La nouvelle réforme de la loi sur l'arbitrage

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Jean-Pierre Harb et Christophe Lobier - Avocats - Baker & McEnzieJean-Pierre Harb et Christophe Lobier, Avocats de Baker and McKenzie reviennent sur la réforme de l'arbitrage.

Trente ans se sont écoulés depuis les décrets de 1981 qui ont simplifié la procédure arbitrale et qui ont permis de donner un rayonnement international au droit de l'arbitrage français et de faire de Paris un choix privilégié comme siège d'arbitrages internationaux.
Après ces trente glorieuses riches en jurisprudence favorable à l'arbitrage, il était temps de consolider les acquis jurisprudentiels et ainsi clarifier le droit de l'arbitrage. Cela est désormais une réalité depuis le décret du 13 janvier 2011.
Ce document vise à décrire les principales modifications par rapport à l'ancien texte.

Tout d'abord, la distinction entre le régime de l'arbitrage interne et celui de l'arbitrage international persiste toujours. Les conventions d'arbitrage (clauses compromissoires et compromis)
doivent être écrites sous peine de nullité en arbitrage interne. La jurisprudence qui, dans un souci d'allègement du formalisme, avait permis que l'accord d'arbitrage puisse résulter d'un échange d'écrits, a été consacrée dans le nouvel article 1443 du Code de Procédure Civile. Sous ce registre, le nouveau décret va encore plus loin en consacrant la jurisprudence en vertu de laquelle, dans la mesure où plusieurs contrats ont un caractère de complémentarité, la clause compromissoire contenue dans l'un de ces contrats sera étendue aux litiges pouvant naître des autres contrats.

Autre allègement significatif d'un formalisme superflu en matière d'arbitrage interne : le défaut de prévoir dans la clause d'arbitrage les modalités de désignation du ou des arbitres n'est plus sanctionné par la nullité de la clause.

De plus, le décret consacre le principe bien établi en jurisprudence de l'autonomie de la clause compromissoire. Ainsi, la nullité du contrat n'entraîne en aucun cas la nullité de la clause compromissoire qui y figure.
Par ailleurs, une nouvelle disposition consacre la possibilité pour les parties, en cas d'urgence et tant que le tribunal arbitral n'est pas constitué, de saisir le juge étatique afin d'obtenir des mesures provisoires ou conservatoires ou des mesures d'instructions pour la préservation des moyens de preuve.

Sous un second chapitre, le décret consacre la terminologie de "juge d'appui » née de la doctrine et maintient le pouvoir de ce juge (qui sera le président du tribunal de grande instance ou, dans certains cas, le président du tribunal de commerce) d'intervenir à la demande d'une partie pour permettre la constitution du tribunal arbitral en cas de difficulté.

Le nouveau texte met l'accent sur la transparence concernant d'éventuels liens entre un arbitre et une des parties ou son conseil. Un nouvel article prévoit en effet que l'arbitre, avant d'accepter sa mission, doit révéler toute circonstance susceptible d'affecter son indépendance ou son impartialité, et révéler sans délai toute circonstance de même nature qui pourrait naître après l'acceptation de sa mission. Les règles de récusation d'arbitres sont simplifiées et soumettent toute difficulté au juge d'appui ou à l'organisme chargé de gérer l'arbitrage.

Toujours dans un souci d'efficacité, il est interdit à l'arbitre de mettre fin à sa mission avant la fin de l'arbitrage, sauf à justifier d'un empêchement ou d'une cause légitime d'abstention ou de
démission.

Dans un troisième chapitre dédié à l'instance arbitrale, une disposition précise désormais clairement que la procédure arbitrale est soumise au principe de la confidentialité. Par ailleurs, figure sous ce chapitre le principe dit de « compétencecompétence » selon lequel le tribunal arbitral statue en premier sur les contestations relatives à son pouvoir juridictionnel. Enfin, le législateur introduit un nouvel article qui consacre le principe de l'estoppel procédural reconnu en jurisprudence. Cette notion importée du droit anglo-saxon vise à sanctionner, au nom de la bonne foi procédurale, les contradictions dans les comportements d'une partie à l'arbitrage.

L'autorité du tribunal arbitral est renforcée notamment par un nouvel article qui consacre une jurisprudence selon laquelle le tribunal arbitral peut enjoindre à une partie, avec astreinte si nécessaire, de produire des éléments de preuve qu'elle détient.

Le tribunal arbitral peut également prendre toute mesure provisoire ou conservatoire, à l'exception des saisiesconservatoires et sûretés judiciaires, qui relèvent de la compétence exclusive des juridictions étatiques. Cependant, le tribunal arbitral n'ayant aucune autorité sur une partie tierce à l'arbitrage, ne pourra en aucun cas enjoindre à un tiers de produire des documents en sa possession. Cette faculté est du ressort du président du tribunal de grande instance.

Désormais, le décès, l'empêchement, l'abstention, la démission, la récusation ou la révocation d'un arbitre constituent des causes de suspension de l'instance arbitrale, et non plus des causes d'extinction de l'instance, ce qui obligeait les parties à recommencer la procédure arbitrale.

La sentence arbitrale fait l'objet d'un quatrième chapitre qui contient deux dispositions novatrices. La première tient compte de la spécificité de l'arbitrage pour permettre aux parties de déroger à l'obligation de signification de la sentence arbitrale. Une simple notification désormais suffit. La deuxième limite le délai pour formuler et statuer sur des demandes de rectifications d'erreurs matérielles dans la sentence ou des requêtes en omission de statuer.

L'exequatur et les voies de recours contre la sentence font l'objet de deux chapitres distincts.

La jurisprudence selon laquelle la demande d'exequatur n'est pas contradictoire y est consacrée. Il est également rappelé que l'exequatur est refusé si la sentence est manifestement contraire à l'ordre public. Il est enfin prévu que l'exequatur pourra être apposé sur une copie de la sentence, et non plus sur un original, dans la mesure où cette copie présente les conditions nécessaires à son authenticité.

Quant aux voies de recours contre la sentence rendue en arbitrage interne, la modification majeure par rapport au régime antérieur a été d'inverser le principe selon lequel l'appel contre la sentence en arbitrage interne est possible sauf accord exprès contraire des parties. Désormais, la sentence n'est plus susceptible d'appel, sauf volonté contraire des parties. Quant au délai d'appel ou de recours en annulation il est d'un mois, non plus à compter de la signification de la sentence revêtue de l'exequatur, mais à compter de la simple notification de la sentence (même non exequaturée). Il est enfin prévu que le recours en révision est désormais porté devant le tribunal arbitral, plus à même de statuer sur un tel recours que la cour d'appel.

Les dispositions spécifiques à l'arbitrage international font l'objet du Titre II du décret. De manière générale, les nouvelles dispositions tiennent de plus en plus compte de la nécessaire souplesse procédurale qui caractérise l'arbitrage international.

Contrairement à l'exigence d'un écrit en arbitrage interne, en arbitrage international la validité d'une convention d'arbitrage n'est soumise à aucune condition de forme.

Le nouveau texte rappelle que le rôle du juge d'appui qui, à défaut de convention contraire, est tenu par le Président du Tribunal de grande instance de Paris. Il est susceptible d'intervenir lorsque le siège de l'arbitrage est en France, lorsque les parties ont choisi la loi de procédure française, lorsque les parties ont expressément donné compétence aux juridictions françaises pour résoudre les difficultés procédurales ou lorsque l'une des parties est exposée à un risque de déni de justice. Ce dernier cas est la consécration de la célèbre jurisprudence NIOC c/ Israël de 2005.

Les formalités d'exequatur des sentences rendues à l'étranger ou en matière d'arbitrage international sont assouplies. Désormais, il n'est plus exigé que la sentence rédigée dans une langue étrangère soit traduite par un traducteur assermenté.Une traduction libre suffit dans un premier temps. Le juge de l'exequatur pourrait ultérieurement demander une traduction par un traducteur inscrit sur une liste d'experts judiciaires ou par un traducteur habilité dans un des pays de l'Union européenne.

Quant aux voies de recours, le décret distingue entre les dispositions applicables aux sentences rendues en France en matière d'arbitrage international, celles applicables aux
sentences rendues à l'étranger et les dispositions communes.

Deux principales modifications par rapport au régime antérieur caractérisent les recours contre les sentences rendues en France. En premier lieu, à l'instar de l'arbitrage interne, le nouveau texte instaure la faculté pour les parties de prévoir la notification des sentences par d'autres moyens que la signification. Le délai du recours est également raccourci à un mois à partir de la notification de la sentence (et non plus de la sentence revêtue de l'exequatur). En deuxième lieu, les parties ont la possibilité de convenir d'une renonciation au recours en annulation, sachant qu'elles pourront toujours interjeter appel contre l'ordonnance d'exequatur sur la base des mêmes motifs que ceux prévus pour le recours en annulation. L'intérêt d'une telle disposition n'est visible que lorsque des parties étrangères choisissent Paris comme lieu de l'arbitrage sans rechercher l'exécution de la sentence en France.

Les dispositions relatives aux voies de recours contre les sentences rendues à l'étranger n'ont pas été modifiées. Il a cependant été précisé que dans ce cas également, les parties pourront convenir de notifier la sentence revêtue de l'exequatur au lieu de procéder à sa signification. Les délais de prescription pour les voies de recours courent à compter de la notification.

Enfin parmi les dispositions communes aux voies de recours contre les sentences rendues en France et celles rendues à l'étranger, le législateur, dans un souci d'éviter les recours dilatoires, a innové en supprimant l'effet suspensif des voies de recours. Toutefois, lorsque l'exécution de la sentence est de nature à léser gravement les droits de l'une des parties, le juge saisi peut arrêter ou aménager l'exécution de la sentence.

Les dispositions de ce nouveau décret s'appliqueront à partir du 1er mai 2011 sous réserve des dispositions transitoires qui y sont prévues pour les conventions d'arbitrage conclues avant la date d'application du décret, les instances arbitrales en cours et les recours contre les sentences rendues avant le 1er mai 2011.

Jean-Pierre Harb, Local Partner
Christophe Lobier, Avocat


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