Sentence en droit et sentence en équité

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Jean du Parc - Avocat - Du Parc & AssociésArticle de Jean du Parc, Ancien Bâtonnier, Avocat Honoraire, du Parc et Associés, sur l’arbitrage.

A la question posée : "est-ce qu'en France, l'arbitrage, cela marche ?" il faut apporter une réponse double :

  • quantitativement : il est impossible de le savoir, s'agissant de procédures le plus souvent confidentielles. Seules les institutions d'arbitrage détiennent des statistiques des procédures qu'elles organisent… et c'est ce qui permet de reconnaître à Paris sa qualité de "place d'arbitrage".
  • qualitativement : la réponse ne peut qu'être affirmative : toute procédure d'arbitrage non interrompue par la volonté commune des parties (généralement en raison d'une conciliation) aboutit à une décision sous forme de sentence, laquelle équivaut à une décision de justice, le plus souvent rendue en dernier ressort, et seulement susceptible d'un recours en nullité dans les seuls cas restrictivement prévus par le Code de Procédure Civile.

A la différence d'un jugement ou d'un arrêt de Cour d'Appel – et, a fortiori, de Cassation, toujours rendu en droit – une sentence pourra, soit que la clause compromissoire le prévoie, soit que les parties en conviennent lors de la signature de l'acte de mission, être rendue en amiable composition (ou en équité).

1.    A défaut d'accord des parties, le Tribunal Arbitral statue par application des règles de droit applicables au litige dont il est saisi, comme le ferait une juridiction de droit commun, ceci, tant au niveau de la procédure qu'au niveau du fond.

Sauf renonciation au droit d'appel, la Cour d'Appel du lieu de l'arbitrage pourra être saisie comme en matière juridictionnelle et devra statuer sur le fond du litige, soit en confirmant la sentence, soit en la réformant.

Dans le cas où la convention des parties (clause compromissoires ou acte de mission) comporte une renonciation au droit d'appel, il restera à disposition des parties la voie de recours de l'appel nullité, venant sanctionner le non respect d'une règle de procédure ou d'une règle d'ordre public. Mais il faut souligner qu'en pareil cas le mal jugé, ou même la dénaturation par l'arbitre n'entrainerait pas l'annulation de la sentence.

2.    Avec l'accord des parties, l'arbitre peut statuer en amiable composition (ou en équité).

En pareil cas, l'arbitre n'est plus tenu par aucune des règles de droit qui sont ordinairement à la disposition des parties (par opposition aux règles d'ordre public) et il arrêtera la solution que lui dictera sa conscience au terme de l'analyse exhaustive de l'argumentation de chacune des parties.

Soit que cela lui soit, comme parfois, demandé par sa mission, soit que cela le sécurise dans la conduite de son raisonnement, l'arbitre doit – ou peut – dégager la solution en droit, avant de déterminer la solution en équité, ceci sous la condition expresse de justifier des raisons qui le conduisent de la solution en droit à la solution en équité.

Mais, même lorsqu'il statue en équité, l'arbitre ne peut s'affranchir – dispenser les parties – de respecter certains principes fondamentaux tels que :

-    le respect du principe du contradictoire ;
-    le respect des délais conventionnels, et, à défaut, du délai légal de 6 mois ;
-    la nécessité de motiver la sentence ;
-    la nécessité de répondre à l'ensemble des demandes des parties, mais rien qu'aux demandes des parties.

3.    Il apparaît intéressant de terminer par un exemple concret (mais purement imaginaire et fictif).

Une société de grande distribution, que l'on appellera pour les besoins de la cause, ROND-POINT, désireuse de s'implanter en Ouzbékistan, va le faire par un contrat de franchise avec une société de droit ouzbek.

Le contrat est signé à Paris, et précise qu'il est régi par le droit français. Il est conclu pour une durée de 5 années, renouvelable par durée identique. Il y est assigné des objectifs pour le franchisé, avec l'indication qu'en cas de non respect, ROND-POINT pourra rompre unilatéralement le contrat, et aura droit, à titre de dommages et intérêts, à une indemnité équivalente au bénéfice réalisé pendant la durée de vie du contrat, ceci prorata temporis.

Après deux années de bonne exécution du contrat, il survient une crise en Ouzbékistan, et les objectifs ne sont plus atteints, ce que dénonce ROND-POINT :

-    dans un premier temps, en adressant au franchisé une mise en demeure ;
-    puis en dénonçant le contrat aux  torts du franchisé pour l'échéance de l'année 3.

Le contrat comportant une clause d'arbitrage (international), ROND-POINT demande la condamnation du franchisé à lui payer une indemnité correspondant aux bénéfices attendus pour les années 4 et 5.

Reconventionnellement, le franchisé demande à la juridiction arbitrale de dire que sa défaillance ne lui est pas imputable, de débouter ROND-POINT de ses demandes et, de la condamner à l'indemniser du préjudice résultant, pour elle, de la rupture anticipée du contrat.

S'il statue en droit, l'arbitre devra prendre exclusivement en considération les règles de droit français et les stipulations du contrat, par suite, retenant la défaillance incontestable du franchisé et la sanction contractuelle prévue par les deux parties en pareil cas, il devra condamner le franchisé à payer à ROND-POINT deux années de bénéfices attendus sur la base de la moyenne des 3 années exécutées. Toute autre solution encourrait la censure d'une Cour d'Appel.

Mais, s'il statue en équité, il aura toute latitude pour prendre en considération les circonstances de fait invoquées par le franchisé et pour considérer que la responsabilité de sa défaillance ne lui est que peu – ou même pas du tout – imputable, et, en conséquence, modifier, voir supprimer la sanction pécuniaire, voir même faire droit, en tout ou partie, à la demande reconventionnelle s'il considère que ROND-POINT porte, en tout ou partie, la responsabilité de la rupture.

Est-il nécessaire d'insister sur la responsabilité du conseil qui guidera son client dans le choix – avant ou après la naissance du conflit -, entre un arbitrage en droit et un arbitrage en équité ?


Jean du Parc
Ancien Bâtonnier,
Avocat honoraire
Du PARC et Associés
www.avocats-duparc.fr


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