La délinquance en col blanc en France, 2022 : aperçu des évolutions, tendances et perspectives

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À l’occasion de son rapport annuel consacré aux grandes évolutions législatives et judiciaires relatives à la délinquance en col blanc, le cabinet Allen & Overy revient sur les principales tendances et constats de 2022, au sein de 11 juridictions, dont la France. La France demeure l’une des juridictions européennes les plus actives dans la répression de la délinquance en col blanc. Dans la continuité des années précédentes, le Parquet national financier (PNF) a mis un point d’honneur à lutter contre le blanchiment d’argent, la fraude fiscale et les atteintes à la probité. Les poursuites liées aux enjeux ESG se multiplient, les Conventions Judiciaires d’Intérêt Public (CJIP) ont continué d’être particulièrement utilisées et, en filigrane d’une répression accrue, une nouvelle législation autour des lanceurs d’alerte a été votée, qui contraint beaucoup d’entreprises à s’adapter.

La répression de la fraude fiscale et les enjeux ESG s’inscrivent au cœur de la lutte contre la délinquance en col blanc 

En 2022, la lutte contre la fraude fiscale et le blanchiment a continué d’être un des chantiers principaux du PNF, en collaboration avec l’administration fiscale française. De lourdes peines ont été prononcées dans ce type d’affaires : 

  • Une grande banque Suisse a accepté de payer en octobre 2022 238 millions d’euros d’amende d’intérêt public et de dommages et intérêts pour mettre fin à une enquête ouverte en 2016 du chef de blanchiment aggravé de fraude fiscale et de démarchage illicite de clients en France ;

  • Une grande entreprise américaine de restauration rapide a accepté de payer 1,245 milliard d’euros en juin 2022, pour mettre fin à une enquête visant ses politiques de prix de transfert. 

Ces affaires ont été réglées par le biais de conventions judiciaires d’intérêt public (CJIP), dont le nombre n’a cessé d’augmenter depuis leur mise en place en 2016. Ces mesures alternatives aux poursuites, notamment destinées à permettre un traitement accéléré des procédures, sont devenues un outil clé de l’environnement répressif français. En 2022, 14 CJIP ont été signées et validées pour 1,3 milliard d’euros d’amendes et de dommages et intérêts prononcés. Leur champ d’application a été élargi à la fraude fiscale en 2018 et aux infractions environnementales en 2020, caractérisant ainsi la priorité donnée à ces thématiques. 

Les enjeux ESG ont également été au centre des préoccupations du PNF en 2022 et des poursuites inédites ont été initiées contre des entreprises pour complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Le devoir de vigilance instauré en 2017 oblige désormais les entreprises à prévenir les risques sociaux, environnementaux et de gouvernance liés à leurs activités ou à celles de leurs filiales et partenaires commerciaux. Une grande banque française a récemment été menacée d’un procès climatique pour avoir insuffisamment identifié les impacts humains et environnementaux de ses opérations de financement des combustions fossiles, comme l’aurait exigé la règle du devoir de vigilance. 

Plusieurs décisions de principe ont confirmé la volonté des juridictions françaises de poursuivre les entreprises soupçonnées de violer les droits de l’Homme. Elles ont notamment autorisé la mise en examen de sociétés commerciales des chefs de complicité de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, l’une étant soupçonnée d’avoir vendu des dispositifs de surveillance aux services de renseignement libyens sous le règne de Mouammar Kadhafi et la seconde d’avoir versé des pots-de-vin à des groupes terroristes en Syrie, pour permettre à son usine locale de poursuivre ses activités sur ce territoire jusqu’en 2015.

Des évolutions législatives nombreuses entre fin 2021 et 2022 qui encadrent davantage les enquêtes mais poussent les entreprises à s’adapter

  • Les nouvelles règles sur la protection des lanceurs d’alerte, adoptées en mars 2022, qui s’appliquent pour les entreprises de plus de 50 salariés et vont au-delà des exigences européennes. Elles suppriment à la fois la condition qui imposait que les faits dénoncés soient « graves et manifestes » pour enclencher la protection des lanceurs d’alerte et l’exigence de signalements en interne avant celui aux autorités extérieures. Cette législation vient déséquilibrer les rapports entre potentiels « lanceurs d’alerte » et entreprises, ces dernières étant particulièrement fragilisées en cas de signalement. 

  • La réforme législative de décembre 2021 visant à réglementer la durée des enquêtes préliminaires(menées par la police sous la supervision du procureur) à un maximum de deux ans à compter du premier acte d'enquête, qui met donc en place un cadre potentiellement plus strict pour les enquêtes criminelles.

  • La réforme du système judiciaire de décembre 2021, approuvée par le Conseil constitutionnel français, qui encadre le secret professionnel de l’avocat et reconnait explicitement l’existence du privilège de conseil juridique (mais les avocats et leurs clients ne peuvent pas invoquer le secret professionnel lorsque les communications entre eux peuvent avoir contribué à perpétrer ou à faciliter la corruption, la fraude fiscale ou le financement du terrorisme). 

 « 2022 a confirmé la tendance répressive et la relative insécurité juridique qu’incarne le contentieux pénal des affaires français depuis quelques années. Si les priorités de la lutte contre la délinquance en col blanc demeurent (fraude fiscale et blanchiment, atteintes à la probité), son domaine poursuit son extension : le pénal gagne du terrain économique et la créativité des autorités de poursuite prospère…», analyse Dan Benguigui, associé au département Contentieux et Arbitrage d’Allen & Overy Paris.

« Les questions environnementales continueront d’être au centre des préoccupations des autorités en 2023, comme le prouve la circulaire de politique publique pénale de septembre 2022 dans laquelle le ministère de la Justice déclare vouloir concentrer ses efforts sur cette thématique. Cela ne sera pas sans conséquence pour certains secteurs comme celui de l’agro-alimentaire, de l’habillement ou celui de l’énergie. Le nombre de plaintes provenant d’ONG visant des entreprises accusées de ne pas respecter pleinement leurs engagements éthiques devrait également continuer d’augmenter », conclut Hippolyte Marquetty, associé au département Contentieux et Arbitrage d’Allen & Overy Paris.


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