6339/0 ; CEDH, 8 Avril 2021, n° 47621/13

[6] CEDH, 8 Avril 2021, n° 47621/13

[7] CE, 06 mai 2019 n° 419242

[8] CE, 06 mai 2019 n° 419242


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