Référencement sur internet : un alibi de la contrefaçon de marque ?

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Corinne Champagner Katz - Avocate - CCK AvocatsCorinne Champagner Katz, Avocate du cabinet CCK Avocats revient sur l'achat de mots-clés sur internet et la contrefaçon de marque à la lumière de la récente jurisprudence.

Le référencement est un processus permettant à un annonceur d’acheter des mots clés auprès d’un moteur de recherche. 

Les services d’achat de mots clés garantissent à l’annonceur l’apparition automatique de liens commerciaux liés auxdits mots, lorsqu’ils sont saisis par un internaute dans un champ de recherche.

Cet achat a pour objectif d’améliorer la visibilité et la présence des produits ou des services attachés à une marque.

La démarche la plus répandue est d’acquérir les mots clés des marques concurrentes afin d’associer les produits et services de sa propre entreprise aux acteurs économiques concurrents.

Avant le 13 juillet 2010, les titulaires de marque disposaient de la faculté de s’opposer à l’achat de ces mots clés lorsqu’ils correspondaient aux vocables composant tout ou partie de leur marque.

Cette veille active est désormais balayée par les dernières décisions de la Cour de Cassation relatives à la responsabilité des prestataires de référencement.

Par quatre arrêts, désormais devenus célèbres, en date du 13 juillet 2010 (n° 08-13944, n° 06-15136, n° 06-20230, n° 05-14331), la Cour de Cassation a jugé que la commercialisation de mots-clés correspondant à des marques déposées ne constituait pas un acte de contrefaçon. 

La Cour de Cassation a toutefois approuvé dans l’une de ces décisions la condamnation pour contrefaçon d’une société qui avait publié une annonce dont la présentation ne permettait pas à un internaute normalement informé et raisonnablement attentif, de savoir si l'annonceur était ou non lié au titulaire de la marque.

Pourquoi la Cour de Cassation a-t-elle estimé que Google n’avait pas commis d’actes de contrefaçon ?

La Cour de Cassation avait, préalablement à ses décisions, saisi la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) de plusieurs questions préjudicielles relatives notamment à l’interprétation de la Directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 dite « directive sur le commerce électronique » et du Règlement CE 40/94 du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire).

La CJUE a ainsi précisé que :
- le prestataire d’un service de référencement sur Internet ne commet pas d’actes de contrefaçon lorsqu’il stocke en tant que mot-clé un signe identique à une marque et organise l’affichage d’annonces à partir de celui-ci, ce dernier n’en faisant pas un usage assimilable à celui d’une marque ;
- la responsabilité du prestataire d’un service de référencement n’est engagée que s’il a joué un rôle actif de nature à lui confier une connaissance ou un contrôle des données stockées. Le prestataire pourra engager sa responsabilité s’il n’a pas promptement retiré les données stockées, alors qu’il avait pris connaissance de leur caractère illicite ;
- le titulaire d’une marque est habilité à interdire à un annonceur de faire, à partir d’un mot-clé identique à ladite marque, de la publicité pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels la marque est enregistrée, lorsque cette publicité ne permet pas ou permet difficilement à un internaute « moyen » de savoir si l’annonceur est lié ou non au titulaire de la marque.

Dans sa décision du 23 mars 2010 (C-236/08 à C-238/08), la CJUE a été amenée à rappeler la notion d’ « usage dans la vie des affaires » d’une marque.

En application notamment du règlement n°40/94, le titulaire d’une marque est habilité à interdire l’usage, sans son consentement, d’un signe identique à sa marque par un tiers, lorsque cet usage a lieu dans la vie des affaires.

La Cour a précisé que « l’usage d’un signe identique ou similaire à la marque du titulaire par un tiers implique, à tout le moins, que ce dernier fasse une utilisation du signe dans le cadre de sa propre communication commerciale. Dans le cas, du prestataire d’un service de référencement, celui-ci permet à ses clients de faire usage de signes identiques ou similaires à des marques, sans faire lui-même un usage desdits signes » (concl.57).

Toujours selon la Cour, le fait que le prestataire est rémunéré pour l’usage desdits signes par ses clients (les annonceurs), ne remet pas en cause cette analyse.

La Cour de Cassation n’a fait ici qu’appliquer aux quatre affaires précitées ces conclusions, pour en déduire que Google, en sa qualité de prestataire d’un service de référencement, n’avait pas commis d’actes de contrefaçon.

La Cour d’appel de Paris dans un récent arrêt du 19 novembre 2010 n° 08/00620 a d’ailleurs réitéré cette analyse.

Se pose dès lors la question délicate de la qualification des actes de celui qui achète, à titre de mot clé, la marque de son principal concurrent ainsi que des solutions qui s’ouvrent désormais aux titulaires de marque en présence de référencements de concurrents de plus en plus virulents.

En effet, si l'usage de la marque en tant que telle ne vise pas le public, il n'en reste pas moins que le fait de monnayer un meilleur référencement, en usant des actifs immatériels protégés par la propriété intellectuelle d'autrui, peut relever de la concurrence déloyale, répréhensible par le droit commun.

De plus, un réel risque de confusion dommageable peut naître et perdurer dans l'esprit du public du fait de la présentation qui est faite des résultats de recherche Google.

La société Google a d’ailleurs décidé de modifier son système de surveillance et d'alerte en la matière. 

Auparavant, la société titulaire d'une marque pouvait s'opposer a priori au dépôt d'enchères sur sa marque en tant que mot clé. 

Aujourd'hui, Google autorise l'achat de ces mots clés. 

Diverses associations ont adressé un courrier à la direction de Google afin d'attirer son attention sur les risques de concurrence déloyale et de contrefaçon.

L’inquiétude est également grandissante s’agissant, en soi, de la dévalorisation des marques et du coût supplémentaire pour leur titulaire aux fins de protéger efficacement leur outil économique.

La question est de savoir comment faire de la résistance ?

Dans ce labyrinthe d’autorisations et d’interdictions, comment une entreprise pourra-t- elle résister et lutter contre ces captations de marché ?

Deux possibilités restent ouvertes aux titulaires de marques : 
- présenter une réclamation auprès de Google afin que le mot clé ne soit plus utilisé par le concurrent ; si Google ne réagit pas « promptement » pour retirer le lien illicite, sa responsabilité pourra être engagée ;
- engager une action en contrefaçon et concurrence déloyale seulement contre l'annonceur, lequel reste entièrement responsable de ses actes devant les dispositions légales  en matière de propriété intellectuelle.

Le sens de l’histoire se dirigerait-il vers le déni du droit de la Propriété ou vers un protectionnisme pro-industriel ?

La réponse  pourrait se trouver dans la question.

Personne ne s’étonnera de notre inquiétude face à ce nouveau positionnement jurisprudentiel.

Le bon sens doit retrouver ses prérogatives : la défense du monopole de la marque reste et devra rester la bonne attitude.

S’il est réel que ces techniques ayant en apparence une physionomie sophistiquée, sont très complexes à analyser juridiquement et économiquement, il n’en demeure pas moins que le droit de Propriété ne doit aucunement faire l’objet d’un quelconque sacrifice.

A bon entendeur….

Corinne Champagner Katz

Spécialiste en propriété intellectuelle

Avocat au Barreau de Paris

CCK Avocats


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