La proposition de l'Union Européenne, finalisée en novembre dernier, d'établir un tribunal permanent pour arbitrer les litiges Etat-entreprise relatif à l'investissement dans le cadre d'un accord de libre-échange a été acceptée par le Canada lundi 29 février.
Après des oppositions virulentes à l'encontre de cet accord entre le Canada et l'UE (CETA), la Commission Européenne a souhaité revoir le mécanisme envisagé au départ afin d'éviter un rejet par les parlementaires européens.
Initialement, l'accord prévoyait un mécanisme d'arbitrage pour le règlement des différends entre les Etats et les investisseurs semblable à ce qui est mis en place par la majorité des Traités Bilatéraux d'Investissement et ce que les anglophones ont coutume d'appeler ISDS (Investor-State Dispute Settlement). Cette proposition a provoqué une levée de boucliers du côté européen, les opposants à ce mécanisme estimant qu'il réduisait trop largement le pouvoir de règlementation des Etats et leurs prérogatives face aux multinationales.
L’Investment Court System (ICS)
Après une importante consultation publique, l'Union Européenne a proposé un nouveau mécanisme, inconnu jusqu'ici : l'Investment Court System (ICS) : un tribunal permanent de quinze juges indépendants, réduisant ainsi l’apanage des avocats d'affaires pour trancher les litiges soumis à l'arbitrage. Ce tribunal sera composé de 5 membres de l'Union Européenne, 5 Canadiens et 5 membres de pays tiers. Ces juges ne seront plus nommés de manière ad hoc par les parties à la procédure, mais au préalable, par les parties à l'accord. Ils auront à démontrer leur expérience et leur réputation au sein de leur juridiction nationale.
Un des principaux reproches faits à l'encontre de l'arbitrage est l’impossibilité de faire appel des sentences. Le nouveau système élabore donc un mécanisme qui devrait ressembler à l'appel au sein d'une juridiction nationale : les décisions seront renversées si le tribunal considère qu'il y a eu une erreur de droit ou une erreur manifeste dans les faits. Des points doivent encore être précisés, tels que la composition du tribunal d'appel et la procédure. Ces questions devraient être résolues avant la finalisation de l’accord.
Par ailleurs, suivant une logique de transparence, ce mécanisme prévoit de nouvelles règles de procédures : documents mis en libre accès, procédures ouvertes au public, possibilité pour toutes les parties de soumettre des conclusions. Cette avancée s'aligne sur la proposition faite par l'Union Européenne dans le cadre des négociations sur le Traité Transatlantique avec les Etats-Unis. Nul doute que l'accord du Canada aura un impact sur ces négociations.
En revanche, il n'est pas certain que cela aille entièrement dans le sens de l'Union Européenne.
Il est peut-être trop tard : le débat est devenu tellement polémique en Europe que l'Union aura peut-être du mal à proposer des alternatives qui s'éloignent trop du mécanisme de l'ICS, au risque que cela soit refusé par les parlementaires.
Des difficultés réelles
La majorité des critiques à l’encontre de l'arbitrage se fonde sur la désinformation et ignore ses nombreux avantages, tel que la flexibilité des procédures et sa croissante transparence. Le nouveau mécanisme s'accompagne de ses propres défauts, en particulier au regard de l'indépendance et de l'impartialité des membres du tribunal. Ces juges seront des juges nationaux, nommés par des gouvernements, ce qui risque inévitablement de politiser le cadre de règlement des différends internationaux (alors même que la raison d'être de l'arbitrage relève de son caractère apolitique).
Dans le cadre du CETA ou du Traité Transatlantique, l'on peut attendre des juges qu'ils agissent de manière indépendante, mais cela ne sera pas nécessairement le cas dans tous les pays avec lesquels l'Union Européenne a l'intention d'imposer son nouveau modèle de règlement des différends relatifs à l'investissement. C'est en effet le but poursuivi par l'Union Européenne, le Commissaire à la Direction Générale du Commerce, Cecilia Malmström, ayant évoqué l'intention d'introduire ce système dans tous les accords de libre-échange conclu par l’UE à l'avenir.
L'accord d'Ottawa augmente les chances de succès du CETA. Tel un accord "mixte", ce dernier devra être ratifié par le Parlement européen et par tous les Etats membres de l'Union en juin.
Cecilia Malmström et la Ministre du Commerce International du Canada, Chrystia Freeland, sont confiantes et estiment que le CETA sera signé en 2016 pour une entrée en vigueur en 2017.
Peter Rosher, Avocat Associé chez Pinsent Masons