Le Monde du Droit vous présente un éclairage de Lisiane Fricotte, Consultante en protection sociale - Droits de l'Homme et libertés publiques, chargée d'enseignement IAE Poitiers, Université Marne la Vallée, sur un arrêt du 18 avril 2012 de la CEDH relatif aux maladies professionnelles.
La réponse de la Cour européenne des droits de l'Homme
Un arrêt rendu par la CEDH (CEDH 18 avril 2012 , n° 20041/10), s'inscrivant dans la lignée d'une jurisprudence très dense en droit interne, concerne la communication des pièces, en cas de reconnaissance de maladies professionnelles. Cet arrêt précise la portée de l'obligation des caisses.
Les enjeux financiers sont importants. A travers ce contentieux sur la violation des principes du contradictoire et d'égalité des armes, l'employeur entend remettre en cause l'opposabilité de la décision de la caisse primaire qui prend en charge une maladie professionnelle (en l'espèce, consécutive à l'inhalation de poussières d'amiante). L'inopposabilité a un double effet :
-Eviter une augmentation de la cotisation d'accident du travail lié à la reconnaissance de la maladie :
-Et, en cas de reconnaissance de faute inexcusable de l'employeur (souvent invoquée dans les contentieux liés à l'amiante – depuis une série d'arrêts du 28 février 2002), priver la caisse du droit de récupérer auprès de l'employeur les majorations de rente et indemnisations. Enjeu d'autant plus important que depuis une décision du Conseil constitutionnel (QPC 18 juin 2010 -2010-8), le salarié est alors en droit d'obtenir réparation intégrale des préjudices, qui ne seraient pas déjà réparés par la majoration de rente.
Dans l'affaire qui était soumis à la CEDH, le salarié avait été employé du 10 septembre 1990 au 31 juillet 2005 par la société Eternit. Le 29 novembre 2005, le salarié a déclaré une maladie professionnelle et produit un certificat médical. La caisse a informé l'employeur de cette demande et lui adressé un questionnaire. Ensuite, elle lui a notifié sa décision de reconnaissance de maladie professionnelle. L'employeur a alors engagé une procédure afin de voir déclarer inopposable cette décision en invoquant le fait que l'examen tomodensitométrique, qui doit être effectué en vue de la reconnaissance de ce type de maladie, ne lui avait pas été communiqué.
Dans un premier temps, le tribunal des affaires de sécurité sociale (jugement du 26 mars 2007) a fait droit à sa demande et jugé la décision opposable.
La caisse a, quant à elle, fait valoir le respect du contradictoire. Elle a été suivie dans son argumentation par la Cour d'appel puis par la Cour de cassation qui ont toutes deux considéré que la décision était bien opposable. Selon les juges, l'examen en question ne figure pas parmi les pièces devant être communiqué (CSS, art R 441-13). Notons que la Cour de cassation s'est montré, en d'autres circonstances, plus exigeante sur le principe du contradictoire, puisqu'elle avait , au sujet d'un rapport d'autopsie non communiqué, considéré que l'entier rapport devait être communiqué à l'employeur – et non les seules conclusions- pour qu'une décision soit opposable (Cass.2e civ. 22 février 2005 n° 03-30308).
Le litige porté devant la CEDH oppose l'employeur à l'Etat français, sur le fondement de l'article 6 & 1 de la convention européenne des droits de l'Homme, qui énonce le droit à un procès équitable.
Premier point précisé par la CEDH : l'absence de communication des examens s'explique par le droit au secret médical. Un équilibre doit être réalisé entre, d'une part, le droit à la procédure contradictoire de l'employeur et, d'autre part, le droit au secret médical du salarié. Cet équilibre est bien atteint dès lors que l'employeur qui conteste a la possibilité de solliciter du juge la désignation d'un expert indépendant, à qui seront remises les pièces.
Deuxième point précisé par la CEDH : la caisse primaire d'assurance ne disposait que de l'avis du médecin conseil (et non des pièces médicales). Ainsi elle n'était pas placée en situation de net avantage par rapport à l'employeur. Le principe d'égalité des armes a donc été respecté.
La CEDH trace ainsi le point d'équilibre entre les droits de la défense et le respect du secret médical.
Cette jurisprudence pourrait mettre un point d'arrêt à certains contentieux portés devant les juridictions relevant du contentieux général de la sécurité sociale.
S'agissant du contentieux dit technique, qui concerne les contestations des taux d'incapacité, qui peuvent aussi avoir des répercussions sur le taux de cotisations, le législateur a procédé à des aménagements de texte pour éviter les risques d'inopposabilité. Le praticien-conseil du contrôle médical transmet, sans que puissent lui être opposées les dispositions de l'article 226-13 du code pénal relatives au secret médical, à l'attention du médecin expert ou du médecin consultant désigné par la juridiction compétente, l'entier rapport médical ayant contribué à la fixation du taux d'incapacité de travail permanente. A la demande de l'employeur, ce rapport est notifié au médecin qu'il mandate à cet effet (Code de sécurité sociale, article L 143-10 et R 143-32).
Il deviendra de plus en plus difficile de contester les décisions de prise en charge des maladies professionnelles et d'accident du travail en invoquant la seule inopposabilité. L'employeur doit donc tout mettre en œuvre pour prévenir les risques professionnels.
Lisiane Fricotte,
Consultante en protection sociale,
Droits de l'Homme et libertés publiques,
chargée d'enseignement IAE Poitiers, Université Marne la Vallée