Iohann Le Frapper, GBI, Directeur juridique Groupe, Directeur des ressources humaines et administratives

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Iohann Le Frapper, GBI, Directeur juridique Groupe, Directeur des ressources humaines et administrativesIohann Le Frapper, GBI, Directeur juridique Groupe et Directeur des ressources humaines et administratives, répond aux questions du Monde du Droit. 

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis directeur juridique d’une entreprise nouvelle du secteur des télécommunications, basée dans les pays du Golfe. Je pilote les affaires juridiques, réglementaires et conformité ainsi que les ressources humaines et administratives du groupe.

Mon parcours professionnel se résume en 3 étapes : après une première expérience comme avocat, j’ai basculé dans le monde du pétrole avant de rejoindre le secteur des TCI.
Après des études classiques de droit à la faculté de droit de Paris 2 (Panthéon-Assas) et à la faculté de droit McGill au Canada, j’ai été admis au Barreau de Paris et ai travaillé en tant que collaborateur au sein d’un cabinet d’avocats, Siméon & Associes (aujourd’hui Hogan Lovells).

Ensuite, j’ai intégré la direction juridique de la holding puis de l’exploration-production d’Elf Aquitaine (aujourd'hui Total), pour intervenir tant sur des transactions financières que corporate et commerciales, principalement en Afrique, Amérique latine, Europe centrale et au Moyen-Orient.

Finalement, au sein du groupe Alcatel-Lucent, j’ai occupé en treize ans, cinq postes avec des responsabilités croissantes, le dernier étant celui de VP directeur juridique et conformité du groupe Réseaux avec un périmètre global.

En 2013, j’ai eu l’opportunité de rejoindre Gulf Bridge International (GBI), une société nouvelle en croissance dans le secteur des TMT, basée au Qatar et aux Emirats-Arabes Unis.

Ancien président du Chapitre européen de l' "Association of Corporate Counsel" (ACC Europe), je suis membre du conseil d’administration d’ACC ayant son siège à Washington (DC) et qui regroupe plus de 34.000 juristes d’entreprise dans le monde.
Je suis également le "vice-chair" de la commission internationale "Responsabilité sociétale d'entreprise et anti- corruption" de la Chambre de Commerce Internationale.

Comment est organisée la direction juridique ?

L’organisation de la direction juridique d’une multinationale est très différente de celle d’une PME.

Dans un grand groupe, la holding a souvent une direction juridique plutôt légère et constituée d’experts en droit des sociétés, droit boursier, M&A, droit des financements, contentieux, voire un expert en droit de la concurrence comme chez Alcatel-Lucent.

A l’instar des cabinets d’avocats, une spécialisation croissante des juristes d’entreprise est intervenue lentement mais sûrement, qu’il s’agisse du juriste expert en marchés publics/PPP, en contrats informatiques ou en droit des marques.

Dans une entreprise de petite taille comme GBI, il n’est pas possible d’avoir des juristes mono-activité. Il est donc impératif que chaque juriste se voit attribuer plusieurs missions, par exemple : support commercial et réglementations télécoms, support commercial et conformité, droit des sociétés et droit du travail, etc...

Il me semble également important de développer plusieurs compétences pour chacun des juristes à la fois pour leur émulation intellectuelle et pour leur évolution de carrière à long terme.

Je gère une équipe d’une vingtaine de personnes, répartie entre le département des affaires juridiques et règlementaires et le département des ressources humaines et administratives. Huit nationalités étant représentées, il s’agit de manager une équipe véritablement multiculturelle.

En ce qui concerne le département juridique, quatre juristes me rapportent et trois para-legals viennent compléter l’équipe. Il n’est pas inutile de rappeler l’importance de chacun, juriste ou non, au succès de l’équipe et à l’efficacité de la direction juridique, que l’on soit basé en France, en Chine ou dans un pays du Golfe.

La bonne administration des contrats (gestion des approbations internes, archivage papier et numérique) et le suivi sociétaire du portefeuille d’une quinzaine de filiales basées au Moyen-Orient et en Europe et des licences requises pour se conformer à la réglementation locale sont chronophages mais une formation en droit n’est pas nécessaire dès lorsqu’un juriste supervise les para-legals.

Vous arrive-t-il d'externaliser vos fonctions ?

Il est assez fréquent dans les pays du Golfe que les entreprises aient une équipe juridique très réduite qui pilote des cabinets d’avocats. Cette approche est satisfaisante en termes de "headcount" et peut aussi être confortable pour le ou les juristes d’entreprise, qui peuvent s’appuyer sur l’opinion ou le contrat rédigé par un consultant de renom et bénéficiant d’une assurance professionnelle.

Toutefois, j’ai une conception autre de la direction juridique en ligne avec les tendances globales, à savoir n’avoir recours aux conseils extérieurs qu’en fonction des besoins qui ne peuvent être satisfaits en interne ou à moindre coût.

Après mon arrivée, j’ai constaté qu’une grande partie des dossiers était sous-traitée à des cabinets d’avocats, ce qui n’est pas sans incidences sur le budget annuel en termes d’honoraires.

J’ai ainsi décidé de recruter deux juristes junior pour rééquilibrer la répartition du travail entre l’interne et l’externe, rapatrier le savoir-faire en interne et ainsi limiter la dépendance par rapport aux conseils extérieurs historiques de la société.

L’accroissement dans mon budget de la masse salariale a été largement compensé par la réduction drastique des honoraires d’avocats sur un an et une remise à plat du panel d’avocats.

Comment voyez-vous votre rôle ?

Le directeur juridique apporte aujourd’hui une vision qui n’est plus cantonnée aux seuls risques juridiques ou réglementaires mais élargie à la prévention des risques et la préservation de la réputation de l’entreprise.

Ce que j’apprécie dans mon rôle de CLO actuel rapportant directement au CEO et membre de l’équipe de direction est de pouvoir conseiller le CEO et l’équipe de direction sur de multiples problématiques et d’influencer la stratégie de l’entreprise (croissance interne ou externe). Je suis partie prenante au processus de prise de décisions et non seulement à l’exécution des décisions.

Il faut dépasser sa vision d’expert pour adopter une vision d’ensemble, comprendre les spécificités du business pour trouver des solutions et définir le niveau de risques acceptable pour l’entreprise. Si certains risques sont acceptables, d’autres d’ordre éthique ne le sont pas.

Pour moi, le directeur juridique est un manager d’équipe mais doit aussi s’impliquer dans les dossiers. Avec une petite équipe, le directeur juridique reste opérationnel.

Enfin, le directeur juridique est un gestionnaire de son budget dont il est comptable vis-à-vis du CEO et du CFO.

Quelles sont les différences entre une entreprise comme Alcatel-Lucent et GBI ?

Si les deux entreprises appartiennent au secteur des TCI, j’ai quitté le monde des fournisseurs pour celui des opérateurs télécoms. Alors qu’Alcatel-Lucent est un fournisseur de réseaux d’infrastructures télécoms, GBI est le propriétaire et opérateur d’un nouveau réseau de câbles sous-marins et terrestres, lui permettant de vendre de la capacité Internet internationale entre les pays du Golfe, l’Europe et l’Asie.

A la différence d’une société cotée en Bourse, pour laquelle la communication financière trimestrielle est fondamentale, Gulf Bridge International (GBI) est une société privée, dont les actionnaires majeurs sont des fonds souverains des pays du Golfe. Le niveau des investissements en infrastructure de GBI ayant atteint environ 600 MUSD, les interactions avec le conseil d’administration sont fréquentes pour des raisons de bonne gouvernance.

Quelle est votre journée type ?

Les journées ne se ressemblent pas. Au Moyen-Orient, la gestion du temps et la planification sont très différentes des standards américains et européens. Les agendas doivent rester très flexibles et je trouve très difficile de planifier des réunions des mois à l’avance. Dans une culture d’avantage orale, les réunions en face-à-face restent indispensables, sont beaucoup plus informelles et ont souvent lieu en dehors du bureau et des heures dites travaillées. Une fois les décisions arrêtées, la pression pour exécuter en un temps ramassé est très forte. Je voyage souvent entre Doha et Dubai pour participer à des réunions et être au contact des équipes et des collègues.

Propos recueillis par Clément HARIRA


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