Philippe Melot et Sharon Golec, Associés LEGALTEAM Solutions, cabinet de conseil en management et en recrutement pour les professions juridiques, décryptent la relation juristes-conseils.
Les juristes d’entreprise missionnent de nombreux conseils extérieurs : notamment les avocats, mais aussi des CPI, notaires, traducteurs, conseils en recrutement, en management, en évaluation du préjudice… Si la relation juriste – avocat a fait l’objet de nombreuses analyses sous l’angle de la satisfaction client [1], la question inverse – qu’est-ce que le conseil attend de son client ? – est peu souvent posée. Quel serait l’intérêt pour les juristes de prendre en compte les attentes de leurs prestataires ? L’objet de cet article est de proposer quelques pistes de réflexion pour aider les juristes à travailler plus efficacement avec leurs conseils.
Les exigences du client
Les juristes d’entreprise, lorsqu’ils font appel à un conseil extérieur, recherchent d’abord une expertise, ensuite une réactivité et enfin un bon rapport qualité / prix. Etant en position de donneur d’ordre et représentant généralement une entreprise importante par la taille, le chiffre d’affaires et souvent la réputation, ils ont parfois tendance à se montrer exigeants par rapport à un prestataire de petite taille. Or ce n’est probablement pas dans un rapport de force que l’on obtient le meilleur de ses prestataires, mais sans doute dans le respect bien compris des intérêts réciproques.
Que souhaitent les conseils ?
Les conseils mettent au service des juristes une expertise spécifique que le juriste soit ne possède pas, soit qu’il choisisse de ne pas la déployer lui-même, faute de temps, soit qu’il estime utile de bénéficier d’un avis extérieur.
Les souhaits des conseils externes vis-à-vis des juristes peuvent se résumer en trois points :
- Etre informé le plus complètement possible du contexte de la mission ;
- Etablir une communication régulière avec le client tout au long de la mission pour régler dès que possible tout dérapage ;
- Percevoir une rémunération équitable, qui prend en compte les impératifs économiques de chaque partie. Les délais de paiement, notamment, sont en effet cruciaux pour la trésorerie des petites entreprises.
Faciliter la réussite de la mission
Bien choisir son conseil : en premier lieu, le juriste doit choisir le conseil en fonction de la nature et des spécificités de la mission, en analysant précisément le type et le niveau d’expertise requis et en prévoyant un budget réaliste. Il n’y a pas de mauvais conseils, il n’y a que des conseils mal choisis pourrait-on dire !
Une fois le conseil retenu, le juriste doit lui communiquer tout élément utile (enjeux, contexte, acteurs…) et établir avec lui une « feuille de route » détaillée fixant les étapes et les livrables.
Le juriste doit rester disponible tout au long de la mission, opérer des points réguliers, vérifier le respect des délais et régler les difficultés au fur et à mesure qu’elles se présentent. Par ailleurs, sous-traiter une mission n’est pas s’en débarrasser.
Travailler efficacement avec un conseil extérieur nécessite donc une implication réelle du juriste avant, pendant et après la mission.
Vers une charte de bonnes pratiques ?
Il existe certes des codes de déontologie (Ordre des Avocats, Syntec…), mais ceux-ci insistent surtout sur les obligations du prestataire vis-à-vis de son client. Peu de guidelines intègrent les attentes du prestataire lui-même.
Pourquoi ne pas s’inspirer d’autres secteurs pour établir une « charte de bonnes pratiques » entre les juristes d’entreprise et leurs conseils?
Ainsi il existe dans le secteur de la communication un « Guide de la Relation entre l’Annonceur et l’Agence Conseil » [2]. De même, une charte de bonnes pratiques entre donneurs d’ordre et PME a été signée sous l’égide du Ministre de l’économie, de l’industrie et de l’emploi. A travers dix engagements pour des achats responsables, cette charte vise à faciliter la création d’une « relation équilibrée » entre les donneurs d’ordre et leurs fournisseurs [3].
Focus juristes – avocats : un rapport de force inversé
L’avocat était jadis pour son client une sorte d’oracle dont on ne discutait ni l’expertise ni les honoraires. Avec la montée en puissance des juristes dans l’entreprise, d’une part, et les restrictions budgétaires poussant les directions fonctionnelles sous la vigilance des directions des achats, d’autre part, les « années faciles » sont aujourd’hui pour beaucoup d’avocats d’affaires un souvenir lointain : appels d’offres, panels, contrats cadres, facturation forfaitaire… Tout va dans le sens d’une pression sur les honoraires pour un service égal, voire supérieur. Parallèlement, la concurrence s’est exacerbée dans la plupart des spécialités du droit des affaires. Tous les éléments sont donc réunis pour passer d’un marché de vendeurs à un marché d’acheteurs.
Pour autant, le juriste d’entreprise ne doit pas perdre de vue que la prestation intellectuelle de l’avocat est spécifique, souvent sur mesure et marquée par l’intuitu personae. Aussi le juriste doit-il travailler en étroite collaboration avec l’avocat ; l’un apportant sa connaissance intime de l’entreprise, et l’autre, outre son expertise, sa vision extérieure et transversale.
Les deux sont complémentaires. Ainsi, le juriste ne devrait-il pas considérer l’avocat comme un sous-traitant, mais plutôt comme un co-traitant, c'est-à-dire un partenaire ?
Philippe Melot et Sharon Golec, Associés LEGALTEAM Solutions, cabinet de conseil en management et en recrutement pour les professions juridiques
[1] Cf. « L’avocat idéal : résultats du sondage AFJE – LJA, Que pensez-vous de vos avocats ? », La Lettre des Juristes d’Affaires, hors série, décembre 2003, Sophie Julien et Elodie Lévy.
[2] Cf. site web de l’Union des Annonceurs, www.uda.fr.
[3] Charte de la Médiation du Crédit et de la CDAF, l’Association des Acheteurs de France, régissant les relations entre grands donneurs d’ordres et PME, signé le 11 février 2011. Disponible sur www.mediateur.industrie.gouv.fr.
A propos
Cet article provient du numéro 12 de Juriste Entreprise Magazine (JEM), magazine de l'Association Française des Juristes d'Entreprise (AFJE) dont le dossier spécial est consacré à la 42 ème assemblée générale de l'AFJE.
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