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La vente des lunettes "sous la loupe"

Alexandrine Ananou & Eveline Van Keymeulen, Avocates, Allen & Overy LLPAlexandrine Ananou & Eveline Van Keymeulen, collaboratrices chez Allen & Overy LLP, commentent les changements introduits par la loi Hamon à propos de la vente des produits optiques.

En France, la vente en ligne de produits d’optique représentait seulement 1% des ventes dans ce secteur en 2011 . Afin d’accroître la concurrence et répondre aux inquiétudes des autorités européennes relatives aux restrictions légales françaises touchant ce secteur, le législateur français a récemment adopté la loi dite Hamon (loi n° 2014-344 du 17 mars 2004 relative à la consommation), dont les dispositions pertinentes entreront en vigueur dans les prochains mois (et au plus tard avant mars 2016). Cette loi vient modifier,  d’une part, le droit applicable à la prescription et à la délivrance des produits d’optique et l’étendue du monopole des opticiens et, d’autre part, vient règlementer la vente de ces produits sur Internet.

PRESCRIPTION MEDICALE OBLIGATOIRE – Généralement réalisée par les ophtalmologistes, la prescription médicale est utilisée pour adapter les verres correcteurs (ou les lentilles de contact correctrices) aux besoins spécifiques du patient et conditionne aussi le remboursement auprès de la sécurité sociale. Avant la loi Hamon, les verres correcteurs, destinés à corriger l’amétropie - soit des troubles de la réfraction tels que la myopie, l’hypermétropie ou l’astigmatisme - pouvaient être délivrés en l’absence de prescription médicale, à l’exception des verres délivrés aux personnes âgées de moins de 16 ans . En outre, les opticiens étaient également autorisés à adapter, dans le cadre d’un renouvellement de verres correcteurs, les prescriptions médicales initiales de moins de trois ans, à l’exclusion de celles établies pour les mineurs de 16 ans et sauf opposition du médecin. La loi Hamon apporte deux changements majeurs à la prescription des verres correcteurs : leur délivrance est désormais subordonnée à l’existence obligatoire d’une prescription médicale en cours de validité, et ce à tout âge , laquelle doit en outre indiquer la valeur de l’écart pupillaire du patient . Ces changements ont un impact significatif sur les détaillants de produits d’optique, puisque ces derniers devront se conformer aux lois applicables, et notamment à l’exigence de vérification de la validité des prescriptions et à la protection/confidentialité des données personnelles des consommateurs.

DIMINUTION DU MONOPOLE DES OPTICIENS – Le monopole des opticiens quant à la vente et à la délivrance de produits d’optique a fait l’objet de nombreux débats, en doctrine comme en jurisprudence. Avant la loi Hamon, la jurisprudence considérait que les verres correcteurs et les lentilles de contact correctrices entraient dans le champ du monopole des opticiens . En effet, le Code de la santé publique obligeait les établissements commerciaux dont l’objet principal était l’optique-lunetterie à être dirigés ou gérés par un opticien . S’agissant des produits destinés à l’entretien des lentilles de contact, le monopole était partagé entre les opticiens et les pharmaciens. En revanche, les lunettes prémontées, ou encore lunettes loupes, assimilées par la jurisprudence à des lunettes grossissantes qui ne corrigent pas la vue mais améliorent la lecture par leur effet « loupe », ne faisaient pas partie du monopole des opticiens . Avec la loi Hamon, le monopole des opticiens a été considérablement réduit. En effet, la nouvelle règlementation a supprimé, d’une part, le monopole sur la vente des produits optiques destinés à l’entretien des lentilles de contact  et, d’autre part, l’obligation des établissements commercialisant des produits d’optique d’être dirigés ou gérés par un opticien. Toutefois, pour se conformer à la nouvelle loi, les établissements (qu’ils soient physiques ou en ligne) devront employer un ou plusieurs opticiens, car ceux-ci, bien qu’ils ne soient plus responsables de la gestion ou direction des établissements de produits d’optique, conservent une compétence exclusive pour la délivrance des verres correcteurs et des lentilles de contact correctrices, laquelle nécessitera en plus une prise de mesure pour les verres correcteurs de puissance significative .

ENCADREMENT LEGAL DE LA VENTE EN LIGNE – L’activité de vente en ligne de produits d’optique s’est développée en dehors de tout cadre juridique spécifique. Avant la loi Hamon, cette activité n’étant en effet ni explicitement autorisée, ni explicitement prohibée, était soumise aux règles générales applicables à la vente de produits d’optique. La loi Hamon est venue encadrer la vente en ligne dans un souci notamment d’accroître la protection des consommateurs. Les prestataires de vente en ligne des verres correcteurs et des lentilles de contact correctrices devront ainsi permettre aux patients d’obtenir auprès d’un opticien des informations et conseils dont le contenu et les modalités exactes seront déterminés par décret. En somme, pour se conformer à la nouvelle loi, ces prestataires devront employer un ou plusieurs opticiens tenus de réceptionner les prescriptions et d’accorder la délivrance des produits d’optique correcteurs.

Parallèlement, les fabricants, distributeurs et détaillants de produits d’optique doivent être vigilants quant à la classification des produits d’optique mis sur le marché puisque ces derniers peuvent être considérés comme des dispositifs médicaux, qui seront alors soumis à plusieurs exigences règlementaires. En effet, les verres correcteurs sont typiquement classifiés comme dispositifs médicaux sur mesure de classe I (risque faible) et les lentilles de contact correctrices comme dispositifs médicaux de classe II A (risque moyen). Parmi ces exigences règlementaires, figurent notamment : le marquage « CE », les obligations de déclaration auprès des autorités réglementaires (par exemple l’ANSM), notamment quant à l’activité, à la nature des produits commercialisés, et à leurs ventes annuelles en France et le respect des règles en matière de publicité, de transparence et de matériovigilance . Par ailleurs, les lunettes prémontées, souvent commercialisées à travers différents réseaux tels les magasins d’optique, les pharmacies, les rayons d’optique-lunetterie d’établissements commerciaux et les sites Internet, ne devraient pas être considérées comme des dispositifs médicaux puisqu’elles ne corrigent ni modifient la vue. Elles sont cependant une espèce hybride dans la mesure où leur classification comme dispositifs médicaux dépend principalement des revendications faites au moment de leur vente. Ainsi, leur étiquetage et publicité doivent présenter spécifiquement leur fonction grossissante, et non correctrice, afin d’éviter toute éventuelle reclassification.  

En définitive, la loi Hamon apporte des réponses aux incertitudes qui pesaient sur la vente des produits optiques, en diminuant le monopole des opticiens et en encadrant la vente en ligne. Cependant, les parties intéressées à la vente de produits d’optique, particulièrement la vente en ligne, devront répondre à de nouvelles exigences notamment relatives à la prescription obligatoire.

 

Alexandrine Ananou & Eveline Van Keymeulen, collaboratrices chez Allen & Overy LLP

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