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La Cour de cassation précise les critères de la compétence universelle du juge français

La France est l’un des rares États européens (avec l’Allemagne, la Belgique et l’Espagne) qui a attribué à ses juges nationaux une compétence universelle. Ce qui veut dire la possibilité pour la justice, par dérogation aux critères habituels de la compétence pénale (auteur français, victime française, commission de l’infraction en France), de poursuivre et juger en France un étranger ayant commis un crime à l’étranger sur une victime étrangère (article 689-1 et s. du code de procédure pénale ou CPP).

Le code de procédure pénale énumère les crimes pouvant justifier la mise en œuvre de cette compétence universelle, qui sont :

  • la torture au sens de la convention de New-York de 1984,
  • le crime de génocide sous la condition que la personne réside habituellement sur le territoire (pas de double incrimination),
  • les autres crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, sous réserve de la double incrimination en France et dans l’État où ils ont été commis ou si cet Etat ou l’Etat dont la personne a la nationalité est partie au Statut de Rome sur la Cour pénale internationale (CPI).

Les deux arrêts du 12 mai 2023 permettent de clarifier la portée de la compétence universelle

Dans ces arrêts (pourvois n°22-80.057 et n°22-82.468), la chambre criminelle de la Cour de cassation clarifie les critères conditionnant la compétence universelle du juge français, en l’espèce vis-à-vis de deux ressortissants syriens soupçonnés d’avoir commis des crimes internationaux contre des opposants politiques et des militants des droits de l’homme : le premier est un ex-militaire supplétif des forces de sécurité de Bachar El Assad. Le second est un membre du groupe islamiste salafiste Jaysh Al-Islam ayant commis des actes de torture et autres atrocités dans la région du Ghouta orientale.

Sur le critère de la résidence habituelle. La chambre criminelle de la Cour, se prononçant pour la première fois, a consacré le critère du lien de rattachement suffisant avec la France à analyser sur la base d’un faisceau d’indices d’après les circonstances de faits propres à l'espèce : durée et raisons de la présence sur le territoire, conditions dans lesquelles l’installation a eu lieu, manifestations d’une volonté de résider durablement en France, existence de liens familiaux, sociaux, matériels ou professionnels. Ce qui renvoie à la jurisprudence du juge de l’Union (CJUE, 22 décembre 2010, aff. C-497/10, Barbara Mercredi c. Richard Chaffe, § 46 et 47). La condition de résidence habituelle n’est pas synonyme de condition de résidence permanente ou principale. Aussi, dans la première espèce, l’intéressé a été jugé avoir sa résidence habituelle en France alors qu’il habitait en Turquie et était venu en France poursuivre une formation universitaire pendant seulement un trimestre.

Concernant le critère de la double incrimination, il est un fait que la Syrie n’a pas ratifié le Statut de Rome sur la CPI. Toutefois, la Constitution syrienne prohibe la torture et la Syrie est Partie tant aux conventions de Genève interdisant le meurtre de civils, la torture et les exécutions sommaires qu’au Pacte international des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques. Pour dire que le critère de la double incrimination était rempli, la Cour s’est référée aux travaux préparatoires de la loi n°2010-930 du 9 août 2010 dont est issu l’article 689-11 CPP pour en déduire que cette condition ne requiert pas une identité de qualification et d’incrimination : il suffit que la législation étrangère punisse les actes incriminés comme infractions de droit commun, i.e. assassinat, viol ou torture (Crim., 21 mars 2017, n° 16-87.722 ; Crim., 12 juillet 2016, n° 16-82.664 ; Crim., 24 mai 2018, n° 17-86.340). Cette solution relativement souple évoque celle retenue en matière d'extradition où le juge estime que la condition de double incrimination est satisfaite, dès lors que les faits faisant l'objet de la demande d'extradition sont incriminés à un titre quelconque dans l’autre Etat.

Sur la qualité de la personne qui doit avoir agi à titre officiel pour une entité gouvernementale, voire non gouvernementale, lorsque ladite entité exerce surle territoire considéré une autorité quasi gouvernementale. Dans l’une des espèces, l’intéressé avait été affecté durant son service militaire à une section travaillant en coordination avec les patrouilles de sécurité du régime. Dans l’autre espèce, il appartenait à un groupe islamiste composé de plusieurs milliers de combattants faisant régner la terreur dans une région syrienne où ils exerçaient des fonctions quasi gouvernementales, judiciaires, militaires et pénitentiaires.

L’interprétation libérale de la Cour de cassation se veut un compromis pour éviter de changer la loi

Il s’agit de trouver une voie moyenne entre ceux qui souhaitent voir supprimer les conditions restrictives que sont la double incrimination et le caractère habituel de la résidence de la personne susceptible d’être poursuivie au titre de la compétence universelle (Rapport n° 353 de M. Alain Anziani au Sénat sur la proposition de loi de M. Jean-Pierre Sueur tendant à modifier l’article 689-11 CPP relatif à la compétence territoriale du juge français concernant les infractions visées par le statut de la CPI, enregistré le 13 février 2023) et ceux qui mettent en garde sur les conséquences diplomatiques plus ou moins aléatoires d’une telle extension de la compétence universelle (Lors d’un passage à Paris le 28 mai 2001, Henri Kissinger après avoir reçu d’un juge d’instruction un mandat à comparaître comme témoin dans l’affaire de la disparition de cinq Français au Chili, avait quitté la France dès le lendemain).

Alternative au mécanisme de coopération pénale qu'est l'extradition, la compétence universelle a des incidences beaucoup plus radicales, puisqu’elle fait abstraction de toute intervention de l’État étranger concerné. Elle est donc à manière avec autant de prudence que de volontarisme.

Noëlle Lenoir, associée, Noëlle Lenoir Avocats

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