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Arrêt Magnard-Vuibert : Exclusion du régime du contrat d’édition pour la contribution "accessoire" d’une œuvre composite

redactionDans un arrêt du 2 juillet 2014, la Cour de cassation a exclu la qualification de contrat d’édition lorsque la cession du droit de reproduction porte sur une contribution accessoire qui n’est pas réalisée dans le cadre d’une œuvre de collaboration mais dans celui de l’œuvre composite.

Dans cette affaire Magnard-Vuibert1, l’éditeur n’avait pas conclu de contrat d’édition en bonne et due forme avec une illustratrice et ne disposait que de bons de commande et de factures. Lesdites œuvres étaient destinées à illustrer des œuvres littéraires "déjà écrites" sans collaboration de l’illustratrice avec l’auteur des textes, qui ont été jugées "accessoires" par les juges du fond.

La Cour de cassation approuve la décision de la Cour d’appel selon laquelle les bons de commande et les factures suffisent à établir la cession des droits patrimoniaux au bénéfice de l’éditeur, aux termes d’un raisonnement excluant l’application, en l’espèce, du régime du contrat d’édition (1.) et de l’exigence d’un écrit pour prouver la cession des droits (2.).

1. Sur la qualification de contrat d’édition

L’illustratrice soutenait que la relation contractuelle entre elle et l’éditeur devait recevoir la qualification de contrat d’édition. Elle en déduisait notamment que le contrat était « inexistant » en l’absence de contrat écrit (article L. 131-2 du code de la propriété intellectuelle) et que, à titre subsidiaire, l’éditeur n’avait pas exécuté ses obligations propres au contrat d’édition (article L. 132-1 et s. du code de la propriété intellectuelle).

La Cour de cassation approuve les juges du fond qui ont jugé que la relation contractuelle litigieuse ne relevait pas de la qualification de contrat d’édition :

"Attendu que (…) les illustrations commandées à Mme X... par la société Magnard-Vuibert étaient destinées à illustrer, de manière accessoire, des œuvres déjà écrites, et que les œuvres en cause ne pouvaient être qualifiées d’œuvres de collaboration, la cour d’appel a exactement retenu que les contrats litigieux ne constituaient pas des contrats d’édition mais devaient recevoir la qualification de contrats de louage d’ouvrage assortis d’une cession du droit de reproduction".

Cette décision est particulièrement importante (bien que non publiée au bulletin) car c’est la première décision, à notre connaissance, de la Cour de cassation qui vient délimiter le champ d’application du régime du contrat d’édition en présence d’une cession du droit de reproduction. Elle exclut ainsi l’application du régime du contrat d’édition lorsque la cession du droit de reproduction porte sur une contribution accessoire qui n’est pas réalisée dans le cadre d’une œuvre de collaboration mais forme une œuvre composite avec l’œuvre principale préexistante.

La Cour de cassation vient ainsi esquisser les prémisses d’un statut pour les œuvres composites (dites aussi "œuvres associées") qui manque cruellement dans le droit d’auteur français.

En pratique cela signifie que l’éditeur n’est pas contraint de conclure un contrat d’édition, avec toutes les obligations que cela implique pour ce dernier, lorsque la contribution est accessoire et qu’elle ne s’intègre pas dans un processus de création correspondant à une œuvre de collaboration (concertation entre les auteurs).

Sur la preuve et le formalisme des cessions

Les juges du fond ont jugé que les bons de commandes et factures (qui ne mentionnaient que la destination des illustrations, à savoir le titre de l’ouvrage dans lequel elles seraient intégrées, et le paiement de « droits d’auteur forfaitaires ») suffisaient pour établir la cession des droits patrimoniaux à l’éditeur.

Pour justifier cette décision les juges ont estimé que la preuve était libre et pouvait être rapporté par tout moyen. Pour ce faire, ils ont exclu l’application de l’article L. 131-2 du code de la propriété intellectuelle qui impose une preuve écrite pour établir l’existence des contrats de représentation, d'édition et de production audiovisuelle ainsi que des autorisations gratuites d'exécution. Dans la mesure où la Cour a accepté d’exclure la qualification de contrat d’édition, cette argumentation est, selon nous, logique et dans la droite ligne de la jurisprudence et de la doctrine majoritaire2.

Ce qui vient rendre la portée de l’arrêt de la Cour de cassation plus délicate à interpréter tient à la mention de l’article L. 131-3 par la Cour d’appel dans son arrêt du 17 octobre 2012. En effet, cette dernière reprenait dans sa motivation, selon les termes reproduits ci-dessous, l’attendu de l’arrêt Chaussade3 du 21 novembre 2006 qui semblait considérer que l’article L. 131-3, qui impose un certain nombre de mentions obligatoires dans le contrat conclu avec l’auteur, ne s’appliquait qu’aux contrats précités visés à l’article L. 131-2 du code de la propriété intellectuelle et non aux autres contrats conclus avec un auteur :

"Considérant que les dispositions de l'article L 131-3 ne visent que les seuls contrats énumérés à l'article L 131-2, 1er alinéa, à savoir les contrats de représentation d'édition et de production audiovisuelle, et ne s'appliquent pas aux autres contrats ; que dès lors la cession d'exploitation sur les illustrations en cause n'est soumise à aucune exigence de forme et la preuve peut en être rapportée selon les prescriptions des articles 1341 à 1348 du code civil auxquelles l'article L 131-2, 2ème alinéa du code de la propriété intellectuelle renvoie expressément".

Certains commentateurs4 semblent estimer que la Cour de cassation a validé l’argumentation de la Cour d’appel et que l’on pourrait interpréter cet arrêt comme une confirmation de l’arrêt Chaussade. A notre sens, il faut au contraire rester prudent sur l’interprétation de la portée de cet arrêt sur ce point. En effet, l’argumentation de la Cour d’appel sur le champ d’application de l’article L. 131-3 était inutile en l’espèce puisque l’action fondée sur la nullité tirée du non-respect de l’article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle était prescrite5. Dans cette affaire, l’article L. 131-3 était donc « hors-jeu ». En outre, le pourvoi ne comportait aucun moyen ni aucune branche articulé autour de la violation de l’article L. 131-3 ou d’un manque de base légal au regard de ce texte. Il se fondait uniquement sur l’article L. 132-1 (qualification de contrat d’édition) et sur l’article 1341 du code civil. Ainsi, nous pensons que l’arrêt de la Cour de cassation ne peut être interprété comme une « validation » du raisonnement de la cour d’appel sur le champ d’application de l’article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle.

En pratique, il est donc conseillé de continuer à prévoir des clauses de cessions de droits conforme à l’article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle même dans les contrats autres que les quatre contrats cités à l’article L. 131-2 du code de la propriété intellectuelle. En cas de contentieux en revanche, ces décisions pourront être utilement invoquées, avec l’arrêt Chaussade et d’autres décisions de juges du fond qui ont repris cette solution, pour se défendre en cas d’action en nullité fondée sur l’article L. 131-3 du code de la propriété intellectuelle relative à un contrat non visés par l’article L. 131-2 du code de la propriété intellectuelle.

Florence Gaullier, Eléonore Varet et Gilles Vercken, Avocats associés – Cabinet Gilles Vercken

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NOTES

2 Contra Desbois, Le droit d’auteur en France, Dalloz, 3e éd., 1978, n° 512.
3 F. Pollaud-Dulian, RTD Com. 2007, p. 363 ; C. Caron, CCE 2007, n° 1, p. 23 ; C. Caron, Le formalisme, peau de chagrin du droit d'auteur contractuel, CCE 2007, n° 1, p. 28 ; A. Lucas, PI 2007, n° 22, p. 93 ; F. Greffe, Preuve de la cession des droits de reproduction et de représentation, Propr. Indus. 2007, n° 4, p. 37 ; L. Drai, Création de salarié : que reste-il du formalisme de la cession des droits d'auteurs du créateur salarié ?, JCP S 2007, n° 13, p. 18 ; G. Vercken, Le formalisme dans les contrats d'auteurs : Un point après la décision de la Cour de cassation du 21 novembre 2006, RIDA 2009, n° 219, p. 5.
4 D. Knafo, Les commandes d’illustrations : un jeu d’enfant pour se faire céder les droits d’auteur !, Flash IRPI ; L. Costes, RLDI 2014, n° 107, p. 20, n° 3543.
5 V. sur ce point précis, la décision de première instance TGI Paris, 3e ch., 3e sect., 15 octobre 2010, RG n° 09/07837.
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