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Les perspectives du contentieux commercial et de l’arbitrage en Turquie

ozgur-asikOzgur Asik, avocat aux barreaux d'Istanbul et Paris, arbitre international, Président de la Cour européenne d'arbitrage en Turquie et associé gérant du cabinet Inlawco, commente les avancées et ambitions de la Turquie en terme de contentieux commercial et d'arbitrage.

La Turquie a des ambitions en termes de réformes juridiques, à la hauteur de la puissance de son gouvernement. Le pays s’est doté d’un nouveau Code de commerce entré en vigueur progressivement à partir de 2012. Cette législation tend à développer la gouvernance d’entreprises et favoriser la transparence dans la gestion des opérations, pour se rapprocher de plus en plus des normes internationales. Cette réforme s’inscrit tout naturellement dans le processus d’accession de la Turquie à l’Union Européenne.

Les investisseurs étrangers, dont beaucoup de français (des fleurons de l’industrie française aux PME en forte expansion internationale) sont présents dans ce pays, qui affiche des taux de croissance à faire envie au pays de l’UE. 16ème économie mondiale et 6ème économie de l’UE (2012), avec une économie institutionnalisée, ayant attiré 123 milliards USD en 10 ans, classée 13ème pays le plus attractif au monde, avec une population jeune et de mieux en mieux formé, un emplacement géographique qui fait du pays une plateforme logistique.

C’est dans ce contexte de forte affluence de capitaux étrangers en Turquie, que le très puissant premier ministre turc annonce la création d’un Centre d’Arbitrage d’Istanbul. Dans un pays où le fonctionnement de la justice commerciale est lente, un règlement rapide et professionnel des litiges internationaux par l’arbitrage, est une opportunité pour les investisseurs étrangers.

1. FONCTIONNEMENT DE LA JUSTICE EN TURQUIE

On assiste depuis 10 ans à un foisonnement de réformes législatives. Nouveau code de commerce, nouveau code des obligations, nouveau code de procédure civile, nouveau code civil (avec notamment une refonte des droits des épouses), nouveau code de l’organisation judiciaire et bientôt une nouvelle constitution, rien que ça !

Certes ces réformes sont nécessaires et le gouvernent a raison de légiférer : Les critères de Copenhague, le processus d’adhésion de la Turquie à l’UE (certains y croient encore à cette perspective pour la Turquie (!), les exigences de la Convention des droits de l’homme et notamment l’article 6 et le droit à un procès équitable, mais aussi tout simplement (et urgemment) les exigences du monde des affaires et de la finance.

Fonctionnement du contentieux des affaires en Turquie et de l’arbitrage en particulier

En Turquie, l’enjeu majeur du gouvernement en la matière est de continuer d’attirer les investisseurs étrangers. Développer l’arbitrage pour réduire les effets néfastes du fonctionnement actuel des tribunaux, est un des moyens.

C’est bien connu, la planète des affaires n’est pas ronde, le soleil ne s’y couche pas. Bien des sociétés ne survivent pas aux délais des tribunaux étatiques. Un contentieux devant le juge commercial turc dure en moyenne entre 3-4 ans en première instance. En cas d’appel et en l’absence de cours d’appel, qui crée un engorgement de la Cour de cassation, où les appels sont traités également en 2-3 ans en moyenne. D’où une durée moyenne de 5 ans pour une affaire commerciale, jusqu’à 6-7 ans pour des affaires complexes, transnationales.

D’ailleurs, l’arbitrage aussi souffre de ces délais, en plus de l’incompétence des juges étatiques. En effet, les procédures d’exequatur de sentences arbitrales prennent la forme de contentieux contradictoires avec comme partie adverse, par hypothèse une société en Turquie, qui va tout invoquer pour retarder ou faire annuler une sentence arbitrale étrangère. Alors que le juge étatique a interdiction de rejuger le fond, la pratique est souvent tout autre. Et pour ne parler que des délais, pour obtenir l’exéquatur d’une sentence arbitrale étrangère, il faut compter environ 30 mois.

La raison en est simple ; le juge étatique ne fait pas confiance à la volonté des parties : Alors que ces derniers ont librement désigné leur arbitre, les règles d’arbitrage et le droit applicable au fond, les juges se permettent d’empiéter sur le fond du débat, notamment pour étudier la conformité à l’ordre public interne.

D’autres pratiques violent aussi le principe de l’interdiction de rejuger le fond : Ainsi, en Turquie, le demandeur dans une instance est tenu de payer un droit, une taxe, proportionnelle au montant objet de la demande, dont le taux n’est pas négligeable (6,87%). Et certains tribunaux continuent de taxer les actions en demande d’exequatur d’une sentence arbitrale étrangère. Or cela n’a pas de sens. Il s’agit d’une reconnaissance de jugement ou sentence arbitrale, pas de jugement au fond, donc le montant objet de l’affaire n’a pas à être taxé. D’autant que le demandeur a déjà payé, à l’étranger, les frais juridictionnels.

2. PERSPECTIVES DE LA JUSTICE EN TURQUIE ; L’ARBITRAGE

La meilleure et concrète des perspectives est le développement de l’arbitrage en Turquie.

2.1. Sur la confiance

On ne peut pas concevoir une justice sans la confiance en ses juges. Or dans l’arbitrage, les parties nomment leurs arbitres et ses derniers nomment un président du tribunal arbitral. Ainsi, la confiance est présumée, puisque les parties ont activement participé à la composition du tribunal.

a) Le justiciable (en l’espèce le plus souvent un investisseur étranger en Turquie ou une partie étrangère à un contrat) doit faire confiance au système juridique. Là où la sécurité juridique n’existe pas, les affaires, le commerce n’existe pas. D’où l’importance aussi du choix du droit applicable au différend entre les parties à l’arbitrage.

b) Le deuxième aspect concerne la confiance dans les arbitres et la cour arbitrale. Les justiciables veulent une justice indépendante, impartiale et experte. Seule la réunion de ces trois créent la confiance, aux yeux des justiciables.

Or en tant que centre d’arbitrage (Cour Européenne d’Arbitrage en Turquie), nous faisons tout pour préserver et nourrir cette confiance, indispensable pour que les justiciables fassent appel à nous plutôt qu’à des juges étatiques (turcs).

2.2. Sur la confidentialité

Il s’agit d’un autre souci devant les juridictions étatiques, qui constitue de ce fait un avantage et particularité de l’arbitrage, par rapport aux juridictions étatiques. La constitution turque comme dans beaucoup d’autres pays, pose le principe selon lequel les audiences dans les tribunaux sont publiques.

Dans la pratique, cette publicité prend des formes variées, notamment dans la presse grand public. Des magistrats ou parfois des avocats, instrumentalisent ces possibilités, pour peser sur le jugement.

Or l’arbitrage assure cette discrétion et confidentialité. Et le Projet de loi en Turquie, en fait une des motivations, pour de la création du Centre d’Arbitrage d’Istanbul.

2.3. Sur le déroulement des audiences

Il est difficile de parler d’un bon déroulement des audiences dans le système actuel des juridictions turques. Les procès dans leurs intégralités sont souvent perturbés, par des magistrats qui ne font pas leur travail correctement ou les délèguent tout simplement à des "experts", dont les  "opinions" sont des jugements de fait.

Or encore une fois, l’arbitrage, c’est tout le contraire : Les parties disposent de moyens presque illimités pour défendre leurs prétentions. Le fonctionnement de certaines courts, comme la Cour Européenne d’Arbitrage en Turquie, sont autant d’arguments contre la pratique actuelle des tribunaux étatiques, sur au moins trois terrains :

la liberté : les parties choisissent leur arbitre, ils sont même assistées pour cela au moment de la réunion préalable si les parties sont d’accord, un arbitre unique juge l’affaire.

l’équité: une Cour arbitrale efficace a vocation à rendre des décisions dans un délai idéalement inférieur à un an.

le déroulement de l’instance : le choix et l'interrogatoire direct des témoins par les défenseurs des parties, la rédaction d’un calendrier des procédures et actes d'instructions en début d’instance, la constitution des sections spécialisées dans différents domaines, sont autant de moyens qu’offrent des règlements d’arbitrage (1), pour une justice efficace, comme l’exige les besoins du monde des affaires.

* * *

Autant de perspectives juridiques pour la Turquie, dans un environnement économique et géographique en forte mutation. C’est l’enjeu du pouvoir politique, mais aussi de nous praticiens du droit des affaires en général, de l’arbitrage international en particulier.

 


Ozgur Asik, Associé Inlawco (Istanbul)

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(1) http://cour-europe-arbitrage.org/archivos/documentos/50.pdf

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